Dans Memoryscapes, Marilia Destot poursuit son travail de collages aux lignes épurées. À travers cette nouvelle série au long cours, la photographe française évoque avec poésie le temps qui passe, les fragments d’existence qu’il emporte avec lui quand il ne ravive pas d’anciennes blessures.
Memoryscapes est née dans le sillage de The Journey, série à partir de laquelle Marilia Destot a commencé à altérer ses tirages, à concevoir des « paysages illuminés » et des « portraits déchirés ». Fruit d’une juxtaposition d’images de sources variées, ceux-ci lui permettaient de sonder son passé, de même que celui de ses ancêtres. « Au-delà de cette approche familiale et mémorielle, j’avais envie de continuer à explorer la matière photographique et faire des collages sans géographie ni temporalité précises en recyclant des photographies que j’appelle orphelines, c’est-à-dire qu’elles n’appartiennent à aucun projet en particulier », explique-t-elle. En résulte un nouveau chapitre, fait de compositions aux teintes froides, marquées par une entaille qui fend l’espace tel un éclair. Par la métaphore, cette démarche lui permet désormais d’aborder ce temps qui, dans son mouvement perpétuel, étiole des fragments de vie, les efface et ravive parfois des blessures anciennes. Il s’agit d’ « une forme de contemplation et de résilience en même temps », assure-t-elle.
Cultiver les marges entourant les images
Au fil de ses clichés, recomposés par associations de formes, de couleurs et de motifs, Marilia Destot esquisse les contours de territoires qu’elle a traversés dans son quotidien ou au cours de voyages. Les raisons pour lesquelles elle a décidé de les figer lui échappent parfois aujourd’hui, elles se sont perdues dans le flux de l’existence. « Je les ai photographiés à un instant T, mais ils ne sont peut-être déjà plus de ce qu’ils ont été. Je les transforme en créant de nouveaux espaces-temps, imaginaires. J’aime l’idée que plusieurs lieux sans liens, qui sont très éloignés, mais aussi que des histoires se rencontrent, fusionnent », confie l’artiste. Comme des palimpsestes, les paysages se superposent alors, forment du relief et des strates dans une cohérence esthétique. « Pour reprendre la jolie citation d’Agnès Varda, “si on ouvrait des gens, on trouverait des paysages. Si on m’ouvrait moi, on trouverait des plages”. Les lieux ont une mémoire, et nous avons une mémoire sensorielle et sentimentale des lieux, que nous conservons en nous et transmettons parfois sur plusieurs générations », déclare notre interlocutrice.
Le souvenir irrigue les œuvres de la photographe, qui perçoit les albums de famille comme « notre premier roman, notre premier collage ». Cultivant les marges entourant les images, « ces silences volontairement laissés en suspens », Marilia Destot fait appel à la projection de tout un chacun. De fait, tout repère étant aboli, ses créations font preuve d’un certain mystère et les interprétations qui en découlent se font multiples. « Mes Memoryscapes sont une fenêtre donnant à la fois sur une nature contemplée, malmenée, éparpillée, menacée ou menaçante, et sur moi-même, sur mon corps et ma mémoire fragilisés avec le temps. Il s’agit d’un trésor et d’une perte. Je désire autant préserver ces visions que les réinventer. Ces paysages imaginaires deviennent mon échappatoire, ma quête d’une beauté apaisante, une archéologie poétique de ce qu’il reste », conclut-elle.