Les 1 029 398 cigarettes de Dorothy

12 mai 2017   •  
Écrit par Anaïs Viand
Les 1 029 398 cigarettes de Dorothy
James Friedman a toujours photographié sa mère, Dorothy. Et ce bien avant qu’elle tombe malade, à cause de la cigarette. Lorsque les médecins lui diagnostiquent un emphysème pulmonaire, James Friedman continue de la prendre en photo et ce jusqu’à sa mort en 1990. “1 029 398 cigarettes”, c’est l’histoire intime et poignante de toute une vie; le regard d’un fils, sur sa mère. Entretien.

Fisheye Magazine : Quelle est l’histoire de cette série 1 029 398 cigarettes  ?

James Friedman

: Cette série montre la vie et la mort de ma mère à travers mes photographies prises depuis mes 9 ans. Le projet révèle la transformation d’une femme originale et charismatique en une femme souffrante, au physique ravagé par 47 ans de tabagisme. Quand ma mère est tombée malade, je voulais faire des photographies qui alertaient les jeunes femmes sur les dangers du tabagisme. Au lieu de cela, 1 029 398 cigarettes est devenue un voyage pour une mère et un fils, un voyage qui a permis de nous connecter et de découvrir à quel point nous étions essentiels.

Comment en es-tu arrivé à ce chiffre, 1 029 398  ?

Ma mère a commencé à fumer à l’âge de onze ans et fumait en moyenne 60 cigarettes par jour. D’après mes calculs précis, elle a fumé environ 1 029 398.

Comment définirais-tu ton approche photographique ?

Mon approche de la photographie est intuitive et instinctive. En général, mon travail est autobiographique : pour la plupart de mes projets, je pratique une photographie documentaire et personnelle. Les photos de ma mère et d’autres membres de ma famille ont toujours été au cœur de mon travail. Avec la photographie, j’ai voulu comprendre ma famille.

Mom, 1960, Extrait de « 1 029 398 Cigarettes » © James Friedman
Mom, 1968, Extrait de « 1 029 398 Cigarettes » © James Friedman
Mom, 1971, Extrait de « 1 029 398 Cigarettes » © James Friedman
Mom, 1972, Extrait de « 1 029 398 Cigarettes » © James Friedman
Mom, 1973, Extrait de « 1 029 398 Cigarettes » © James Friedman
Mom, 1974, Extrait de « 1 029 398 Cigarettes » © James Friedman
Mom with her older brother and nephew, 1974, Extrait de « 1 029 398 Cigarettes » © James Friedman
Mom, 1975, Extrait de « 1 029 398 Cigarettes » © James Friedman
© James Friedman
© James Friedman
Mom and her brothers, 1978, Extrait de « 1 029 398 Cigarettes » © James Friedman
Mom and her younger brother, 1979, Extrait de « 1 029 398 Cigarettes » © James Friedman
Mom, 1979, Extrait de « 1 029 398 Cigarettes » © James Friedman
Mom and her last cat, Mr. Katz, 1984, Extrait de « 1 029 398 Cigarettes » © James Friedman
Mom and her brothers, 1985, Extrait de « 1 029 398 Cigarettes » © James Friedman
Mom and her brothers, 1989, Extrait de « 1 029 398 Cigarettes » © James Friedman
Mom and me, 1989, Extrait de « 1 029 398 Cigarettes » © James Friedman
Mom, 1989, Extrait de « 1 029 398 Cigarettes » © James Friedman
© James Friedman
Mom, 1986, Extrait de « 1 029 398 Cigarettes » © James Friedman
Mom, 1989, Extrait de « 1 029 398 Cigarettes » © James Friedman
Mom, 1989, Extrait de « 1 029 398 Cigarettes » © James Friedman
Mom, 1990, Extrait de « 1 029 398 Cigarettes » © James Friedman
Mom’s brothers at her grave, 1990, Extrait de « 1 029 398 Cigarettes » © James Friedman

Quelles étaient tes relations avec Dorothy, ta mère ?

Enfant je considérais mes parents comme de sombres présences. J’avais une relation difficile avec ma mère. Elle était exceptionnellement intelligente, créative, douée, très intuitive. Mais, aussi, traumatisée par une enfance difficile. Cependant, nous avions en commun la même passion pour l’art. Il y avait une connexion entre nous.

Comment a-t-elle accueilli ce projet ?

Au départ, elle était réticente à l’idée que je la photographie. C’était une femme timide. Elle a pourtant accepté la plupart de mes clichés et a beaucoup aimé participer au projet. Et puis, elle a finalement été transformée : elle est devenue une personne très engagée. Elle était généreuse en me donnant de son temps, en s’habillant avec ses vêtements splendides et en posant selon mes directions ! Elle n’a d’ailleurs jamais demandé à voir les photographies qui résultaient de nos séances.

Comment votre relation mère-fils a-t-elle nourrie cette expérience photographique ?

Ma mère a toujours été très favorable à ce projet. Elle m’a encouragé. C’était une modèle et une collaboratrice extrêmement généreuse. Le temps que nous avons passé ensemble nous a aidé à créer un lien particulier. Ces images ont créé une interaction qui n’existait pas dans ma famille où la communication était compliquée. Celles que j’ai prises lors des dernières années étaient, je pense, son dernier cadeau. Elle a accepté de me laisser la photographier dans des circonstances parfois désagréables, durant les soins et des moments de souffrance. Des moments sans flatterie ni vanité. Certaines des images finales sont douloureuses à regarder, pour les autres comme pour moi – surtout pour moi. Jusqu’à la fin, elle a toujours été consciente que devant l’objectif, elle se révélait de manière vulnérable. Quand elle était malade, il était parfois émotionnellement pénible de prendre les photos.

Ce travail a-t-il fait émerger des nouveautés dans ta pratique photographique ou dans vos relations mère-fils ?

Ces photographies sont plus profondes et intimes que celles que nous avons faites ensemble avant sa maladie. C’est aussi durant les derniers mois que ma mère et moi avons commencé à avoir de l’affection physique l’un pour l’autre. Je ne me souviens d’aucun baiser – ou d’aucune autre manifestation d’affection – entre les membres de notre famille pendant mon enfance. Ma mère et moi avons finalement commencé à échanger des marques de tendresses quand elle approchait la fin de sa vie. Nous avions pris l’habitude d’échanger un baiser quand je quittais sa maison de repos ou sa chambre d’hôpital.

Mom, 1990, Extrait de « 1 029 398 Cigarettes » © James Friedman
Me kissing Mom, 1990, Extrait de « 1 029 398 Cigarettes » © James Friedman

Finalement, tu as peu photographié ta maman en train de fumer, pourquoi ?

Quand j’ai travaillé sur le projet, depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte, le tabagisme de ma maman n’était pas le sujet central. Ce qui m’importait c’était de passer du temps avec elle. De son côté, elle me conseillait sur ma carrière de photographe. Les photographies de ma mère ne portaient pas sur le fait de fumer – bien qu’elle avait toujours une cigarette à portée de main et ce, jusqu’à ce qu’on lui diagnostique l’emphysème (maladie pulmonaire) et qu’elle a été forcée de s’arrêter. Près de la fin de sa vie, même si elle était terrifiée à l’idée d’avoir fumé pendant 47 ans, elle me disait toujours: « Je me grillerais bien une cigarette. »

Peux-tu décrire cette série en trois mots ?

Mom, 1960, Extrait de « 1 029 398 Cigarettes » © James Friedman
Mom, 1990, Extrait de « 1 029 398 Cigarettes » © James Friedman

Force, regret et bravoure.

En (sa)voir plus

Découvrez l’intégralité du travail de James Friedman sur son site Internet : www.jamesfriedmanphotographer.com

Explorez
Mirko Ostuni : une adolescence dans les Pouilles
© Mirko Ostuni, Onde Sommerse.
Mirko Ostuni : une adolescence dans les Pouilles
Dans Onde Sommerse, Mirko Ostuni dresse le portrait de sa propre génération se mouvant au cœur des Pouilles. Cette jeunesse tendre et...
20 décembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Ces séries photographiques qui cherchent à guérir les blessures
© Maurine Tric
Ces séries photographiques qui cherchent à guérir les blessures
Pour certain·es artistes, la photographie a un pouvoir cathartique ou une fonction guérisseuse. Iels s'en emparent pour panser les plaies...
19 décembre 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les coups de cœur #523 : Claudia Revidat et Sarah Carrier
© Claudia Revidat
Les coups de cœur #523 : Claudia Revidat et Sarah Carrier
Les sujets de Claudia Revidat et Sarah Carrier, nos coups de cœur de la semaine, se révèlent dans des teintes chaudes. La première...
16 décembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nicolas Serve : en cure et à cri
© Nicolas Serve
Nicolas Serve : en cure et à cri
Dans Les Abîmés, Nicolas Serve poursuit son travail sur la dépendance à certaines substances. Ici, il raconte la cure de désintoxication...
12 décembre 2024   •  
Écrit par Gwénaëlle Fliti
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Ces séries de photographies qui capturent l'hiver
© Axelle de Russé
Ces séries de photographies qui capturent l’hiver
L’hiver, ses terres enneigées et ses festivités se révèlent être la muse d’un certain nombre de photographes. En ce jour de Noël, la...
Il y a 10 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Susan Meiselas reçoit le prix Outstanding Contribution to Photography
© Susan Meiselas
Susan Meiselas reçoit le prix Outstanding Contribution to Photography
Le Sony World Photography Awards a remis à Susan Meiselas le prix Outstanding Contribution to Photography pour sa contribution...
24 décembre 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
La sélection Instagram #486 : lumières de Noël
© lepgiu22 / Instagram
La sélection Instagram #486 : lumières de Noël
Guirlandes lumineuses, sapins enchantés, poudreuse immaculée et papier cadeau... Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine...
24 décembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #524 : Jan Makowski et Mathilde Cybulski
À nos balades écarlates © Mathilde Cybulski
Les coups de cœur #524 : Jan Makowski et Mathilde Cybulski
Jan Makowski et Mathilde Cybulski, nos coups de cœur de la semaine, nous emmènent sur le chemin des émotions. Tandis que le premier...
23 décembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger