Cette année, le festival photographique du Guilvinec, dans le Finistère, prend un nouveau nom le temps de l’été : Les Femmes et la mer. Pendant cinq mois – jusqu’au 31 octobre prochain –, quinze photographes y exposent leur travail autour des liens entre femmes et milieu maritime.
« Les temps changent », écrit le président du festival, René Claude Daniel, dans le texte de présentation, soulignant combien il reste rare pour des femmes de produire des images au sein d’environnements encore largement masculins. Si certain·es ont pris la mer, d’autres ont plongé au cœur des abysses, ou sont tout simplement resté·es à terre, pour témoigner de l’imaginaire marin dans nos vies ou raconter les univers qui naissent au bord de l’eau. Hélène David, Aline Escalon, Mahka Eslami et Virginie Seiller – pour ne citer qu’elles – présentent quinze travaux passionnants, aux registres et aux médiums variés : documentaire, mise en scène, techniques anciennes… Ce festival, déclare-t-il, est aussi celui des habitant·es du port et de tous·tes celles et ceux qui partagent « un goût pour une culture maritime et populaire ».
La mer, reflet de nos corps et de nos récits
Virginie Seiller a capturé des sirènes professionnelles à Hualien, une ville de la côte est de Taïwan, dans un parc aquatique. Chaque jour, elles enchaînent des performances d’une vingtaine de minutes, en apnée, devant un public installé derrière une vitre. Ce métier demande un entraînement physique intense et de l’endurance : « Les sirènes professionnelles ne font que ça, parce que ce travail leur prend beaucoup de temps », explique la photographe. Sur l’île, elles sont respectées et largement appréciées. À l’image de la déesse de la mer, Mazu, « elles sont vues comme des créatures bienfaisantes, un peu comme des fées », assure-t-elle. Pour Virginie Seiller, elles nourrissent un imaginaire vivant autour de figures mythiques venues de la mer, tout en incarnant une forme de lien à l’environnement. Les images qu’elle rapporte de son observation sont colorées et douces, et dégagent une poésie calme et rêveuse.
Avec Trouble, Louise A. Depaume explore la relation au corps dans l’eau à travers le cyanotype. Elle photographie ses modèles en mouvement, dans des piscines ou en milieu naturel, en laissant une grande part à l’improvisation. Elle évoque un rapport ambivalent à l’eau, qui remonte à son enfance passée au bord de l’Oise avec son père pêcheur : une attirance mêlée d’angoisse pour cet élément insaisissable. « Parfois au contraire, une sensation d’extase et de bien-être nous ramène inexorablement au liquide amniotique et à la chaleur réconfortante du ventre maternel », raconte-t-elle. Dans ses images au bleu profond, les ondes fragmentent et distordent le corps qui est alors comme happé par la matière liquide. « L’idée est de capter ces instants où quelque chose bascule – une respiration, un flottement, un sentiment passager ou bien une émotion plus ancrée qui ne demande qu’à sortir », détaille-t-elle. Elle capture ainsi « l’eau telle une peau / que nul ne peut blesser », cite-t-elle en reprenant les très beaux vers de Paul Éluard (« Mouillé », Les Animaux et leurs hommes, les hommes et leurs animaux, 1920).
Julie Wintrebert, elle, s’intéresse à un tout autre rapport au rivage. Dans Crazy Beaches, elle travaille à partir de scènes de plage prises à Camogli, à proximité de Gênes, en Italie. « Une mer turquoise, du sable noir, et surtout une foule immense, un gros chahut », décrit-elle. Pour restituer cette densité, elle superpose les images, joue avec les textures, les formes et les couleurs. « J’ai toujours entretenu une fascination pour le comportement des foules », confie-t-elle. Ce travail, mené sur trois ans, évoque pour elle une certaine effervescence – parfois drôle, parfois tendue ou au contraire euphorique – liée notamment aux corps décomplexés en été. Certaines personnes y ont vu des références religieuses, d’autres des tableaux vivants. « C’est un peu comme une fresque de la vie : il y a l’enfer, le paradis, la légèreté, la tension… C’est tout le paradoxe », résume-t-elle.