« Mayflies » : les nuances du deuil

23 janvier 2020   •  
Écrit par Lou Tsatsas
« Mayflies » : les nuances du deuil

Après la mort de sa mère, la photographe Dimitra Dede a entrepris un périple, à la découverte des glaciers d’Europe. Un récit métaphorique à retrouver dans Mayflies, ouvrage sombre mêlant douleur et poésie.

À ses 18 ans, alors qu’elle se préparait à devenir ingénieur, Dimitra Dede fait l’acquisition d’un vieux Nikon F501, cadeau d’un ami réalisateur. « Mon univers s’est transformé et j’ai aussitôt décidé d’étudier la photographie », se souvient-elle. Aujourd’hui, l’artiste d’origine grecque est installée à Londres, et croise le médium avec d’autres arts, expérimentant avec les textures et les émotions. « Je combine l’image à la peinture, la sculpture ou la vidéo », précise-t-elle. À l’image de ces expérimentations, Mayflies prend la forme d’un récit froid, abstrait et torturé.

« Cet ouvrage se lit comme une réponse au décès de ma mère. Lors de son enterrement, je l’ai embrassé sur le front, comme il est coutume de le faire en Grèce, et j’ai été surprise par ce contact glacé, contrastant avec la chaleur du mois de juin », raconte-t-elle. Marquée par cette sensation, Dimitra Dede a débuté le même été un voyage à la découverte des glaciers d’Europe centrale. Un périple influençant profondément sa démarche artistique.

© Dimitra Dede

Un conte dramatique

« Le Glacier du Rhône, situé dans le canton du Valais en Suisse, m’a particulièrement marquée. Le gouvernement a fait installer des couvertures résistantes aux UV afin de ralentir sa fonte. Ces voiles m’ont immédiatement évoqué le linceul posé sur ma mère et son corps froid »,

confie Dimitra Dede. Dans ce paysage étrange, sombre et surnaturel, la photographe a trouvé une sorte de paix. En s’immergeant sous ces tissus, dans les grottes glacées, elle illustre avec pudeur la douleur, la perte et l’amour inconditionnel. « Tout cela fait partie du spectre de l’affection maternel : la chaleur, la protection, mais aussi la peur primitive, l’angoisse de la perte, et le besoin d’être guidée », explique-t-elle.

Dans ses clichés, aucun symbole, mais plutôt un désir de mettre en scène son intuition. Nature et corps fusionnent, habitant un univers sombre et douloureux. Les négatifs reflètent cette violence, et se transforment sous les « coups » de la photographe. « J’ai utilisé de l’acide, du feu, de la cire, je les ai coupés, creusés… C’était une expérience forte » confie-t-elle. Pourtant, malgré la brutalité des gestes, une poésie troublée émerge de Mayflies. Un conte dramatique, bercé par un imaginaire prégnant et une citation de Marcel Proust.

« Soyez inerte, attendez que la force incompréhensible qui vous a brisé vous relève un peu, je dis un peu car vous garderez toujours quelque chose de brisé. Dites-vous cela aussi car c’est une douceur de savoir qu’on n’aimera jamais moins, qu’on ne se consolera jamais, qu’on se souviendra de plus en plus. » – Marcel Proust

 

Mayflies, éditions Void, 42 €, 112 p. 

© Dimitra Dede

© Dimitra Dede© Dimitra Dede
© Dimitra Dede© Dimitra Dede

© Dimitra Dede

© Dimitra Dede© Dimitra Dede
© Dimitra Dede© Dimitra Dede

© Dimitra Dede

© Dimitra Dede

Explorez
Les images de la semaine du 9 juin 2025 : confronter son regard
© Boby
Les images de la semaine du 9 juin 2025 : confronter son regard
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, nous vous proposons des sujets qui s’articulent autour de confrontations des regards. Nous vous...
15 juin 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Blue Screen of Death : Les photogrammes hybrides de Baptiste Rabichon
Blue Screen of Death © Baptiste Rabichon
Blue Screen of Death : Les photogrammes hybrides de Baptiste Rabichon
Baptiste Rabichon, artiste phare de la Galerie Binome, nous confronte à notre rapport ambigu aux images et à la technologie à travers...
12 juin 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
La sélection Instagram #510 : Quand le flou fait image
@ Daniel Rampulla / Instagram
La sélection Instagram #510 : Quand le flou fait image
Le flou peut transformer, voiler ou révéler ce qui habite une image. Les photographes de notre sélection Instagram de la semaine jouent...
10 juin 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Les coups de cœur #546 : Marine Toux et Aziyadé Abauzit
© Marine Toux
Les coups de cœur #546 : Marine Toux et Aziyadé Abauzit
Dans leurs travaux respectifs, Marine Toux et Aziyadé Abauzit, nos coups de cœur de la semaine, font toutes deux l’éloge du fragment. La...
09 juin 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Le palmarès du prix Picto de la Mode 2025 : la mode au croisement des enjeux contemporains
Symbiose © Arash Khaksari
Le palmarès du prix Picto de la Mode 2025 : la mode au croisement des enjeux contemporains
À l’occasion de la 27e édition du prix Picto de la Photographie de Mode, la cour du Palais Galliera s’est transformée en un lieu...
Il y a 11 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #547 : Mai-Thanh Nguyen et Madalena Georgatou
© Madalena Georgatou
Les coups de cœur #547 : Mai-Thanh Nguyen et Madalena Georgatou
Mai-Thanh Nguyen et Madalena Georgatou, nos coups de cœur de la semaine, explorent la mémoire. La première s’intéresse aux lieux qui...
16 juin 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 9 juin 2025 : confronter son regard
© Boby
Les images de la semaine du 9 juin 2025 : confronter son regard
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, nous vous proposons des sujets qui s’articulent autour de confrontations des regards. Nous vous...
15 juin 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Vincen Beeckman s’invite à Marseille
© Vincen Beeckman
Vincen Beeckman s’invite à Marseille
Pendant sept semaines, au fil de plusieurs séjours, Vincen Beeckman a sillonné la ville, non pas comme un touriste ni même un photographe...
14 juin 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas