Marilia Destot : dans le paysage sommeille la mémoire du temps qui passe

15 janvier 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Marilia Destot : dans le paysage sommeille la mémoire du temps qui passe
© Marilia Destot
Collage de Marilia Destot montrant un paysage marin
© Marilia Destot

Dans Memoryscapes, Marilia Destot poursuit son travail de collages aux lignes épurées. À travers cette nouvelle série au long cours, la photographe française évoque avec poésie le temps qui passe, les fragments d’existence qu’il emporte avec lui quand il ne ravive pas d’anciennes blessures.

Memoryscapes est née dans le sillage de The Journey, série à partir de laquelle Marilia Destot a commencé à altérer ses tirages, à concevoir des « paysages illuminés » et des « portraits déchirés ». Fruit d’une juxtaposition d’images de sources variées, ceux-ci lui permettaient de sonder son passé, de même que celui de ses ancêtres. « Au-delà de cette approche familiale et mémorielle, j’avais envie de continuer à explorer la matière photographique et faire des collages sans géographie ni temporalité précises en recyclant des photographies que j’appelle orphelines, c’est-à-dire qu’elles n’appartiennent à aucun projet en particulier », explique-t-elle. En résulte un nouveau chapitre, fait de compositions aux teintes froides, marquées par une entaille qui fend l’espace tel un éclair. Par la métaphore, cette démarche lui permet désormais d’aborder ce temps qui, dans son mouvement perpétuel, étiole des fragments de vie, les efface et ravive parfois des blessures anciennes. Il s’agit d’ « une forme de contemplation et de résilience en même temps », assure-t-elle. 

Collage de Marilia Destot montrant des lignes blanches
© Marilia Destot
Collage de Marilia Destot montrant une montagne fragmentée
© Marilia Destot
Collage de Marilia Destot montrant un arbre
© Marilia Destot

Cultiver les marges entourant les images

Au fil de ses clichés, recomposés par associations de formes, de couleurs et de motifs, Marilia Destot esquisse les contours de territoires qu’elle a traversés dans son quotidien ou au cours de voyages. Les raisons pour lesquelles elle a décidé de les figer lui échappent parfois aujourd’hui, elles se sont perdues dans le flux de l’existence. « Je les ai photographiés à un instant T, mais ils ne sont peut-être déjà plus de ce qu’ils ont été. Je les transforme en créant de nouveaux espaces-temps, imaginaires. J’aime l’idée que plusieurs lieux sans liens, qui sont très éloignés, mais aussi que des histoires se rencontrent, fusionnent », confie l’artiste. Comme des palimpsestes, les paysages se superposent alors, forment du relief et des strates dans une cohérence esthétique. « Pour reprendre la jolie citation d’Agnès Varda, “si on ouvrait des gens, on trouverait des paysages. Si on m’ouvrait moi, on trouverait des plages”. Les lieux ont une mémoire, et nous avons une mémoire sensorielle et sentimentale des lieux, que nous conservons en nous et transmettons parfois sur plusieurs générations », déclare notre interlocutrice.

Le souvenir irrigue les œuvres de la photographe, qui perçoit les albums de famille comme « notre premier roman, notre premier collage ». Cultivant les marges entourant les images, « ces silences volontairement laissés en suspens », Marilia Destot fait appel à la projection de tout un chacun. De fait, tout repère étant aboli, ses créations font preuve d’un certain mystère et les interprétations qui en découlent se font multiples. « Mes Memoryscapes sont une fenêtre donnant à la fois sur une nature contemplée, malmenée, éparpillée, menacée ou menaçante, et sur moi-même, sur mon corps et ma mémoire fragilisés avec le temps. Il s’agit d’un trésor et d’une perte. Je désire autant préserver ces visions que les réinventer. Ces paysages imaginaires deviennent mon échappatoire, ma quête d’une beauté apaisante, une archéologie poétique de ce qu’il reste », conclut-elle.

Collage de Marilia Destot montrant un paysage froid
© Marilia Destot
Collage de Marilia Destot montrant une montagne
© Marilia Destot
Collage de Marilia Destot montrant une main
© Marilia Destot
Collage de Marilia Destot montrant une ligne d'horizon
© Marilia Destot
À lire aussi
Joanna Piotrowska mêle l’étrange à la mémoire de l’intime
© Joanna Piotrowska, courtesy of the artist and Marian Goodman Gallery
Joanna Piotrowska mêle l’étrange à la mémoire de l’intime
Jusqu’au 5 octobre 2024, la Galerie Marian Goodman consacre une exposition à Joanna Piotrowska dans son espace parisien du 66, rue du…
13 septembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Mémoire et écologie : les photographes de Fisheye dévoilent leur vision des Alpes
© Téo Becher
Mémoire et écologie : les photographes de Fisheye dévoilent leur vision des Alpes
Parmi les thématiques abordées sur les pages de notre site comme dans celles de notre magazine, certaines prennent place dans des régions…
27 décembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Explorez
Les coups de cœur #540 : Rosalie Kassanda et François Dareau
© Rosalie Kassanda
Les coups de cœur #540 : Rosalie Kassanda et François Dareau
Nos coups de cœur de la semaine, Rosalie Kassanda et François Dareau, arpentent les rues du monde en quête de quelques étonnements et...
Il y a 4 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
12 expositions photographiques à découvrir en avril 2025
© Delali Ayivi
12 expositions photographiques à découvrir en avril 2025
L’arrivée du printemps fait également fleurir de nombreuses expositions. Pour occuper les journées qui s’allongent ou les week-ends...
18 avril 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Oumayma B. Tanfous : Between I and Lands ou le vertige de l’appartenance
Oumayma Ben Tanfous © 2024
Oumayma B. Tanfous : Between I and Lands ou le vertige de l’appartenance
Photographe et réalisatrice tuniso-canadienne, Oumayma Ben Tanfous signe, avec Between I and Lands, un livre contemplatif, qui dessine...
09 avril 2025   •  
Écrit par Milena III
Valeria Arendar et Eleana Konstantellos : histoire fragmentée d'espionnage au Mexique
The Dice Was Loaded From The Start © Valeria Arendar et Eleana Konstantellos
Valeria Arendar et Eleana Konstantellos : histoire fragmentée d’espionnage au Mexique
Valeria Arendar et Eleana Konstantellos, fondatrices du collectif Melka en 2022, s’intéressent aux histoires de l’espionnage qui a opéré...
08 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les coups de cœur #540 : Rosalie Kassanda et François Dareau
© Rosalie Kassanda
Les coups de cœur #540 : Rosalie Kassanda et François Dareau
Nos coups de cœur de la semaine, Rosalie Kassanda et François Dareau, arpentent les rues du monde en quête de quelques étonnements et...
Il y a 4 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 14 avril 2025 : mémoire et conversations
© Louise Desnos
Les images de la semaine du 14 avril 2025 : mémoire et conversations
C’est l’heure du récap ! Récits intimes, histoires personnelles ou collectives, approches de la photographie… Cette semaine, la mémoire...
20 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Eulogy : Sander Coers et les traumatismes intergénérationnels
© Sander Coers
Eulogy : Sander Coers et les traumatismes intergénérationnels
Au fil de ses projets, Sander Coers sonde la mémoire en s’intéressant notamment à l’influence que nos souvenirs exercent sur notre...
19 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
12 expositions photographiques à découvrir en avril 2025
© Delali Ayivi
12 expositions photographiques à découvrir en avril 2025
L’arrivée du printemps fait également fleurir de nombreuses expositions. Pour occuper les journées qui s’allongent ou les week-ends...
18 avril 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine