Dans Heaven and Hell, Nhu Xuan Hua et Vimala Pons composent des tableaux mettant en scène des personnages inspirés par des héroïnes réelles ou fictionnelles. La série a été exposée cet été aux Rencontres d’Arles.
Cette année, parmi toutes les expositions des Rencontres d’Arles, il en est une qui a su se faire remarquer : Heaven and Hell. Présentée jusqu’au 29 septembre à l’église Saint-Blaise, cette œuvre protéiforme – visuelle, sonore et spatiale – est le fruit d’une collaboration entre Nhu Xuan Hua, photographe de mode française d’origine vietnamienne, et Vimala Pons, actrice et artiste transdisciplinaire. Ce projet aura nécessité deux ans de travail, un budget de 50 000 euros et une équipe d’une cinquantaine de personnes. Le lieu de monstration invite à l’introspection et insuffle, sitôt le seuil franchi, un sentiment de plénitude. La scénographie d’Heaven and Hell est riche mais équilibrée : vidéos en slow motion, textes qui brouillent les pistes en mêlant faits réels et histoires inventées, portraits shootés en studio, casques audios pour écouter la bande originale ou le making-of. Sous la nef, un rectangle de faux gazon vert a été posé sur le sol en pierre. Dessus, stationne une petite voiture blanche factice aux phares allumés et dont le toit dégouline de mazout artificiel. L’automobile, décor de l’une des photos exposées, semble s’en être échappée. Ainsi, dès l’entrée, le public est plongé dans l’ambiance. Ces strates de narrations simultanées virent au vertige poétique en perpétuel mouvement. L’atmosphère est à la fois étrange et bouleversante. L’expérience infuse bien au-delà de la visite de l’exposition.
Personnage-piédestal ou anti-héroïne
Le point de départ d’Heaven and Hell remonte à 2022. Nhu Xuan Hua se rend au centre Pompidou, à Paris, pour voir Vimala Pons y jouer Le Périmètre de Denver [zone du mensonge dans l’esprit qui permet de s’accommoder au réel, ndlr]. La performeuse y est alors masquée et incarne une palette de personnages en portant des sculptures sur sa tête. De leur rencontre naît un coup de cœur mutuel et l’envie commune d’élaborer un projet hybride. Mais autour de quel sujet ? « La thématique de la maison. Et notre rapport aux objets censés nous porter mais qu’on finit par porter nous-mêmes », lance la photographe. La maison, est-ce un espace que l’on veut fuir ou un lieu qui nous protège ? Pour l’actrice, « la maison est bien sûr un espace domestique et un élément d’identification mais surtout, un prolongement du corps ainsi qu’un espace émotionnel ». Aux yeux de Nhu Xuan Hua, « la maison est un lieu d’enracinement duquel on doit sortir. Et il n’y a qu’en cassant les murs qu’on peut se libérer de certaines choses », ajoute-t-elle. Le duo perçoit l’habitat comme un cosmos dans lequel l’imagination fabrique des onirismes consolants mais rebâtit aussi de nouveaux remparts lorsque ceux-ci viennent à tomber. Déconstruire pour reconstruire et dès lors, réinventer…
Mel C des Spice Girls, Drew Barrymore, Florence Arthaud, Julia Roberts, Angela Merkel, Atlas, Fran Fine d’Une Nounou d’enfer, Piper Halliwell de Charmed et Kate Winslet… Héroïnes réelles ou fictionnelles issues de la culture pop, du cinéma, de la télévision, de la mythologie, de la scène sportive ou politique : l’actrice les incarne tour à tour grâce à un travail de transformation physique. À travers elles et les objets porteurs de souvenirs, Heaven and Hell est cette collection de maisons où Vimala Pons et Nhu Xuan Hua ont, à un moment, trouvé refuge. « J’ai demandé à Vimala de me donner une liste d’une dizaine de femmes qui l’avaient inspirée, portée, construite. De mon côté, j’ai toujours eu un attachement particulier pour les personnages boudés par le public, les « weirdos ». À partir de là, nous avons affiné la sélection », explique Nhu Xuan Hua. On a tous·tes dès l’enfance des rôles-modèles sur lesquels s’appuyer pour grandir et se construire. Prendre la gestuelle d’une personnalité par mimétisme ou « copier son maquillage – ce qui peut sembler futile – est un appui moral hyper fort », soutient Vimala Pons. Mais l’idée n’était pas de faire d’Heaven and Hell un musée Grévin. Personnage-piédestal ou anti-héroïne, chacune des femmes incarnées coexiste avec un objet possédant une valeur symbolique qui fait dialoguer poids physique et poids émotionnel. Ainsi, le bouquet en Lego tombant des bras de Florence Arthaud se retrouve à peser plus lourd qu’une montagne de meubles empilés, tenus à bout de bras par Mel C. Et quand Julia Roberts fait basculer un piano en feu, quand Atlas porte sur sa tête un lustre suspendu à un morceau de plafond ou que des pièces de machine à laver semblent léviter au-dessus du crâne de Kate Winslet, la charge physique, en réalité, n’est rien comparée à la charge mentale.
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #67.