Mémoire et écologie : les photographes de Fisheye dévoilent leur vision des Alpes

27 décembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Mémoire et écologie : les photographes de Fisheye dévoilent leur vision des Alpes
© Téo Becher
© Marine Lanier

Les photographes publié·es sur Fisheye ne cessent de raconter, par le biais des images, les préoccupations de notre époque. Parmi les thématiques abordées sur les pages de notre site comme dans celles de notre magazine, certaines prennent place dans des régions spécifiques telles que les Alpes. Aujourd’hui, lumière sur Jet Siemons, Téo Becher et Marine Lanier, trois artistes dont les séries ont pris pour cadre ce massif européen. 

Par leur environnement singulier ou les cultures qui s’y sont développées, certaines régions du monde inspirent tout particulièrement les artistes. C’est notamment le cas des Alpes, dont les contours vous viennent sans doute à l’esprit dès que quelqu’un vous parle de séjour à la montagne. De fait, traversant la France, l’Italie, la Suisse, Monaco, la Slovénie, le Liechtenstein, l’Autriche et l’Allemagne, le massif a servi de cadre aux souvenirs de vacances de beaucoup d’entre nous, mais également de décor à de nombreuses œuvres artistiques. Cette représentation plurielle a ainsi infusé dans les imaginaires, dont ceux des photographes qui ont à leur tour déployé de nouvelles trames narratives. Ce territoire s’est alors imposé comme support à des récits abordant une évolution, souvent empreinte de réalités écologiques. Jet Siemons, Téo Becher et Marine Lanier, dont nous vous avons déjà parlé sur les pages de Fisheye, s’inscrivent dans ce mouvement.

© Téo Becher
© Marine Lanier
© Jet Siemons
© Jet Siemons

Ramener un lieu à la vie

L’histoire de The Trail Project débute dans une boutique de seconde main. Sur le point de partir après y avoir flâné, Jet Siemons remarque une étagère pourvue de livres. Parmi eux se compte un album photo datant de 1939. Au fil des pages se découvrent les voyages d’un couple néerlandais. Portée par la beauté des images qui lui semblent familières, la jeune photographe l’acquiert. Quelque temps plus tard, à l’occasion d’un projet d’études, elle décide d’utiliser ces archives qu’elle avait laissées de côté. Elle se rend alors compte que certains tirages étaient en réalité des cartes postales, annotées pour la plupart, et qu’elle connaissait bel et bien ce paysage. « À chaque période de vacances, mes proches et moi allions à la montagne pour faire de la randonnée sur l’autre versant de cette montagne », révèle celle qui, par le passé, a pris des clichés similaires de ces mêmes endroits. 

Amusée par cet étonnant concours de circonstances, Jet Siemons poursuit ses recherches et commence à déployer une trame qui fait fi de la chronologie. Les tirages de ce couple s’entremêlent dès lors à ceux que l’artiste a réalisés au cours de vacances avec sa famille. Le passé et le temps présent se confondent et évoquent la mémoire, les souvenirs qui s’évaporent à mesure que les êtres disparaissent. « Par le biais de cet album, je voulais raconter l’histoire d’un lieu qui, sur le point d’être oublié, est soudainement ramené à la vie », explique-t-elle. Au travers de collages, une autre facette de cette région, façonnée par les dérèglements climatiques, se dévoile finalement. 

© Jet Siemons
© Téo Becher

Sonder l’histoire d’un territoire

Pour composer Le Jardin d’Hannibal, Marine Lanier s’est rendue dans les Alpes et, plus particulièrement, dans le jardin du Lautaret. Malgré sa petite superficie, cet espace rassemble des espèces végétales venues du monde entier. Dans un autre genre, la photographe française a alors également fait appel à des récits du passé. Entremêlant portraits, clichés de plantes et paysages enneigés, la série doit son titre au célèbre général carthaginois et convoque la notion de lutte écologique pour offrir une narration qui dépasse la vision documentaire. Abolissant tout repère temporel, elle nous plonge dans un univers aux allures dystopiques. « Hannibal était une figure mythique des Alpes, et le col du Lautaret serait un itinéraire possible de son passage. En parallèle, j’ai trouvé ça beau comme métaphore : Hannibal, même en tant que personnage très controversé, c’est la figure du rebelle, de l’insurgé contre l’Empire, contre Rome, contre la domination… Or, le Lautaret, c’est aussi un bastion de résistance écologique ! », explique l’autrice.

Téo Becher s’est quant à lui installé dans la vallée de la Maurienne, d’où est originaire une partie de sa famille et où il a passé de nombreuses vacances, pour sonder son histoire, marquée par la production d’aluminium. En résulte Charbon blanc, série dans laquelle les Alpes deviennent le personnage principal du récit. À cet effet, le photographe a éprouvé ses pellicules dans la nature qui y a laissé sa trace et, en creux, celle d’une industrie qui a préalablement façonné le territoire. « Je n’entends pas donner des leçons ni émettre un jugement, assure-t-il. C’est plutôt un constat : le milieu montagnard en Maurienne est ainsi aujourd’hui, le paysage s’en retrouve marqué, et notre représentation de ce qu’est la montagne a par conséquent évolué dans ce sens. Alors, certes, comme toute industrie, l’aluminium a pollué ces espaces et les pollue toujours. Ce qui m’intéresse profondément est autre part : c’est vraiment la relation entre l’individu et son milieu, l’interdépendance qui les lie et qui fait que vivre à cet endroit est une expérience particulière. »

À lire aussi
The Trail Project : Jet Siemons sur la trace d'un couple inconnu
© Jet Siemons
The Trail Project : Jet Siemons sur la trace d’un couple inconnu
Dans The Trail Project, Jet Siemons recompose un album de vacances à la montagne qui s’inscrit dans sa propre temporalité. Pour ce faire…
01 février 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Focus #74 : Marine Lanier, Hannibal et la résistance écologique
05:33
Focus #74 : Marine Lanier, Hannibal et la résistance écologique
C’est l’heure du rendez-vous Focus ! Ce mois-ci, Marine Lanier nous parle du Jardin d’Hannibal. Dans cette série au long cours, la…
31 juillet 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
« Charbon blanc » : Téo Becher, l’alchimiste des Alpes
« Charbon blanc » : Téo Becher, l’alchimiste des Alpes
Direction les Alpes françaises, dans la vallée de la Maurienne, surnommée la « vallée de l’aluminium ». Entre 2016 et 2019, Téo Becher –…
25 mars 2022   •  
Écrit par Anaïs Viand
Explorez
Ces séries de photographies qui capturent l'hiver
© Axelle de Russé
Ces séries de photographies qui capturent l’hiver
L’hiver, ses terres enneigées et ses festivités se révèlent être la muse d’un certain nombre de photographes. En ce jour de Noël, la...
25 décembre 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les coups de cœur #524 : Jan Makowski et Mathilde Cybulski
À nos balades écarlates © Mathilde Cybulski
Les coups de cœur #524 : Jan Makowski et Mathilde Cybulski
Jan Makowski et Mathilde Cybulski, nos coups de cœur de la semaine, nous emmènent sur le chemin des émotions. Tandis que le premier...
23 décembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Rebecca Najdowski : expérimentations et désastre écologique
© Rebecca Najdowski
Rebecca Najdowski : expérimentations et désastre écologique
Dans sa série Ambient Pressure, l’artiste Rebecca Najdowski nous invite à interroger le rôle du médium photographique dans notre...
18 décembre 2024   •  
Écrit par Agathe Kalfas
La sélection Instagram #485 : livre de la jungle
© Janis Brod / Instagram
La sélection Instagram #485 : livre de la jungle
Les photographes de notre sélection Instagram de la semaine explorent la jungle, autant celle faite d’arbres et de fougères luxuriantes...
17 décembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Mémoire et écologie : les photographes de Fisheye dévoilent leur vision des Alpes
© Téo Becher
Mémoire et écologie : les photographes de Fisheye dévoilent leur vision des Alpes
Parmi les thématiques abordées sur les pages de notre site comme dans celles de notre magazine, certaines prennent place dans des régions...
27 décembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les temps forts de la photographie qui ont marqué Fisheye en 2024
© Audrey Tautou
Les temps forts de la photographie qui ont marqué Fisheye en 2024
L'année 2024 a été riche en émotions visuelles. Fisheye revient sur ces moments, ces ouvrages et ces séries photographiques qui l’ont...
26 décembre 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Ljubiša Danilović : strass de classe
© Ljubiša Danilović
Ljubiša Danilović : strass de classe
Dans Strass, sosies de stars, Ljubiša Danilović documente, comme l'indique le titre de la série, le quotidien de sosies de célébrités....
26 décembre 2024   •  
Écrit par Eric Karsenty
Ces séries de photographies qui capturent l'hiver
© Axelle de Russé
Ces séries de photographies qui capturent l’hiver
L’hiver, ses terres enneigées et ses festivités se révèlent être la muse d’un certain nombre de photographes. En ce jour de Noël, la...
25 décembre 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine