Exposée jusqu’au 4 juin au festival Circulation(s), La grande maison nous immisce dans les mémoires sombres de Natalie Malisse. À travers ce projet, la photographe belge explore la violence intrafamiliale dont elle a été victime.
« Tu es bonne pour l’asile », « Avoue que quand je te gifle, tu arrêtes de pleurer. Reconnais que ça marche bien ! », « Un jour, quand tu seras grande, tu battras tes enfants et ton fils te battra en retour. » Ces paroles choquent profondément. Et pourtant, Natalie Malisse avait cinq ans lorsqu’on les a prononcées à son égard. Selon l’enquête Genèse réalisée en 2021 par le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure, plus d’une femme sur cinq et près d’un homme sur six, âgé·es de 18 à 74 ans, déclarent avoir subi une violence intrafamiliale avant l’âge de 15 ans, qu’elle soit d’ordre psychologique, physique ou sexuelle. Un constat glaçant. Dans La grande maison, la photographe retourne sur les traces de son enfance douloureuse et interroge un sujet de société souvent passé sous silence.
Étudiante en master à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Gand, Natalie Malisse manie l’image et le texte pour mettre en lumière des thématiques liées à la santé mentale, au handicap ou encore aux inégalités de genre. En somme, des « territoires où convergent privé et politique ». Lors d’un cours artistique, ses camarades et elle-même sont invité·es à faire dialoguer le visuel d’un lieu et le récit d’évènements dont il avait été le décor. « À l’époque, cela faisait plusieurs mois que j’étais en proie à des cauchemars récurrents en lien avec mes souvenirs d’enfance. J’ai eu envie de les mettre en images », se remémore l’artiste qui qualifie sa pratique à l’intersection du documentaire et de la photographie plasticienne. C’est de cette manière qu’elle retourne dans « la grande maison » – le domicile où elle a grandi et qu’elle aimait appeler de la sorte lorsqu’elle était enfant – afin de capturer « des silhouettes, des objets et des ombres » lié·es à cette période de sa vie.
Une consolation en monochrome
La froideur et la rugosité d’une râpe de cuisine, un regard vidé de toute âme ou une paire de chaussures masculines rigides, les détails capturés de ci et de là par Natalie Malisse interpellent par leur banalité ainsi que par les faits marquants qui peuvent en découler. « Toutes les images sont en noir et blanc parce que mes cauchemars étaient complètement désaturés », explique la photographe installée à Bruxelles. Pour elle, cette série n’est pas une forme d’exécutoire mais de consolation. « Elle m’a permis de me réapproprier cette partie de mon enfance. La grande maison est maintenant liée à des souvenirs de prises de vues, à des moments de calme, de silence, de concentration. Je n’ai jamais cherché à ce que ce projet soit thérapeutique mais aujourd’hui, bientôt cinq ans après les prémisses, j’ai retrouvé le sommeil », confie-t-elle.
Une image en particulier résonne dans les yeux de l’autrice. Celle d’un grand arbre élancé. Elle explique que certaines personnes perçoivent un loup ou un dragon et la plupart ne voient qu’un arbre. Puis, elle poursuit : « Si cette image peut symboliser les terreurs nocturnes de l’enfance, elle représente pour moi avant tout les violences qui se cachent derrière les apparences. » Pour l’élaboration de ce travail réalisé entre 2018 et 2022, Natalie Malisse s’est accompagnée des romans graphiques emplis de délicatesse de Julie Delporte et des chansons aux notes douces et percutantes de Pomme. À son tour, La Grande Maison se transformera bientôt en livre. Un futur objet de réconfort et de tendresse à cajoler pour panser nos souvenirs les plus obscurs.
© Natalie Malisse