Dans l’œil de Jérémy Appert : la mer de toutes les mémoires

Dans l'œil de Jérémy Appert : la mer de toutes les mémoires
© Jérémy Appert / Courtesy of Circulation(s)
JérémyAppert
« Un paysage originel peut générer des sensations immémoriales, une mémoire collective, individuelle et culturelle. »

Jérémy Appert, dont le travail est exposé au festival Circulation(s) jusqu’au 2 juin prochain, a côtoyé pendant plusieurs années celles et ceux qui s’amusent à sauter du haut des falaises des Calanques de Marseille. Pour Fisheye, il revient sur l’une des images marquantes de sa série Ilinx – celle d’une vague immense qui s’apprête à déferler sur deux hommes. 

« À travers la série Ilinx (tourbillon d’eau, en grec ancien, ndlr), le littoral méditerranéen est traduit comme un lieu de confrontation où l’on expérimente l’immensité et la démesure de la nature. Ici, sur cette photographie, il y a deux figures de dos qui font face à une vague de plus de cinq mètres de haut qui s’abat sur eux, et peut-être qu’ils vont rester sur leurs pieds pour cette vague-là mais que la prochaine, encore plus grande, va les emporter et les abattre violemment sur le sol. En soi, cette vague est une manière pour moi de représenter la mer verticalement, de fermer le monde, d’anéantir le vaste. Et de faire surgir une nouvelle inquiétude parmi ces photos : la puissance imprévisible et brutale de la nature. Est-ce que cette vague est un obstacle auquel se confronter pour accéder au monde et à son immensité ? Ou est-ce le symbole de la volonté de toute-puissance de l’humain sur la nature ? Ou encore, est-ce le lieu d’une prise de conscience où l’on accepte notre fragilité, où l’on découvre un nouveau rapport au monde dans lequel on accepte enfin d’être bercé·e, de faire union, et peut-être de découvrir l’immensité en nous-mêmes ?

Il y a une recherche à travers l’esthétique un peu diaphane, surexposée, d’effacer les signes de modernité que sont les chaussures, les shorts de bain, etc. afin de donner à voir un paysage vierge, hors du temps. Je voulais que cette immensité à laquelle ces jeunes font face soit à la fois spatiale et temporelle. Où un paysage originel peut générer des sensations immémoriales, une mémoire collective, individuelle et culturelle. Ce rapport aux origines, il est aussi utra-utérin. C’est la mer nourricière. 

J’ai photographié pendant plusieurs années certaines de ces personnes que j’ai rencontrées, certaines sont devenues des petits frères pour moi. Dans ces moments passés près des falaises, nous échangeons, je saute parfois avec eux. C’est une activité très genrée, d’où la présence essentiellement d’hommes, même s’il peut y avoir quelques femmes parfois. Ce sont divers milieux socio-culturels, car les différences sont gommées par le fait que tout le monde est en maillot de bain. »

À lire aussi
Frédéric Schmiliver ressuscite l'adolescence à Kolovare
Frédéric Schmiliver ressuscite l’adolescence à Kolovare
Chaque été, Frédéric Schmiliver s’immerge dans l’atmosphère de Kolovare, une plage en Croatie, et documente ce lieu hors du temps. Témoin…
20 avril 2023   •  
Écrit par Milena Ill
Lei Davis s’aventure dans le cosmos en plein océan
© Lei Davis
Lei Davis s’aventure dans le cosmos en plein océan
Imaginés comme un prologue et sa suite par son autrice, Lei Davis, Into the Deep et Dark Sky Deep Sea nous plongent dans les abysses…
20 mars 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Explorez
Cinzia Romanin et l’éloge de la lenteur face à l’écoanxiété
© Cinzia Romanin
Cinzia Romanin et l’éloge de la lenteur face à l’écoanxiété
À la chambre, la photographe belgo-italienne Cinzia Romanin capture un monde façonné par les avancées technologiques et le...
11 septembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Avec Clara Chichin, la nature s'évapore et le monde s'endort
© Clara Chichin / Hans Lucas
Avec Clara Chichin, la nature s’évapore et le monde s’endort
Clara Chichin développe une poétique du fragment et de l'errance, où la nature, puissamment élégante, figure une carte de l’esprit humain...
04 septembre 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Les ballades récréatives d'Anne-Laure Étienne
Oscar les vacances © Anne-Laure Étienne
Les ballades récréatives d'Anne-Laure Étienne
Frànçois and The Atlas Mountains, Oscar les Vacances, Hannah Miette, Cindy Pooch, KCIDY... Ces multiples noms partagent une musique...
27 août 2024   •  
Écrit par Milena Ill
La sélection Instagram #468 : à bout de souffle
© nodo.bra / Instagram
La sélection Instagram #468 : à bout de souffle
Un courant d’air s’invite dans notre sélection Instagram de la semaine. Il se laisse porter à travers des images qui l’inhalent. Chaque...
20 août 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Winning africa : frères de sueur
© Guillaume Landry
Winning africa : frères de sueur
Loin des clichés, Guillaume Landry, photographe professionnel depuis 2005, fait émerger des corps en mouvement, des corps au sport. Avec...
14 septembre 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Joanna Piotrowska mêle l’étrange à la mémoire de l’intime
© Joanna Piotrowska, courtesy of the artist and Marian Goodman Gallery
Joanna Piotrowska mêle l’étrange à la mémoire de l’intime
Jusqu’au 5 octobre 2024, la Galerie Marian Goodman consacre une exposition à Joanna Piotrowska dans son espace parisien du 66, rue du...
13 septembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Dans Fisheye, les photographes japonais·es écrivent des histoires au féminin
© Sakiko Nomura
Dans Fisheye, les photographes japonais·es écrivent des histoires au féminin
Enjeux sociétaux, crise environnementale, représentation du genre… Les photographes publié·es sur Fisheye ne cessent de raconter, par le...
13 septembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
The Season : Giulia Vanelli et l’étrangeté des lieux familiers
© Giulia Vanelli
The Season : Giulia Vanelli et l’étrangeté des lieux familiers
Quelque part dans un village côtier de la Méditerranée, la photographe italienne Giulia Vanelli nous invite à prendre une dernière pause...
13 septembre 2024   •  
Écrit par Agathe Kalfas