« Panorama 22 », les sentinelles s’invitent au Fresnoy

19 octobre 2020   •  
Écrit par Finley Cutts
« Panorama 22 », les sentinelles s'invitent au Fresnoy

Jusqu’au 3 janvier, le Fresnoy ouvre ses portes pour le rendez-vous annuel Panorama 22. Une effervescence de regards nouveaux où coexistent installations, films, réalité virtuelle et photographies. Un laboratoire immense dans lequel les expérimentations se multiplient et témoignent d’une créativité sans limites.

«Il faudrait voir les œuvres comme des marqueurs d’une époque. Elles permettent de laisser une trace, une authenticité de notre rapport actuel au monde »

, annonce Louise Déry, commissaire de l’exposition. Cela est d’autant plus vrai aujourd’hui avec la crise sanitaire. L’exposition se vit avec plus d’intensité et de passion. Plus de 50 œuvres inédites composent un parcours dynamique où les jeunes artistes se positionnent à l’avant-garde et repoussent les limites de l’imaginaire.

« Comment veiller sur le rêve de l’artiste alors que son projet s’éveille, qu’il cherche à voir le jour sous une forme et dans une manière qui l’affranchiront du songe ? » se questionne Louise Déry, confrontée à la difficile tâche de diriger cet ensemble hétéroclite. Elle écoute attentivement les mots des artistes pour en tirer un motif – la figure de la sentinelle. « Mot magnifique chargé de multiples usages, mot plein d’elles superbement inclusif, mot qui se décompose pour faire de la place au sens, au senti, au sentiment » s’exprime la commissaire. Ces artistes se révèlent tels des guetteurs poussés à l’avant de la scène, à l’avant-poste, où ils explorent les frontières du possible.

L’artiste s’épanouit dans son rôle de visionnaire. Comme l’explique Alain Fleischer, directeur de l’établissement : « tout comme les sentinelles, les artistes veillent aux dangers qui menacent nos sociétés ». À l’occasion de Panorama 22, ils se sont confrontés aux questions de racisme, de la santé mentale, de la répression policière et des dangers des nouvelles technologies. Les essais plastiques s’imposent comme une solution pour avancer dans le brouillard.

© Yan Tomaszewski

© Yan Tomaszewski

Le laboratoire monumental du Fresnoy

« Les œuvres de Panorama 22 explorent le rapport entre le réel enrêvé et le rêve éveillé, entre le sol et le ciel, entre le monde observé et la vision hallucinée, entre les ténèbres et la lumière »

poursuit la commissaire. Dans cette cartographie complexe d’auteurs, c’est leur regard singulier que l’on retient. En témoigne les optiques de Lucien Bitaux, les casques de réalité virtuelle d’Éliane Aisso, les instruments d’observation de Claire Williams, et la caméra stéréoscopique de Simon Gaillot. Ils questionnent notre perception, ils luttent contre nos visions archaïques.

En s’inscrivant dans le projet du Fresnoy, les artistes prennent le rôle de scientifique. Ils enquêtent sur nos impressions et décortiquent nos préjugés. L’espace d’exposition, reconvertit en laboratoire monumental, devient le lieu où l’expérimentation prime. On remarque l’usage de la réalité virtuelle avec Ugo Arsac, l’utilisation du phénomène de turbulences avec Domnitch-Gelfand, la reconstruction 3D avec Nataliya Ilchunk, un recours à la microbiologie avec Olivier Sola, et l’usage d’instruments de mesure avec Claire Williams. En explorant de nouvelles méthodes de création, le champ artistique se décuple.

© Lucien Bitaux© Lucien Bitaux

© Lucien Bitaux

Les sentinelles ne baissent pas leur garde

Comment ne pas évoquer la censure de l’installation de l’artiste-activiste Paolo Cirio ? Ce dernier a récolté des centaines de portraits d’officiers de police afin de dénoncer la surveillance excessive de l’Etat. Son travail met en lumière l’unilatéralité du rapport de pouvoir. Paolo Cirio proposait-là une tentative d’inversion des rôles et souhaitait accorder un droit de regard sur ceux qui nous observent. Son œuvre Capture, devant être déployée face à l’exposition, a été masquée suite à la pression du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Le jeudi 15 octobre, des étudiants-artistes ont manifesté contre cette censure. Ils ont notamment placardé « La honte » sur le mur où devait se trouver l’installation.

Cet acte de censure en dit long sur le pouvoir et le champ d’actions des institutions artistiques. Traditionnellement garants de la liberté d’expression, elles en viennent à devoir composer aux dépens des artistes invités. Il est rassurant de voir les étudiants-artistes s’indigner et reprendre le flambeau de leurs prédécesseurs. Paolo Cirio s’en félicite dans une lettre adressée à Louise Dery, « c’est dommage pour l’installation et très troublant de voir comment les autorités ont forcé le démontage de l’œuvre sans même la comprendre. Cependant, je pense que dans l’ensemble c’est un succès ». Éveillées, les sentinelles ne baissent pas leur garde au Fresnoy.

© Alice Goudon© Alice Goudon

© Alice Goudon

© Isabella Hin

© Isabella Hin

© Fanny Bguly

© Fanny Bguly

© Felipe Esparza Pérez

© Felipe Esparza Pérez

© Jongkwan Joo

© Jongkwan Joo

Image d’ouverture © Yan Tomaszewski

Explorez
Karim Kal : paysages nocturnes de la Haute Kabylie
© Karim Kal
Karim Kal : paysages nocturnes de la Haute Kabylie
Le photographe franco-algérien Karim Kal a remporté le prix HCB 2023 pour son projet Haute Kabylie. Son exposition Mons Ferratus sera...
20 février 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
On Mass Hysteria : étude d'une résistance physique contre l'oppression
CASE PIECE #1 CHALCO, (Case 1, Mexico, On Mass Hysteria), 2023, Courtesy Galerie Les filles du calvaire, Paris © Laia Abril
On Mass Hysteria : étude d’une résistance physique contre l’oppression
À travers l’exposition On Mass Hysteria - Une histoire de la misogynie, présentée au Bal jusqu’au 18 mai 2025, l’artiste catalane...
19 février 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Tisser des liens, capter des mondes : le regard de Noémie de Bellaigue
© Noémie de Bellaigue
Tisser des liens, capter des mondes : le regard de Noémie de Bellaigue
Photographe et journaliste, Noémie de Bellaigue capture des récits intimes à travers ses images, tissant des liens avec celles et ceux...
15 février 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Faits divers : savoir mener l’enquête
© Claude Closky, Soucoupe volante, rue Pierre Dupont (6), 1996.
Faits divers : savoir mener l’enquête
Au Mac Val, à Vitry-sur-Seine (94), l’exposition collective Faits divers – Une hypothèse en 26 lettres, 5 équations et aucune réponse...
13 février 2025   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Wes Anderson à la Cinémathèque : quand le cinéma devient photographie
Kara Hayward dans Moonrise Kingdom (2012), image tirée du film © DR
Wes Anderson à la Cinémathèque : quand le cinéma devient photographie
L'univers de Wes Anderson s'apparente à une galerie d'images où chaque plan pourrait figurer dans une exposition. Cela tombe à pic : du...
Il y a 11 heures   •  
Écrit par Cassandre Thomas
A Lost Place : Aletheia Casey évoque le traumatisme des feux australiens
© Aletheia Casey
A Lost Place : Aletheia Casey évoque le traumatisme des feux australiens
À travers A Lost Place, Aletheia Casey matérialise des souvenirs traumatiques avec émotion. Résultant de cinq années de travail...
21 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Javier Ruiz au rythme de Chungking
© Javier Ruiz
Javier Ruiz au rythme de Chungking
Avec sa série Hong Kong, Javier Ruiz dresse le portrait d’une ville faite d’oxymores. Naviguant à travers le Chungking Mansions et les...
21 février 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Karim Kal : paysages nocturnes de la Haute Kabylie
© Karim Kal
Karim Kal : paysages nocturnes de la Haute Kabylie
Le photographe franco-algérien Karim Kal a remporté le prix HCB 2023 pour son projet Haute Kabylie. Son exposition Mons Ferratus sera...
20 février 2025   •  
Écrit par Costanza Spina