Les disparitions programmées de Nouf Aljowaysir

12 octobre 2023   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Les disparitions programmées de Nouf Aljowaysir
© Nouf Aljowaysir
© Nouf Aljowaysir

Originaire d’Arabie saoudite et établie à New York, Nouf Aljowaysir se définit comme une artiste des nouveaux médias. Formée en architecture informatique et en codage créatif, elle explore diverses technologies émergentes afin d’étudier leur impact sur les notions de culture, de langage et d’identité, ainsi que la manière dont elles façonnent notre avenir. Ses projets dépassent les frontières et s’invitent dans les galeries et festivals en Amérique, en Asie et en Europe, notamment au Centre Pompidou, à Paris. En 2019, au sein d’une équipe d’innovation numérique d’une agence publicitaire, elle utilise pour la première fois l’intelligence artificielle (IA). « C’était assez inhabituel à l’époque, car l’IA n’avait pas encore atteint le niveau de notoriété qu’elle a actuellement, se remémore l’artiste. Après avoir travaillé avec cette technologie à des fins commerciales, j’ai voulu l’examiner d’un point de vue personnel et critique. » Une manière d’exploiter les IA sur un plan artistique, loin des fonctions pour lesquelles elles ont été conçues. « La plupart sont des boîtes noires. Leurs créateurs ne savent pas expliquer comment ces algorithmes parviennent à des résultats précis. C’est un problème lorsque nous les utilisons sur le plan commercial ou politique. Si l’on ne comprend pas leur fonctionnement, leur impact sur la société est incertain », s’alarme Nouf Aljowaysir. Son approche consiste alors à montrer des images et à poser des questions à des IA qui n’ont pas été conçues pour y répondre. Une manière pour l’artiste de repousser les limites de ces programmes et d’en déchiffrer les rouages.

Sans être photographe, Nouf Aljowaysir accorde une place significative au médium dans sa pratique artistique. La photographie lui permet notamment de se souvenir des personnes croisées, et de mieux comprendre l’atmosphère de l’époque. « J’ai grandi avec de nombreux albums photos de ma sœur et moi réalisés par ma mère. Elle disait qu’elle documentait autant que possible pour garder nos souvenirs en vie. Nous avons aussi plusieurs portraits de membres de ma famille qui m’ont beaucoup appris sur leur personnalité, leur façon de penser et plus généralement sur l’Irak des années 1950 à 1970. La photographie est un outil important pour préserver ce que nous pouvons consulter et étudier par la suite », précise l’artiste. En 2020, à l’aide de ces images récoltées au fil des générations, elle donne naissance à Salaf – « ancêtre », en arabe. Ce projet symbolise son parcours familial à travers le prisme de l’IA. L’identité a toujours été un sujet central pour celle qui a émigré d’Arabie saoudite vers les États-Unis à l’âge de 13 ans. « Les questions d’appartenance et de foyer étaient difficiles à comprendre pour moi car je me déplaçais entre deux cultures. Je me suis demandé si l’IA pouvait m’aider à trouver une réponse ou à visualiser le passé », explique-t-elle. Ses recherches gravitent autour des membres de sa famille et remontent jusqu’au début du XIXe siècle. Des images d’archives de la collection orientaliste du Getty Museum, des vidéos et des objets s’accumulent pour nourrir différents tests numériques imaginés par Nouf Aljowaysir.

© Nouf Aljowaysir
© Nouf Aljowaysir

L’artiste souhaite voir si l’IA peut détecter, déchiffrer ou même régénérer les données visuelles collectées. Certaines techniques de vision par ordinateur – telles qu’Amazon Rekognition, Microsoft Azure AI Vision ou encore YOLO – lui permettent d’examiner la détection et la classification d’objets dans ses images. Grâce à im2txt, Nouf Aljowaysir se concentre sur la manière dont ses données sont décrites afin d’évaluer comment l’IA est « entraînée à voir [sa] culture ». « Le résultat de cette série est généré avec U-2 Net, un programme de segmentation d’images. Mais j’ai également utilisé StyleGAN2, un réseau neuronal génératif qui m’a permis de produire de nouvelles ombres troublantes. En déformant et en créant une forme d’absence visuelle, j’ai été capable d’illustrer l’effacement de mes ancêtres », spécifie celle qui se sent profondément inspirée par les réflexions artistiques et oniriques de la photographe iranienne Shirin Neshat. 

Cet article est à lire en intégralité dans le dernier numéro de Fisheye !
Trouble, Fisheye #61 interroge l’intelligence artificielle
© Lu Hong
Trouble, Fisheye #61 interroge l’intelligence artificielle
Au cœur des débats actuels, l’intelligence artificielle attire autant qu’elle rebute. Loin de défendre ou de blâmer son utilisation, le…
06 septembre 2023   •  
Écrit par Fisheye Magazine
© Nouf Aljowaysir
© Nouf Aljowaysir
© Nouf Aljowaysir
© Nouf Aljowaysir
© Nouf Aljowaysir
Explorez
10 séries autour de la fête pour célébrer la nouvelle année
© Eimear Lynch
10 séries autour de la fête pour célébrer la nouvelle année
Ça y est, 2025 touche à sa fin. Dans quelques jours, un certain nombre d’entre nous célèbreront la nouvelle année avec éclat. À...
27 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Concours de beauté, métropoles et intimité : nos coups de cœur photo de décembre 2025
© Carla Rossi
Concours de beauté, métropoles et intimité : nos coups de cœur photo de décembre 2025
Expositions, immersion dans une série, anecdotes, vidéos… Chaque mois, la rédaction de Fisheye revient sur les actualités photo qui l’ont...
24 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Le 7 à 9 de Chanel : Claire Denis et la fabrique du monde
Tracey Vessey, extrait du film Trouble Every day, film de Claire Denis, Paris, 2001 © Rezo Productions
Le 7 à 9 de Chanel : Claire Denis et la fabrique du monde
Pour ce nouveau 7 à 9 de Chanel au Jeu de Paume, la scénariste et réalisatrice Claire Denis était invitée à revenir sur ses racines, ses...
22 décembre 2025   •  
Écrit par Ana Corderot
Les images de la semaine du 15 décembre 2025 : hommage, copines et cartes postales
© Ashley Bourne
Les images de la semaine du 15 décembre 2025 : hommage, copines et cartes postales
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, nous rendons hommage à Martin Parr, vous dévoilons des projets traversés par l’énergie d’une...
21 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
La sélection Instagram #539 : tout ce qui brille
© Jo Bradford / Instagram
La sélection Instagram #539 : tout ce qui brille
Pour fêter la nouvelle année, les artistes de notre sélection Instagram de la semaine posent leurs regards sur tout ce qui brille : feux...
30 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de coeur #570 : Fahad Bahramzai et Elisa Grosman
© Elisa Grosman
Les coups de coeur #570 : Fahad Bahramzai et Elisa Grosman
Fahad Bahramzai et Elisa Grosman, nos coups de cœur de la semaine, cherchent tous deux à transmettre des émotions par l’image. Le premier...
29 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 22 décembre 2025 : neige, enfance et cinéma
Emcimbini de la série Popihuise, 2024 © Vuyo Makheba, Courtesy AFRONOVA GALLERY
Les images de la semaine du 22 décembre 2025 : neige, enfance et cinéma
C’est l’heure du récap ! Au programme cette semaine : l’éclat ivoire des premiers flocons pour le solstice d’hiver, un retour sur la...
28 décembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
10 séries autour de la fête pour célébrer la nouvelle année
© Eimear Lynch
10 séries autour de la fête pour célébrer la nouvelle année
Ça y est, 2025 touche à sa fin. Dans quelques jours, un certain nombre d’entre nous célèbreront la nouvelle année avec éclat. À...
27 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet