Marcio Pimenta : « Nous pouvons nous donner les moyens d’être et de faire mieux si nous avons l’imagination, le courage et la résilience nécessaires. »

04 juillet 2023   •  
Écrit par Anaïs Viand
Marcio Pimenta : « Nous pouvons nous donner les moyens d'être et de faire mieux si nous avons l'imagination, le courage et la résilience nécessaires. »
© Marcio Pimenta
© Marcio Pimenta

Marcheur, explorateur et photographe pour le National Geographic, Marcio Pimenta est également membre de l’Explorers Club (société américaine de géographie fondée en 1904). Il ne cesse de témoigner de l’histoire de l’humanité, marquée par des conquêtes et des pertes. Fin observateur, il s’immerge dans les communautés qu’il photographie avec une distance juste. Avec son travail Man and Earth, il nous emmène à leur rencontre, et nous invite à nous perdre dans le paysage, à admirer la lumière dessinant ses lignes. Un témoignage captivant sur la crise climatique.

Fisheye : Ton projet Man and Earth a débuté en 2018, avec l’invitation de l’INACH (Institut chilien de l’Antarctique)…

Marcio Pimenta : Oui, j’ai été invité par l’INACH à documenter le travail des chercheurs sur le terrain, en Antarctique. J’y ai ressenti un lien étroit et primordial avec la terre, notre planète. J’ai ressenti beaucoup de paix aussi. Et j’y ai appris que les animaux n’avaient pas peur des humains. La préciosité de l’Antarctique tient au fait qu’il n’y a pratiquement aucune présence humaine. J’ai donc décidé de photographier le changement climatique sous un angle différent. Il me fallait étudier la façon dont nous exploitons le paysage pour obtenir de l’eau, de l’énergie et de la nourriture – tous ces éléments essentiels au maintien de la société.

© Marcio Pimenta
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Radiographie d’un monde en perdition ? Cri d’alarme ? Comment décrirais-tu ton travail ?

Je préfère utiliser le mot « témoin ». Depuis la révolution agricole et la création des premières cités-États, nous nous sommes lentement éloigné·e·s de la nature et avons créé un monde imaginaire dont nous pensons ne pas faire partie. Nous avons donc commencé à modifier les paysages et à limiter nos choix à tout ce qui pouvait être apprivoisé. Ce que nous voyons aujourd’hui, c’est tout simplement cette idée que nous avons cultivée pendant des milliers d’années et qui fonctionne à plein régime. Et moi, vous, nous sommes toutes et tous les témoins de ces histoires que nous avons créées.

Pourquoi as-tu choisi de documenter la crise climatique du point de vue de la géographie et de l’histoire ?

L’identité d’un peuple n’est pas dissociée de la culture, de la politique et du processus historique. Nous devons comprendre comment nous nous situons par rapport à la géographie. Il est, en ce sens, important de constituer un enregistrement qui serait un dépôt des mémoires humaines, de la condition humaine.

© Marcio Pimenta
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Qu’as-tu lu sur le sujet ?

Les géographes Milton Santos et Eric Dardel ont été mes principales références. Ils étaient tellement en avance sur leur temps ! Eric Dardel a développé une philosophie sur notre relation avec la Terre qui est absolument puissante et percutante. Dans son œuvre L’homme et la terre. Nature de la réalité géographique, il défend l’idée selon laquelle « La science géographique présuppose que le monde soit compris géographiquement, que l’homme se sente et se sache lié à la Terre comme être appelé à se réaliser en sa condition terrestre ». Quant au premier, il a compris l’aspect politique comme personne ne l’a fait jusqu’à présent. C’est une erreur de prétendre qu’il existe des endroits vierges ou intouchables sur Terre. Tout est soumis à la condition politique de nos sociétés.

Tu évoques le concept de « stress nexus », de quoi s’agit-il ?

L’eau, la nourriture et la production d’énergie sont des ressources clés du développement. Le contrôle de ces éléments est à l’origine de graves conflits entre les civilisations. Ce que l’on appelle le « stress nexus » est la mise sous pression de ces réserves mondiales pour répondre aux besoins d’une population croissante. La nature ne reconnaît pas les frontières politiques et imaginaires que nous créons. Si une sécheresse survient en Amérique centrale, les gens seront forcés de migrer et il y aura alors un conflit dans notre monde imaginaire. Car les pays frontaliers font partie de cet imaginaire.

À travers ce travail, tu entends « donner du sens au paysage », que cela signifie-t-il ?

Le paysage est ce qui nous entoure. C’est notre première fenêtre sur un monde aux possibilités illimitées. Toute notre construction en tant qu’individu ou en tant que communauté est façonnée par le paysage. Nos capacités naturelles sont construites par les reliefs. Les ressources essentielles (eau, nourriture et énergie) sont fournies par le paysage. Lorsque nous décidons d’en habiter un, ces éléments sont pris en compte et deux options s’offrent à nous : migrer ou le transformer pour lui donner un sens. Pour servir nos besoins aussi. Car sinon, selon notre imaginaire, une rivière n’est qu’une rivière. Jusqu’à ce qu’on lui donne un nom, jusqu’à ce qu’il ait un sens pour notre existence…

© Marcio Pimenta
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Quel est ton lien à la terre ?

J’ai eu la chance que mes parents aient une maison de campagne. Enfant, j’y allais souvent. Nous y restions parfois des mois. Je marchais pieds nus. La terre était donc présente dans ma vie. Et puis, ce contact s’est perdu lorsque j’ai commencé à vivre dans de grandes villes. Mais lorsque je suis allée en Antarctique en 2018, tout est devenu très clair pour moi. J’avais besoin de sentir la terre à nouveau. J’avais besoin de respirer. Mon corps et mon esprit y aspiraient. Mon travail m’a amené naturellement dans des lieux naturels tels que la Patagonie, l’Antarctique, l’Amazonie et d’autres biomes (Un biome est une unité écologique, également appelée aire biotique. Elle fait référence à une vaste zone géographique qui partage un climat, une faune et une flore similaires : un ensemble d’écosystèmes aux conditions écologiques identiques.14 déc. 2018, ndlr). Si je vis aujourd’hui en ville, je marche tous les jours, qu’il pleuve ou qu’il vente, hiver comme été. J’aime les saisons, j’aime apprécier la particularité de chaque moment. Et tous les jours, je fais du vélo. Parfois, j’oublie le temps et je pédale durant 4 à 6 heures, en regardant simplement les différents paysages.

À qui s’adressent ces images ? Aux générations futures, aux climatosceptiques ou aux politiciens qui n’en font pas assez ?

Je dédie ces photographies à l’humanité. Présente et future. Mon souhait est que nous assumions tous·tes le rôle de témoins. Et à ce titre, nous ne pouvons pas laisser les paysages se modifier de manière irresponsable. Lorsqu’une communauté modifie le cours d’une rivière, une autre en est affectée. La Terre nous appartient à tous. Et j’y inclus les autres espèces.

© Marcio Pimenta
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Penses-tu qu’il soit encore possible d’agir sur l’avenir de la planète ?

Je suis toujours positif sur l’avenir. Toutes les décisions que nous avons prises jusqu’à hier étaient limitées par les informations disponibles et les expériences vécues – ou transmises. Élargissons notre vision car il existe des possibilités infinies d’informations, d’expériences et de choix nouveaux qui transformeront nos vies personnelles, nos entreprises et nos gouvernements. Nous pouvons nous donner les moyens d’être et de faire mieux si nous avons l’imagination, le courage et la résilience nécessaires.

Les efforts déployés par les scientifiques pour nous mettre en garde sont magnifiques. Et je veux être optimiste sur le fait que nous choisirons des politiciens qui comprennent que nous devons planifier de manière responsable un avenir où nous pourrons exercer nos capacités. La production d’électricité à partir de ressources extractives, les villes dépourvues d’espaces naturels et les appartements de plus en plus petits ne sont pas une réponse.

Un mot à dire à nos ministres de l’environnement ?

Qu’ils passent moins de temps dans leurs salles climatisées et plus de temps sur le terrain !

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