Les photographes publié·es sur Fisheye ne cessent de raconter, par le biais des images, les préoccupations de notre époque. Parmi les thématiques abordées sur les pages de notre site comme dans celles de notre magazine, certaines prennent place dans des régions spécifiques telles que les Alpes. Aujourd’hui, lumière sur Jet Siemons, Téo Becher et Marine Lanier, trois artistes dont les séries ont pris pour cadre ce massif européen.
Par leur environnement singulier ou les cultures qui s’y sont développées, certaines régions du monde inspirent tout particulièrement les artistes. C’est notamment le cas des Alpes, dont les contours vous viennent sans doute à l’esprit dès que quelqu’un vous parle de séjour à la montagne. De fait, traversant la France, l’Italie, la Suisse, Monaco, la Slovénie, le Liechtenstein, l’Autriche et l’Allemagne, le massif a servi de cadre aux souvenirs de vacances de beaucoup d’entre nous, mais également de décor à de nombreuses œuvres artistiques. Cette représentation plurielle a ainsi infusé dans les imaginaires, dont ceux des photographes qui ont à leur tour déployé de nouvelles trames narratives. Ce territoire s’est alors imposé comme support à des récits abordant une évolution, souvent empreinte de réalités écologiques. Jet Siemons, Téo Becher et Marine Lanier, dont nous vous avons déjà parlé sur les pages de Fisheye, s’inscrivent dans ce mouvement.
Ramener un lieu à la vie
L’histoire de The Trail Project débute dans une boutique de seconde main. Sur le point de partir après y avoir flâné, Jet Siemons remarque une étagère pourvue de livres. Parmi eux se compte un album photo datant de 1939. Au fil des pages se découvrent les voyages d’un couple néerlandais. Portée par la beauté des images qui lui semblent familières, la jeune photographe l’acquiert. Quelque temps plus tard, à l’occasion d’un projet d’études, elle décide d’utiliser ces archives qu’elle avait laissées de côté. Elle se rend alors compte que certains tirages étaient en réalité des cartes postales, annotées pour la plupart, et qu’elle connaissait bel et bien ce paysage. « À chaque période de vacances, mes proches et moi allions à la montagne pour faire de la randonnée sur l’autre versant de cette montagne », révèle celle qui, par le passé, a pris des clichés similaires de ces mêmes endroits.
Amusée par cet étonnant concours de circonstances, Jet Siemons poursuit ses recherches et commence à déployer une trame qui fait fi de la chronologie. Les tirages de ce couple s’entremêlent dès lors à ceux que l’artiste a réalisés au cours de vacances avec sa famille. Le passé et le temps présent se confondent et évoquent la mémoire, les souvenirs qui s’évaporent à mesure que les êtres disparaissent. « Par le biais de cet album, je voulais raconter l’histoire d’un lieu qui, sur le point d’être oublié, est soudainement ramené à la vie », explique-t-elle. Au travers de collages, une autre facette de cette région, façonnée par les dérèglements climatiques, se dévoile finalement.
Sonder l’histoire d’un territoire
Pour composer Le Jardin d’Hannibal, Marine Lanier s’est rendue dans les Alpes et, plus particulièrement, dans le jardin du Lautaret. Malgré sa petite superficie, cet espace rassemble des espèces végétales venues du monde entier. Dans un autre genre, la photographe française a alors également fait appel à des récits du passé. Entremêlant portraits, clichés de plantes et paysages enneigés, la série doit son titre au célèbre général carthaginois et convoque la notion de lutte écologique pour offrir une narration qui dépasse la vision documentaire. Abolissant tout repère temporel, elle nous plonge dans un univers aux allures dystopiques. « Hannibal était une figure mythique des Alpes, et le col du Lautaret serait un itinéraire possible de son passage. En parallèle, j’ai trouvé ça beau comme métaphore : Hannibal, même en tant que personnage très controversé, c’est la figure du rebelle, de l’insurgé contre l’Empire, contre Rome, contre la domination… Or, le Lautaret, c’est aussi un bastion de résistance écologique ! », explique l’autrice.
Téo Becher s’est quant à lui installé dans la vallée de la Maurienne, d’où est originaire une partie de sa famille et où il a passé de nombreuses vacances, pour sonder son histoire, marquée par la production d’aluminium. En résulte Charbon blanc, série dans laquelle les Alpes deviennent le personnage principal du récit. À cet effet, le photographe a éprouvé ses pellicules dans la nature qui y a laissé sa trace et, en creux, celle d’une industrie qui a préalablement façonné le territoire. « Je n’entends pas donner des leçons ni émettre un jugement, assure-t-il. C’est plutôt un constat : le milieu montagnard en Maurienne est ainsi aujourd’hui, le paysage s’en retrouve marqué, et notre représentation de ce qu’est la montagne a par conséquent évolué dans ce sens. Alors, certes, comme toute industrie, l’aluminium a pollué ces espaces et les pollue toujours. Ce qui m’intéresse profondément est autre part : c’est vraiment la relation entre l’individu et son milieu, l’interdépendance qui les lie et qui fait que vivre à cet endroit est une expérience particulière. »