Jusqu’au 10 novembre, Paris Photo reprend ses quartiers habituels au Grand Palais. Cette vaste célébration de la photographie est l’occasion de découvrir des talents émergents comme de grands noms du milieu. Pour vous guider, la rédaction de Fisheye vous présente ses coups de cœur de l’édition 2024 !
Erik Madigan Heck – Christophe Guye (C54)
Située dans un angle de la foire, la galerie Christophe Guye rayonne. De grands tirages signés Erik Madigan Heck habillent l’espace de couleurs riches et profondes qui attirent l’œil et nous transportent dans un univers poétique. Les portraits ont parfois des airs de collages nimbés de flou. Les paysages forment des motifs qui rappellent ceux des toiles abstraites et des arts japonais. Quelques véritables peintures, réalisées par ses soins, viennent d’ailleurs se fondre dans cette harmonie. L’artiste américain, qui se plaît à se définir comme « un peintre qui utilise la photographie », s’est fait connaître pour ses œuvres singulières dans lesquelles la nature et les êtres qui la peuplent se révèlent dans des nuances inattendues. Devant un tel spectacle, les esprits songeurs se laissent aller à la rêverie. Dans ce romantisme réinventé, les clichés se transforment dès lors en des paysages-états d’âme où la beauté et l’élégance du geste prévalent sur le reste.
Apolline Coëffet
Jack Davison – COB (C46)
Les contours d’un visage se détachent telle une ombre dans un ciel aux teintes passées. Son regard, pourtant invisible, a tout l’air de se perdre dans le lointain. Peut-être contemple-t-il ces cygnes qui, dans leur mouvement vague, semblent se démultiplier. Il y a aussi ces nénuphars dont les pétales d’or ou d’un blanc immaculé surgissent à l’image comme des étoiles dans la nuit. Les jeux de flou et de clair-obscur caractérisent les tirages énigmatiques de Jack Davison. Un flottement perpétuel les traverse et éveille les imaginaires qui cherchent à appréhender ces figures à demi cachées, aux traits souvent abscons. Nous voilà alors libres de nous laisser porter par les narrations que nous aimerions nous voir proposer. Dans le brouhaha du Grand Palais, sous cette verrière aux mille reflets, cette escale à la galerie COB s’impose finalement comme une pause des plus appréciables. Elle nous invite à prendre le temps de contempler ces fragments qui pourraient se perdre dans le flux des expositions.
Apolline Coëffet
Aapo Huhta – Momentum (D09)
Au détour d’une allée, une obscurité inattendue attire notre attention. Là, dans un univers sans horizon, dans un noir profond rappelant le calme surnaturel de la Voie lactée, les étranges silhouettes d’Aapo Huhta semblent flotter hors du temps. Dans la chambre noire, s’aidant de divers éléments – des résidus chimiques aux fuites de lumière – le photographe finlandais trouble notre regard, fait dériver ses sujets dans un liquide invisible, grossissant des courbes, en anéantissant des fragments. Partout, dans le monochrome qui englobe la série Gravity, le corps coule, son enveloppe charnelle apparemment sans poids l’ancrant davantage dans cet espace inconnu. Et, dans la foule arpentant les longs couloirs de Paris Photo, on ne peut que sortir du tangible nous entourant pour laisser le surréalisme qui les habite convoquer notre propre imaginaire. Immergé·es nous aussi, il nous faut nous interroger : ces apparitions déclenchent-elles en nous une horreur grotesque, ou la naissance d’une paisible contemplation ?
Lou Tsatsas
Rafał Milach – Jednostka (D49)
Sous la verrière gauche du Grand Palais, dans l’espace dédié à la galerie Jednostka, des camaïeux de rose vibrant attirent le regard. Au mur, des visages saupoudrés de fard à paupières et des peaux dessinées d’éclairs rouges ardents. Ces derniers sont le symbole des protestations qui ont éclaté à travers la Pologne le 22 octobre 2020, à la suite de la décision d’interdire l’avortement. Ces images fortes et engagées sont issues de la série Strike (grève, en français) de Rafał Milach, qui depuis 2019 compose avec seize autres photographes l’Archiwum Protestow Publicznych (Archive des protestations publiques, en français), une plateforme de documentation sur l’activisme et les initiatives citoyennes. Au flash, à la même manière que la foudre qui tombe, il documente les nuits de rassemblement, les manifestations et les soulèvements contre l’autorité pendant plusieurs mois. L’insurrection est palpable à travers ses images qui dénoncent les violations des droits humains, en particulier du droit des femmes à disposer de leur corps et qui font particulièrement écho à l’actualité.
Marie Baranger
Alix Marie – Ncontemporary (A06)
Sur le sol de la galerie milanaise Ncontemporary, installée au fond de l’aile droite du Grand Palais, gît un petit escalier, à la structure en bois, fait de carreaux en céramique blancs. Dessus, on aperçoit des kaléidoscopes de photographies de jambes et de bras. Il s’agit de la sculpture Iris de l’artiste française Alix Marie. Ces petites marches guident la vue jusqu’aux cimaises composées d’une série de sept photographies aux couleurs et textures étonnantes. Chaque image est un plan resserré d’une partie de corps féminin, imprimé, couvert de cire qui est craquelée et puis re-scanné. Ces deux travaux révèlent avec audace les recherches de l’autrice sur la figure féminine et la perception du corps des femmes dans la société. La cire sèche marbre les fragments de peaux, dévoilant avec subtilité ce qu’ils représentent ou ce qu’ils pourraient représenter, et happe les spectateurices dans un voyage au plus proche de l’épiderme.