C’est le voyage qui lie Leyna Amly et William Keo, nos coups de cœur #335. L’une porte un regard féminin sur son pays natal, et le second capture l’émergence de la haine dans des territoires en tension.
Leyna Amly
« Je me suis tournée vers la photographie quand j’avais 13 ans environ, avec un boîtier qui ressemblait plus à un jouet qu’autre chose. Je l’avais acheté au marché noir de Casablanca. J’étais, à l’époque, obnubilée par les photos de famille et je passais mon temps à regarder les albums soigneusement organisés par ma mère. J’aimais ces bouts de papier qui racontaient notre histoire, qui témoignaient de moments que j’oubliais. La photographie est ma madeleine de Proust »,
confie Leyna Amly. C’est au cours de voyages que l’artiste franco-marocaine de 26 ans exerce son œil et découvre le monde de l’image. France, Chili, Espagne, Brésil… Son retour au Maroc, suite à la crise sanitaire, lui permet finalement de réaliser « des projets audiovisuels en terre connue ». Fascinée par la vie urbaine comme le monde rural, la photographe s’attache à faire resurgir la beauté là où on ne la perçoit plus. Qualifiant sa pratique de « poétique et vernaculaire », elle flâne, et fige des traces, des connexions qui provoquent l’émotion. Une manière de représenter, avec originalité, son pays natal. « Aujourd’hui, nous voyons de plus en plus d’artistes qui proposent une autre vision que celle d’un Maroc soumis au prisme du tourisme et de l’orientalisme. J’en suis très admirative et fière. Mais cela reste un monde majoritairement masculin. Je développe pour ma part un “moroccan female gaze” qui entend évoquer ma posture au sein de cette société », précise-t-elle.
© Leyna Amly
William Keo
William Keo, photographe franco-cambodgien de 24 ans, développe une œuvre ancrée dans l’actualité, centrée autour d’une thématique particulière : « l’émergence des haines intercommunautaires ». « Tous mes projets ont des racines historiques, que ce soit l’islamophobie datant de l’Empire des Indes, les conséquences des accords Sykes-Picot ou encore l’éclatement de l’URSS », précise-t-il. Influencé par le reportage, l’auteur aime « aller à contretemps de l’actualité, pour sortir de la traditionnelle photo de conflit ». Dans les zones en tension, il cherche, loin de la violence et de l’action, à informer tout en surprenant. Une volonté que l’on retrouve dans Northeast Syria : no friends but the mountains. « J’ai longtemps travaillé sur les conséquences de la guerre civile syrienne sans jamais y aller. En octobre 2019, les troupes américaines se sont retirées du pays, ce qui a provoqué une escalade de violences. La Turquie en a profité pour lancer une large offensive dans le nord du pays, et Daesh a saisit l’occasion pour renaître de ses cendres. C’est à ce moment-là que je m’y suis rendu », confie-t-il. Sur place, il capture ce qu’il perçoit comme « une guerre lente ». Soigneusement composés, ses clichés évoquent cet enlisement, ce calme trompeur. Dans ce paysage désertique, la lutte, sous-jacente, devient une protagoniste invisible, mais non moins menaçante.
© William Keo
Image d’ouverture : © Leyna Amly