Le 4 juillet 2024, durant la semaine d’inauguration des Rencontres d’Arles, la Bourse du Talent a distingué ses trois lauréat·es 2024. Trois artistes plaçant l’humain et son rapport au territoire au cœur d’une pratique documentaire résolument contemporaine.
Développée par Didier de Faÿs et Picto Foundation, la Bourse du Talent s’impose, depuis 1998, comme un véritable tremplin pour les photographes émergent·es. Une volonté réaffirmée en 2023, grâce à une nouvelle proposition : mettre en avant les nouvelles écritures documentaires. Chaque année, trois bourses sont ainsi décernées à des auteurices croisant photographie, arts plastiques, sciences ou encore littérature pour mieux donner à voir le monde dans lequel nous évoluons. Les projets sélectionnés seront ensuite exposés à la BnF, dans le cadre de l’exposition La Photographie à Tout Prix, du 10 décembre 2024 au 29 mars 2025.
C’est durant la première semaine des Rencontres de la Photographie d’Arles, le 4 juillet dernier, que le jury – notamment composé d’Héloïse Conésa, conservatrice en chef du patrimoine en charge de la collection de photographie contemporaine de la BnF, Kamila K Stanley, lauréate de la Bourse du Talent 2023, Béatrice Taupin, créatrice et directrice du festival Les femmes s’exposent, Séverine Gay Degrendele, commissaire d’exposition d’Impulse Festival et Victor Gassmann, secrétaire général de Picto – a annoncé ses lauréat·es 2024 : Hassan Kurbanbaev, Guillaume Holzer et Karla Hiraldo Voleau.
Un portrait complexe de l’Ouzbékistan
Installé à Tachkent, en Ouzbékistan, Hassan Kubanbaev a été témoin de changements politiques de grande ampleur dans son pays d’origine – assouplissement du contrôle des médias, censure levée partiellement, amélioration des conditions de vie des artistes indépendant·es. Une évolution qui inspire sa pratique photographique. Flous artistiques, palette douce, portraits et paysages paisibles… Au cœur de Sans titre (Portrait de l’Ouzbékistan), l’auteur laisse parler son intuition, ébauche des bribes de récits, de réflexions, pour interroger le patrimoine visuel du territoire : qu’est-ce que les archives disent de celui-ci ? Grâce à quelle perspective ? « Comment est-ce que je nous perçois ? Comment capturer notre essence à travers l’objectif ? Et comment est-ce que je veux que nous soyons vu·es ? », s’interroge-t-il. Un travail à la splendeur contemplative, interrogeant le mythe ouzbek, tout comme la relation entre le pouvoir et le 8e art.
Le nomadisme pour inspiration
Orientant son travail autour de communautés tribales – les Premières Nations en Colombie-Britannique, les Rapa Nui sur l’île de Pâques – Guillaume Holzer s’est d’abord tourné vers la photographie pour documenter le travail de son ONG, consacrée à la conservation des récifs coralliens. Autodidacte, il fait de ses récits visuels des témoignages poétiques de notre relation à la nature. Dans Territoire Nomade, l’auteur met en avant le lien unissant mer, hommes et femmes dans l’archipel de Komodo. Noirs et blancs texturés, eaux scintillantes, corps diffus, s’estompant dans les décors qui les portent habillent sa série, comme une manière de faire l’éloge du nomadisme, et de la liberté physique et intellectuelle qu’il symbolise. Loin de toute notion de fixité, son sujet – tout comme l’écriture visuelle qu’il adopte – s’oppose à l’enracinement, convoquant à la place une fluidité bienvenue, féconde pour la créativité.
Des lois révoltantes
« Alors que les lois telles que Roe v. Wade on fait les gros titres aux États-Unis, la récente mise à jour du code pénal en République dominicaine relance le débat : les tres causales n’y sont toujours pas incluses. Ces conditions fondamentales (inceste, viol, vie de la mère en danger, fœtus non viable) justifient généralement un avortement dans la plupart des pays, mais en République dominicaine, le débat est extrêmement polarisé, éclipsé par un christianisme misogyne et un patriarcat bien ancré », déclare Karla Hiraldo Voleau. Dans Doble Moral, l’artiste mêle image, écriture et performance pour donner la parole aux femmes dominicaines, à travers leurs récits d’avortements clandestins. Car, sur le territoire, la procédure est passible d’une peine d’emprisonnement, jusqu’à deux ans pour les femmes qui la subissent, et vingt ans pour les professionnel·les de santé qui la pratiquent. Dans des mises en scène destinées à révéler la force de ses modèles, elle construit un échange bienveillant, d’où émanent des portraits poignants comme un véritable engagement.