Marine Lanier : Touché par le fond

13 juillet 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Marine Lanier : Touché par le fond
© Marine Lanier
© Marine Lanier

Sur une île déserte, un homme avance, perdu dans sa marche solitaire, son regard vers l’horizon. Au détour d’un chemin, il découvre une veste de marin abandonnée. Le temps a fait germer des plantes dans son tissu, transformant l’habit en une parure organique brodée de fleurs. Un écosystème à taille humaine qui l’appelle et fait courir son imagination. C’est L’Habit du naufrage. « Ce qui me plaît, dans ce titre, c’est ce qu’il raconte. Il s’agit de s’apprêter pour le naufrage, le regarder droit dans les yeux, se laisser avaler de manière volontaire avec un costume de fête, honorer la fin, le commencement, se libérer du connu », commente Marine Lanier. À l’origine de son récit, son arrière-grand-père, capitaine de vaisseau. « J’ai cherché des informations sur sa possible vie, mais comme il me manquait des pans entiers, j’ai décidé de lui inventer une existence, des voyages, un journal », explique la photographe. Un projet transdisciplinaire développé en 2020 et 2021, lors d’une résidence avec l’Imagerie à Lannion. Croisant ses propres images à celles d’archives de la station biologique de Roscoff et du musée Jules Verne de Nantes, ainsi qu’à un journal de bord fictif d’un capitaine solitaire, elle compose peu à peu L’Habit du naufrage. Un conte maritime où se croisent bosquets et bestiaires océaniques, marins torturés, nuits silencieuses, vagues monstrueuses et profondeurs mystérieuses. Dans la pénombre, les récifs se dévoilent, les pieuvres sortent de leur grotte et enroulent leurs tentacules autour des épaves, les emportant encore plus loin, jusqu’au centre de la Terre. Sublimé par des tons pourpres et bleutés, le territoire aquatique devient le décor d’une histoire millénaire, transcendant les époques.

« Depuis le 21e siècle, d’immenses avancées permettent de sonder ce monde. La technologie a rendu possible son exploration de plus en plus précise. Une longue aventure a été entreprise pour parvenir à forer la croûte terrestre, livrant au passage de passionnants secrets. Les océans constituent le plus grand réservoir de biodiversité au monde. Les eaux abritent d’innombrables espèces, molécules, gènes… Ces organismes ont évolué dans des conditions extrêmes et contiennent une énigme qui se dérobe à notre regard », raconte Marine Lanier. Pourtant, comme elle le rappelle, « plus de deux tiers du fond des océans demeurent inexplorés. Ils seraient moins connus que la surface de la Lune ! ». Fascinée par le mysticisme, la magie, l’irrationnel et « l’autre côté », la photographe teinte son projet d’une aura surnaturelle, d’une tension sourde, qui se déploie, invisible, sous la surface lisse de la mer. Pourtant, au loin, la brise se lève, grandit, convoque la tempête. En observant les images, nous avons le sentiment d’être propulsé·es sur le navire, aux côtés des matelots qui contemplent le ciel, attendant l’éclair qui zèbrera la Lune, qui annoncera le début de l’apocalypse. Inspirant à l’unisson, ils revêtent alors leurs plus beaux ensembles. Soudain, l’orage gronde, le bateau tangue, la voile se déchire. Propulsés dans l’eau froide, ils sombrent et amorcent la longue descente jusqu’aux fonds marins, parmi les coraux et les bancs de poissons, les algues et les méduses fluorescentes. Bientôt, leurs vestes remonteront à la surface et s’échoueront sur le sable d’une île, faisant germer, dans l’esprit de Marine Lanier, une histoire folle d’hommes, d’eau et de naufrages…

Animée par notre « rapport organique à la nature et aux éléments », Marine Lanier déve- loppe, à travers son œuvre, un questionnement qui la hante: «Notre besoin conjoint d’appartenance et celui de s’extraire du groupe pour exister». Une dichotomie qu’elle explorait déjà dans Nos Feux nous appartiennent, dans Fisheye n°37. « C’était une joie de partager ce travail avec les lectrices et lecteurs, dont j’ai beaucoup apprécié les retours », se souvient-elle. Sélectionnée en 2023 par la grande commande de la BnF, elle termine actuellement un volet de sa série Le Jardin d’Hannibal, et travaille sur deux expositions – au musée Nicéphore Niépce de Chalon-sur-Saône et à la Filature de Mulhouse – ainsi que sur une monographie : Le Soleil des loups, chez Poursuite éditions.

© Marine Lanier
© Marine Lanier
© Marine Lanier
© Marine Lanier
© Marine Lanier

© Marine Lanier
À retrouver dans
Fisheye Magazine #60 10 ans
Fisheye Magazine #60 10 ans
« Nous y voilà. 10 ans. 60 numéros. 9 000 pages – sans compter les hors-séries et les livres. Plus…
Juillet 2023

Explorez
Marie Le Gall : photographier un Maroc intime
© Marie Le Gall
Marie Le Gall : photographier un Maroc intime
Absente depuis vingt ans, lorsque Marie Le Gall retourne enfin au Maroc, elle découvre un territoire aussi étranger que familier....
22 novembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Visions d'Amérique latine : la séance de rattrapage Focus !
© Alex Turner
Visions d’Amérique latine : la séance de rattrapage Focus !
Des luttes engagées des catcheuses mexicaines aux cicatrices de l’impérialisme au Guatemala en passant par une folle chronique de...
20 novembre 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Richard Pak tire le portrait de l’île Tristan da Cunha
© Richard Pak
Richard Pak tire le portrait de l’île Tristan da Cunha
Avec Les îles du désir, Richard Pak pose son regard sur l’espace insulaire. La galerie Le Château d’Eau, à Toulouse accueille, jusqu’au 5...
20 novembre 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
It starts with an end : Edward Lane capture l’âme d’un village de Roumanie
© Edward Lane
It starts with an end : Edward Lane capture l’âme d’un village de Roumanie
« Il y a des endroits qui semblent exister dans un monde à part… » C’est en ces mots qu’Edward Lane présente Rachitele, le village...
18 novembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Marie Le Gall : photographier un Maroc intime
© Marie Le Gall
Marie Le Gall : photographier un Maroc intime
Absente depuis vingt ans, lorsque Marie Le Gall retourne enfin au Maroc, elle découvre un territoire aussi étranger que familier....
22 novembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Aleksandra Żalińska rend un tendre hommage à sa grand-mère
© Aleksandra Żalińska
Aleksandra Żalińska rend un tendre hommage à sa grand-mère
À travers But please be careful out there, Aleksandra Żalińska photographie sa grand-mère, avec qui elle entretient une grande...
22 novembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Mode et séduction : Austn Fischer allie art et Tinder
© Austn Fischer
Mode et séduction : Austn Fischer allie art et Tinder
Installé à Londres, Austn Fischer puise dans les ressorts de la communauté LGBTQIA+ pour interroger les notions traditionnelles de genre....
21 novembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Elie Monferier : visible à la foi
© Elie Monferier
Elie Monferier : visible à la foi
À travers Sanctuaire – troisième chapitre d’un projet au long cours – Elie Monferier révèle, dans un noir et blanc pictorialiste...
21 novembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas