L’œuvre de Dennis Morris, photographe de Bob Marley et des Sex Pistols, se dévoile à la MEP

Il y a 2 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
L’œuvre de Dennis Morris, photographe de Bob Marley et des Sex Pistols, se dévoile à la MEP
Sid Vicious, Stockholm, Suède, 25 juillet 1977 © Dennis Morris
Dennis Morris, Mariage, Hôtel de Ville de Hackney Mare Street, Londres, 1971
Mariage, Hôtel de Ville de Hackney Mare Street, Londres, 1971 © Dennis Morris

Jusqu’au 18 mai 2025, la MEP accueille Music + Life, la première rétrospective consacrée à Dennis Morris en France. Comme son nom l’indique, l’exposition donne à voir un large échantillon d’images que le photographe a réalisées dans sa jeunesse. À cela s’ajoutent ses portraits emblématiques d’icônes de la scène musicale.

Si son nom ne vous dit rien, ses compositions vous sont nécessairement familières. Au fil de sa carrière, Dennis Morris a su s’imposer sur la scène musicale et a noué des liens privilégiés avec de grands artistes du milieu. Parmi eux se comptent Bob Marley ou encore les Sex Pistols, pour qui il a notamment réalisé de nombreuses pochettes d’album. Ces portraits, qui ont marqué les esprits, ont participé à façonner leur image. En creux, ils ont même créé « des identités culturelles entières », souligne Simon Baker. Depuis leur rencontre, il y a une décennie, le directeur de la MEP rêvait de consacrer une exposition au parcours singulier de cet acteur de la contre-culture musicale. C’est désormais chose faite avec Music + Life. Articulée autour de l’intime, l’engagement et bien évidemment la musique, la rétrospective a été pensée en étroite collaboration avec le photographe et sa femme, Isabelle Chalard, mais également avec la Photographers’ Gallery, à Londres, qui accueillera l’événement par la suite. 

Admiral Ken et ses « box-men », (transportant le matériel de sonorisation)
Admiral Ken et ses « box-men », (transportant le matériel de sonorisation), Hackney, Londres, 1973 © Dennis Morris
Un homme avec ses deux filles et son bien le plus précieux, Southall, 1976
Un homme avec ses deux filles et son bien le plus précieux, Southall, 1976 © Dennis Morris
Blues Dance Queen, Hackney, Londres, 1975
Blues Dance Queen, Hackney, Londres, 1975 © Dennis Morris

Un destin hors du commun

Dennis Morris s’est pris de passion pour la musique et la photographie dès l’enfance. Dans son histoire, ces deux disciplines se révèlent intimement liées. De fait, c’est le professeur de chant de la chorale où il était inscrit qui l’initia au médium. Le procédé le fascina et lui permit de s’engager dans le monde, de lutter différemment contre la marginalisation. Issu de l’immigration jamaïcaine, ce Britannique d’adoption fit face à la précarité. Ses premiers tirages donnent à voir l’église qu’il fréquentait, son logement exigu et son studio improvisé dans le salon de ses parents. Les portraits de ses proches mettent l’accent sur leurs tenues vestimentaires et saisissent l’énergie des soirées dansantes qui rythmaient les semaines. Celles-ci prenaient place dans les sous-sols qui abritaient la culture sound system, venue des ghettos de Kingston, en Jamaïque. À l’image, les êtres apparaissent en mouvement, le sourire aux lèvres, ou bien de profil, comme des silhouettes. Toutefois, leurs contours se distinguent des ombres tant ils évoquent les festivités environnantes et la fierté d’exister en dépit des difficultés : la posture est droite, la tête haute et l’apparat se devine. Tous ces éléments s’imposent comme autant de fragments de sa réalité que de signes caractéristiques de ses œuvres à venir. 

Malgré son jeune âge, son sens de la composition est déjà remarquable. À travers sa pratique documentaire, tout un pan de l’histoire du Royaume-Uni, alors marqué par une forte vague d’immigration, se dessine. Outre la communauté jamaïcaine, il révèle notamment le quotidien de la population sikhe installée à Southall, un grand quartier de banlieue situé à l’ouest de Londres. L’artiste capture la transformation de la société et montre ainsi les nouvelles identités culturelles qui en découlent. Des personnalités émergent, à l’instar de Bob Marley, et s’érigent en modèles de la jeune génération. Pour Dennis Morris, l’auteur-compositeur-interprète prend même la forme d’une figure tutélaire, en témoigne une salle du musée. Depuis le pas de la porte, le public aperçoit un immense portrait, bien connu, qui le surplombe. Autour, les murs sont recouverts de peinture couleur espoir qui cristallise un tournant dans la vie du photographe qui, à 16 ans, a séché les cours pour demander à son idole s’il pouvait l’immortaliser. Impressionnée par son talent, elle accepta volontiers et l’invita à la suivre en tournée. Cette rencontre scella un destin hors du commun.

Bob Marley
Babylon by van, Londres, 1973 © Dennis Morris
Bob Marley au Lyceum Theatre, Londres, juillet 1975
Lyceum Theatre, Londres, juillet 1975 © Dennis Morris

Le paysage musical d’une époque

Également musicien, Dennis Morris n’est pas seulement un observateur. Sur scène comme en coulisses, il met en lumière des aspects méconnus des artistes. Avant de les transformer en icônes, il a instauré une relation de confiance qui lui a donné accès à ces facettes. Au cœur d’un espace rouge, qui traduit l’intensité, les clichés de concerts se multiplient, les pochettes de vinyles aussi. Le photographe a imaginé leur direction artistique au global, pensant leur image dans les moindres détails. « Il a réinventé la manière de promouvoir la musique », assure Simon Baker. Les stars jamaïcaines du reggae se découvrent tour à tour sur les airs qu’elles ont composés tandis que des coupures de presse, rassemblées au centre de la pièce, évoquent leur célébrité. « Tout est une question de vision », indique à juste titre Dennis Morris en souriant.

Avec l’expérience, son style s’est affirmé et le reggae a laissé peu à peu place au punk. Un parallèle existe entre les deux genres musicaux : tous deux sont écoutés par de jeunes rebelles en marge de la société. Une nouvelle salle aux murs chartreuse – une nuance de vert sans doute plus subversive – semble appuyer cette idée et symboliser un regain de créativité. Les membres des Sex Pistols, autre groupe que Dennis Morris a accompagné en devenant son photographe attitré, s’affichent fièrement sur des tirages aux couleurs vives. La mode, si reconnaissable, est célébrée, de même que la foule, désormais figée dans sa danse désordonnée malgré une bande-son qui retentit bel et bien en fond. La chambre d’hôtel que Sid Vicious, dans un accès de colère, a détruite est également représentée et accentue ce chaos à l’image pourtant maîtrisée. Une nouvelle fois, l’artiste met son regard à profit et contribue à sa manière à élaborer l’esthétique d’un mouvement.

Au fil de sa carrière prolifique, Dennis Morris a esquissé le paysage musical d’une époque. À l’étage de la MEP, les noms des artistes qui y ont pris part sont inscrits en lettres capitales dans un couloir. Pour tous les lire, il faut lever la tête. Marianne Faithful, Prince, Patti Smith, Grace Jones, Oasis, Donna Summer, Stevie Wonder, Sylvester, Radiohead, Les Rita Mitsouko, Marvin Gaye, U2, Supergrass… Ne pouvant prendre du recul, la liste nous semble d’autant plus impressionnante, si ce n’est plus vertigineuse. Derrière cette cloison se trouve un recoin au sein duquel sont projetés des clichés. Il y a des bancs. Une autre forme de contemplation est possible. Elle est plus calme et rappelle l’intimité qu’il établissait avec ses modèles. L’héritage qu’il laissera est si grand qu’il le dépasse. En ce sens, un dernier espace, où un véritable sound system diffuse de la musique, fait fi des tirages en tant que tels pour donner quelques exemples de supports sur lesquels ont été apposés ses portraits. Parmi eux figurent des pochettes de disque, donc, mais également des livres, des affiches ou encore des T-shirts. L’ensemble constitue finalement la preuve certaine que l’œuvre de Dennis Morris lui survivra.

Music + Life Dennis Morris
Dennis Morris, Portrait, 1973 © Dennis Morris
En cours
Exposition
Music + Life Dennis Morris
05.0218.05
MEP
Avec Music + Life, la MEP dévoile la première rétrospective personnelle et photographique de Dennis Morris en France.
Sid Vicious, Stockholm, Suède, 25 juillet 1977
Sid Vicious, Stockholm, Suède, 25 juillet 1977 © Dennis Morris
Séance photo pour l'album Public Image First Issue, 1978
Séance photo pour l’album Public Image First Issue, 1978 © Dennis Morris
Les membres originaux du groupe Oasis, Japon, 1994
Les membres originaux du groupe Oasis, Japon, 1994 © Dennis Morris
Patti Smith durant la tournée promotionnelle pour l'album Horses, Londres, 1976
Patti Smith durant la tournée promotionnelle pour l’album Horses, Londres, 1976 © Dennis Morris
Rita Mitsuko, Paris, 1993
Rita Mitsuko, Paris, 1993 © Dennis Morris
Foule en délire, Coventry, Royaume-Uni, 1977
Foule en délire, Coventry, Royaume-Uni, 1977 © Dennis Morris
Marianne Faithfull, photo pour l'album Broken English, 1979 (Island Records)
Marianne Faithfull, photo pour l’album Broken English, 1979 (Island Records) © Dennis Morris
The Stones Roses, Londres, 1989
The Stones Roses, Londres, 1989 © Dennis Morris
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