La photographe documentaire Polly Alderton vit avec son mari et ses quatre enfants dans l’est de l’Angleterre. Elle signe The Devil Won’t Keep, un album de famille décalé et nostalgique.
Souvent, en feuilletant les albums de famille, on a envie d’arrêter le temps et d’immortaliser les êtres chers. La photographe Sally Mann s’est fait connaître en 1992 avec la publication de son livre Immediate Family. Elle répondait dans l’ouvrage à une polémique. On lui reprochait son exhibitionnisme à l’égard de sa famille et de ses enfants. Les nus et autres poses provocantes ont choqué. Polly Alderton a toujours photographié sa famille. Ses enfants, ses sœurs et ses parents constituaient ses modèles favoris. Adulte, elle capture le quotidien de son mari et de ses quatre enfants. Il y a quatre ans seulement, Polly Alderton a donné forme à la série The Devil Won’t Keep, rassemblant des photographies prises dans sa maison et aux alentours. L’occasion de concrétiser un travail intuitif, qu’elle avait entamé de façon inconsciente. « Prendre des photos, ça fait partie de notre vie. C’est familier et je l’ai toujours fait sans me poser de questions », constate-t-elle. Cette pratique donne lieu à des images intimes, spontanées et amusantes. Pourtant, son travail mêle cette innocence propre à l’enfance et des thématiques plus troublantes comme la peur de la mort et de l’abandon.
L’insouciance et la perte
« Ma plus grande peur est qu’un jour je quitterai cette vie et je devrai laisser à mes enfants un portrait de ce qu’ils représentaient pour moi. Ce travail deviendra à son tour un souvenir de moi »,
confesse-t-elle. Préoccupée par la fuite du temps, elle crée un univers nostalgique, inspirée par des photographes comme Richard Billingham, auteur du livre Ray’s a Laugh (1996) et des cinéastes comme Gus van Sant. Son travail, aux résonances cinématographiques, aborde les thèmes de la perte, de l’éphémère et de l’étrangeté de l’enfance. Le titre de la série fait référence au diable, et évoque la fuite du temps et la disparition. « C’est parfois accablant d’être mère. J’ai grandi avec la peur de l’abandon. Avec ce travail, j’ai essayé de me guérir moi-même, de ré-imaginer ma propre enfance et de grandir aux côtés de mes enfants. » Pourtant, The Devil Won’t Keep respire l’insouciance de l’enfance et du jeu. Polly Alderton se dit inspirée par Tierney Gearon, photographe auteure du documentaire The Mother Project (2006). Dans ce travail, elle raconte comment elle a grandi et s’est reconstruit aux côtés de ses enfants. « Cette idée de se guérir a toujours résonné en moi. Je pense que je fais la série pour mes enfants, mais c’est aussi pour moi », confie Polly Alderton. « C’est finalement un travail qui ne vise personne, je l’ai juste fait comme beaucoup de parents qui photographient leurs enfants », déclare-t-elle. La série, comme tout album de famille, n’est pas achevée. Un objet qui immortalise des scènes éphémères et saisit la magie troublante de l’enfance.
© Polly Alderton