En hommage à son père, alpiniste disparu en montagne, Shu Watanabe a suivi ses pas jusqu’au mont Ryōkami. Dans The Last Summit, il croise ses propres images prises durant l’ascension à des archives familiales et formule un adieu sensible à son géniteur. Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.
Heinrich Harrer, Gaston Rébuffat, Walter Bonatti… Nombreux sont les alpinistes qui manient les crampons comme la plume. Au 19e siècle, les aristocrates britanniques se lancent les premiers dans la course aux sommets alpins. Et depuis, les exploits s’enchaînent. Esprit de compétition, dépassement de soi ou quête d’une liberté totale ? L’inspiration n’est sans doute pas la première motivation pour ces aventuriers jouant, à chaque expédition, avec leur vie. Pourquoi donc l’alpinisme continue-t-il de fasciner? Une question qui a longtemps hanté Shu Watanabe. L’ascension du Cervin (sommet suisse à 4 478 m) n’a jamais constitué un objectif pour le graphiste de 39 ans installé au Japon. La montagne ? Il la connaît de loin ou, du moins, s’en approche au cours de randonnées occasionnelles.
Le 15 juillet 2017, le mont Ryōkami emporte Motoyuki Watanabe à tout jamais. Il a 69 ans. « Un matin ensoleillé, ma mère m’appelle. Le sol s’est soudainement dérobé sous mes pieds. Il a fallu que je déclare mon père comme disparu et que je patiente. Et puis la police m’a contacté. J’ai découvert le corps de mon père, et son visage blessé. Je suis le seul à avoir vu ce visage. » L’événement provoque une triple réaction chez Shu Watanabe : la colère se mêle à l’incompréhension, et laisse apparaître un besoin de création. « Avant cette date, la photographie n’était qu’un objet que je regardais de loin. Le décès de mon père a déclenché mon envie de réaliser des images, en tant qu’auteur. Il me fallait adopter son point de vue et comprendre ce qui le poussait à y retourner toujours », se souvient l’artiste. Calme, maladroit, mais gentil et proche de sa famille. C’est ainsi que Shu Watanabe décrit son père. « Il était membre du club d’alpinisme de son entreprise depuis ses vingt ans. Ce sport a toujours été son passe-temps favori. Il avait l’habitude de pratiquer tous les week-ends, lorsque le temps le permettait. Il s’était donné pour mission de conquérir les cent montagnes du Japon, ajoute le photographe. Il faisait rarement de l’escalade en famille, il grimpait avec un de ses collègues. » Cette même année, Motoyuki Watanabe était suivi pour un cancer du foie. Quelques mois avant sa chute fatale, on lui découvre une cirrhose. « Mon père a vécu l’hospitalisation comme une expérience éprouvante, mais je sais aujourd’hui qu’il aurait préféré mourir en grimpant plutôt qu’à hôpital. » En témoigne l’image distordue visible dans le projet The Last Summit.
Facettes inconnues
Muni du carnet personnel de son père, Shu Watanabe prépare son ascension. Situé dans la partie ouest de la préfecture de Saitama, à l’extrémité nord des monts Okuchichibu, le mont Ryōkami culmine à 1 723 mètres. Il fait partie des cent sommets répertoriés dans Hyakumeizan, un ouvrage établi par Fukada Kyūya selon des critères de beauté, d’histoire et d’altitude. Un livre qui fait toujours référence dans le milieu outdoor. « Je n’avais jamais gravi de montagne auparavant, j’étais effrayé au commencement. Et puis j’ai progressivement découvert les bienfaits de l’alpinisme. J’ai pu entrevoir des facettes inconnues de mon père aussi », raconte l’apprenti aventurier. Il lui faudra du temps pour considérer la discipline comme un loisir, mais il est parvenu à se dégager du stress quotidien, à marcher sans réfléchir et à se connecter avec la nature… Arrivé au sommet, un temps nuageux l’empêche de profiter de la vue, mais il comprend enfin ce sentiment d’accomplissement. « J’étais entouré d’une fine couche de brouillard. C’est comme si le ciel venait à ma rencontre. J’avais l’impression de me situer dans un entre-deux : notre monde et l’au-delà. J’ai eu l’impression de pouvoir dire adieu à mon papa », se souvient-il. Cet acte libérateur s’est accompagné d’un travail créatif minutieux. Outre les images prises durant son ascension, Shu Watanabe s’est plongé dans les archives familiales. Il a conçu pour une exposition présentée en juillet 2021 à la galerie Reminders Photography Stronghold, à Tokyo, une scénographie immersive. « J’ai combiné des images de chutes de pierres et j’ai construit une montagne en 3D. J’ai utilisé une boîte à lumière pour mettre en avant une radiographie, et j’ai froissé les photos de l’accident pour témoigner de mon traumatisme émotionnel », explique l’artiste. Il a aussi publié un ouvrage qui résume le projet The Last Summit. Un bel hommage qui, assurément, élève Shu Watanabe au rang de photographe auteur.
Cet article est à retrouver dans Fisheye #52, disponible ici.
© Shu Watanabe