Originaire d’Arabie saoudite et établie à New York, Nouf Aljowaysir se définit comme une artiste des nouveaux médias. Formée en architecture informatique et en codage créatif, elle explore diverses technologies émergentes afin d’étudier leur impact sur les notions de culture, de langage et d’identité, ainsi que la manière dont elles façonnent notre avenir. Ses projets dépassent les frontières et s’invitent dans les galeries et festivals en Amérique, en Asie et en Europe, notamment au Centre Pompidou, à Paris. En 2019, au sein d’une équipe d’innovation numérique d’une agence publicitaire, elle utilise pour la première fois l’intelligence artificielle (IA). « C’était assez inhabituel à l’époque, car l’IA n’avait pas encore atteint le niveau de notoriété qu’elle a actuellement, se remémore l’artiste. Après avoir travaillé avec cette technologie à des fins commerciales, j’ai voulu l’examiner d’un point de vue personnel et critique. » Une manière d’exploiter les IA sur un plan artistique, loin des fonctions pour lesquelles elles ont été conçues. « La plupart sont des boîtes noires. Leurs créateurs ne savent pas expliquer comment ces algorithmes parviennent à des résultats précis. C’est un problème lorsque nous les utilisons sur le plan commercial ou politique. Si l’on ne comprend pas leur fonctionnement, leur impact sur la société est incertain », s’alarme Nouf Aljowaysir. Son approche consiste alors à montrer des images et à poser des questions à des IA qui n’ont pas été conçues pour y répondre. Une manière pour l’artiste de repousser les limites de ces programmes et d’en déchiffrer les rouages.
Sans être photographe, Nouf Aljowaysir accorde une place significative au médium dans sa pratique artistique. La photographie lui permet notamment de se souvenir des personnes croisées, et de mieux comprendre l’atmosphère de l’époque. « J’ai grandi avec de nombreux albums photos de ma sœur et moi réalisés par ma mère. Elle disait qu’elle documentait autant que possible pour garder nos souvenirs en vie. Nous avons aussi plusieurs portraits de membres de ma famille qui m’ont beaucoup appris sur leur personnalité, leur façon de penser et plus généralement sur l’Irak des années 1950 à 1970. La photographie est un outil important pour préserver ce que nous pouvons consulter et étudier par la suite », précise l’artiste. En 2020, à l’aide de ces images récoltées au fil des générations, elle donne naissance à Salaf – « ancêtre », en arabe. Ce projet symbolise son parcours familial à travers le prisme de l’IA. L’identité a toujours été un sujet central pour celle qui a émigré d’Arabie saoudite vers les États-Unis à l’âge de 13 ans. « Les questions d’appartenance et de foyer étaient difficiles à comprendre pour moi car je me déplaçais entre deux cultures. Je me suis demandé si l’IA pouvait m’aider à trouver une réponse ou à visualiser le passé », explique-t-elle. Ses recherches gravitent autour des membres de sa famille et remontent jusqu’au début du XIXe siècle. Des images d’archives de la collection orientaliste du Getty Museum, des vidéos et des objets s’accumulent pour nourrir différents tests numériques imaginés par Nouf Aljowaysir.
L’artiste souhaite voir si l’IA peut détecter, déchiffrer ou même régénérer les données visuelles collectées. Certaines techniques de vision par ordinateur – telles qu’Amazon Rekognition, Microsoft Azure AI Vision ou encore YOLO – lui permettent d’examiner la détection et la classification d’objets dans ses images. Grâce à im2txt, Nouf Aljowaysir se concentre sur la manière dont ses données sont décrites afin d’évaluer comment l’IA est « entraînée à voir [sa] culture ». « Le résultat de cette série est généré avec U-2 Net, un programme de segmentation d’images. Mais j’ai également utilisé StyleGAN2, un réseau neuronal génératif qui m’a permis de produire de nouvelles ombres troublantes. En déformant et en créant une forme d’absence visuelle, j’ai été capable d’illustrer l’effacement de mes ancêtres », spécifie celle qui se sent profondément inspirée par les réflexions artistiques et oniriques de la photographe iranienne Shirin Neshat.