Masha Sviatahor : danse macabre

17 juillet 2025   •  
Écrit par Milena III
Masha Sviatahor : danse macabre
Everybody Danse! © Masha Sviatahor
Collage sur fond rouge
Everybody Danse! © Masha Sviatahor

L’artiste biélorusse Masha Sviatahor constitue collages étranges et kitsch avec des images issues du magazine soviétique Sovetskoe Foto. Ceux-ci composent une critique ironique de l’URSS pleine de contradictions.

Un homme et une femme rayonnent de bonheur, mais derrière leur voiture, une épaisse fumée s’élève, comme après une explosion. Leur sourire transforme la scène en feu d’artifice nuptial. Newlyweds (Jeunes Mariés), 2018, image tirée du premier projet au long cours de Masha Sviatahor, Everybody Dance! (Tout le monde danse !) condense la tension entre joie et catastrophe qui traverse toute son œuvre. Dans cette série de collages, réalisés exclusivement à la main sur près de sept ans, l’artiste biélorusse découpe et assemble les pages d’anciens magazines photo. Une matière trouvée presque par hasard en tombant sur quelques numéros du magazine soviétique Sovetskoe Foto dans une librairie de Minsk. « Cette rencontre hasardeuse m’a poussée à explorer davantage le contenu visuel du magazine », explique-t-elle. Elle acquiert ensuite une vaste collection auprès d’un ancien photojournaliste, désireux de s’en débarrasser : « Transportée dans un sac à pommes de terre, cette cargaison a lancé mon voyage dans les archives de la photographie soviétique. » Comme le souligne la chercheuse Maya Hristova, « le photomontage de Masha Sviatahor est autant un geste physique qu’une pratique conceptuelle ». Cette approche est prolongée avec Everybody Dance!, livre publié par la maison indépendante Tamaka Publishing en 400 exemplaires, chacun doté d’une couverture unique.

collage avec des mariés dans une voiture
Everybody Danse! © Masha Sviatahor
Collage avec un orchestre
Everybody Danse! © Masha Sviatahor
Collage d'un banquet
Everybody Danse! © Masha Sviatahor

Critique kitsch

Dans ses collages, soldats, enfants, ballerines et hommes d’État paradent sur un fond rouge intense. À première vue, une fête semble se dérouler. Mais elle se révèle vite chaotique, irrationnelle, cauchemardesque. Les ballerines n’ont ni tête ni bras, les enfants ni yeux ni bouche, et Léonid Brejnev, ancien dirigeant de l’URSS, rit et danse. Un défilé militaire traverse les nuages, dirigé par une femme cheffe d’orchestre ; sous elle, les corps se répètent à l’infini. Ailleurs, un banquet se tient au milieu des ruines. Présentée pour la première fois en 2020 au festival Circulation(s), cette vision surréaliste et critique joue avec l’ironie et le kitsch pour faire apparaître les contradictions d’un système en chute.

Née en 1989, Masha Sviatahor n’a pas connu l’URSS. Mais elle a grandi dans une société post-soviétique marquée par un autoritarisme persistant. « Cette distance me permet de faire ce que je fais, dit-elle. J’ai voulu m’engager dans ces histoires pour voir si je pouvais y apporter un autre regard. » Deux questions fondent sa démarche : comment relire le passé soviétique et comment celui-ci continue-t-il d’influencer le présent ? En Biélorussie, rappelle-t-elle, la mentalité soviétique ne s’est jamais totalement effacée.

La majorité des magazines utilisés datent de l’ère Brejnev, avec ses innombrables portraits. « C’était un motif récurrent, comme les images de ballet. J’ai voulu intégrer cette répétition obsessionnelle », détaille-t-elle. Dans Everybody Dance! les figures sacrées perdent leur aura : Brejnev virevolte en tutu, fusionne avec des oiseaux ou des danseuses. « Ici, toutes les hiérarchies s’effondrent, révèle-t-elle. Ce qui symbolisait autrefois l’autorité devient un simple élément de ma composition. » Le titre, emprunté à une comédie soviétique, résonne comme une injonction joyeusement absurde. Un rire lucide, euphorique et grinçant.

Cet article est à retrouver dans Fisheye #72.

Couverture Fisheye #72
168 pages
7,50 €
À lire aussi
Fisheye #72 : la photographie comme acte de résistance
© Luke Evans
Fisheye #72 : la photographie comme acte de résistance
À travers son numéro #72, Fisheye donne à voir des photographes qui considèrent leur médium de prédilection comme un outil de…
03 juillet 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
La Russie dans l’œil des femmes
La Russie dans l’œil des femmes
Née avec l’effondrement de l’Union soviétique, une nouvelle génération de photographes n’en finit pas d’ausculter son environnement….
06 juin 2019   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Explorez
Les images de la semaine du 13 octobre 2025 : parcours photographique 
© Sander Vos
Les images de la semaine du 13 octobre 2025 : parcours photographique 
C’est l’heure du récap ! En ce premier week-end des vacances de la Toussaint, les pages de Fisheye vous présentent des expositions à...
19 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
PhotoSaintGermain et a ppr oc he dévoilent une collaboration inédite 
© Julie Cockburn / Courtesy Hopstreet Gallery
PhotoSaintGermain et a ppr oc he dévoilent une collaboration inédite 
Pour leur édition 2025, PhotoSaintGermain et a ppr oc he ont présenté leur programmation lors d’une conférence commune. À cette...
15 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
La sélection Instagram #528 : en voir de toutes les couleurs
© Michalina Kacperak / Instagram
La sélection Instagram #528 : en voir de toutes les couleurs
On associe souvent les couleurs à des émotions, parfois même à des sons. Elles peuvent modifier une atmosphère, exprimer tantôt la joie...
14 octobre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Les images de la semaine du 6 octobre 2025 : expositions automnales
Éphémère, de la série Deuil blanc © Flore Prébay
Les images de la semaine du 6 octobre 2025 : expositions automnales
C’est l’heure du récap ! À l’approche des vacances de la Toussaint, les pages de Fisheye vous dévoilent de nouvelles expositions à...
12 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les coups de cœur #563 : Justin Phillips et Salomé Luce
© Justin Phillips
Les coups de cœur #563 : Justin Phillips et Salomé Luce
Justin Phillips et Salomé Luce, nos coups de cœur de la semaine, dessinent des images dans lesquelles les saisons défilent. Le premier...
À l'instant   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 13 octobre 2025 : parcours photographique 
© Sander Vos
Les images de la semaine du 13 octobre 2025 : parcours photographique 
C’est l’heure du récap ! En ce premier week-end des vacances de la Toussaint, les pages de Fisheye vous présentent des expositions à...
19 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Maryam Firuzi : broder la mémoire, photographier la révolte
© Maryam Firuzi
Maryam Firuzi : broder la mémoire, photographier la révolte
Photographe et artiste iranienne, Maryam Firuzi explore la mémoire collective et les silences imposés aux femmes à travers une œuvre où...
18 octobre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Rachel Seidu : être queer à Lille et à Lagos, une fierté émancipatrice
Peas in a Pod II, Emma et Maë, Lille, 2025. © Rachel Seidu
Rachel Seidu : être queer à Lille et à Lagos, une fierté émancipatrice
Dans le cadre du programme hors les murs de l’Institut pour la photographie de Lille, l’artiste nigériane Rachel Seidu expose Peas in a...
17 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger