
Pour son édition 2025, la foire internationale Paris Photo transforme une nouvelle fois le Grand Palais en boulevard incontournable du 8e art. Jusqu’au 16 novembre, 178 galeries venant du monde entier y prennent leurs quartiers pour présenter artistes émergent·es ou établi·es. Afin de naviguer de manière sereine sous le dôme lumineux de cette institution parisienne, la rédaction de Fisheye vous propose de découvrir ses coups de cœur.
Sylvie Bonnot – Hangar Gallery (M03)
Du haut du secteur Émergence, Le Royaume des moustiques de Sylvie Bonnot trône fièrement. Sur l’un des murs, nous découvrons « Berceau de Moïse », qui représente un épiphyte, à savoir une plante non-parasite qui se fixe à un autre organisme. La fleur de celle-ci, appelée « reine de la nuit », a la particularité de ne s’ouvrir que les soirs de pleine lune. Cet univers singulier, constitué d’œuvres uniques et inédites, de grands et plus petits formats, se distingue également par ses jeux de matière. Ils résultent d’un procédé délicat, inventé par l’artiste : la mue. « Il consiste en un soulèvement et un drapé cristallisé de la membrane argentique de mes tirages, explique-t-elle. Il me permet d’augmenter la dimension organique de la photographie. Et, ici, d’enchevêtrer les images sous forme de diptyques, puisque c’est la façon qui m’a paru la plus juste pour appréhender les relations complexes de ce territoire équatorial. » De fait, après avoir porté son regard sur le milieu forestier avec L’Arbre-machine (éd. Loco, 2024), elle s’intéresse désormais aux communautés hmongs et cotticas, « qui ont été déplacées par les mouvements et les soubresauts de l’histoire ». « Tous les récits qui sont convoqués par la série évoquent le partage des ressources entre les règnes – animal, végétal, humain – qui se jouent en lisière d’Amazonie, de forêt amazonienne », poursuit-elle.
Apolline Coëffet



L’Association photographique des étudiants de tout le Japon – MEM (C30)
Sur une cimaise du secteur principal, un mot en lettres capitales, puis en lettres minuscules, et aussi en lettres phonétiques interpelle : Hiroshima. S’il s’agit d’une grande ville au sud de l’île de Honshu, au Japon, elle évoque surtout la tragédie atomique du 6 août 1945. Mais ici, les images présentées à la Galerie MEM ne sont pas celles de la catastrophe. Elles sont le fruit d’un projet, intitulé Hiroshima Day, porté par l’Association photographique des étudiants de tout le Japon (APETJ) – qui fédérait les clubs photos lycéens et universitaires de l’Archipel – à Hiroshima entre 1968 et 1971. Sur les monochromes délicats, on découvre un Japon en mutation – entre ruines et reconstructions, blessures du passé et joies vers l’avenir. La motivation de ce projet : avoir regard nouveau, plus juste, sur la ville dans l’optique de « réexaminer ce qui signifie “Hiroshima” ». Les clichés des étudiant·es se sont matérialisés en livre, HIROSHIMA, Hiroshima, hírou-ʃímə, publié en 1972. Des originaux sont aujourd’hui présentés à Paris Photo et nous invitent à voir Hiroshima autrement.
Marie Baranger


Justine Kurland – Galerie Higher Pictures (secteur Voices)
Il faut s’approcher pour entrer dans la série de Justine Kurland, à la Galerie Higher Pictures, situé dans le secteur Voices de Paris Photo 2025. On y trouve de petits collages sobres, tenus, où des corps féminins découpés et recomposés forment une architecture de chair et de gestes. Dans chaque image, il y a une intervention picturale – une pomme, une tige, une gousse d’ail – posée comme une balise. Un geste simple, mais décisif : reprendre des images façonnées par un regard masculin et les réécrire, les réassembler pour leur offrir un autre espace. Ici, les corps ne posent plus : ils résistent, se protègent, se multiplient.
Ce travail résulte d’un processus qui consiste à copier les natures mortes peintes par son père sur des toiles constituées de collages extraits de Nudes de Lee Friedlander, à déconstruire un héritage artistique masculin, et à libérer ces corps photographiés pour en proposer un récit plus juste, plus libre, plus à elle. Les collages deviennent une manière d’inverser les rapports de pouvoir, de transformer ce qui était imposé en un espace de solidarité et de réappropriation.
Dans le flux dense de Paris Photo, ces images suspendent le rythme. Elles rappellent que le collage peut être un acte politique autant qu’un geste intime, et que Justine Kurland impose ici un langage clair, précis, impossible à ignorer.
Fabrice Laroche


Atong Atem – MARS (G02)
Sur les balcons du secteur Émergence, quatre grands tissus colorés sont suspendus sur une cimaise blanche. Pour les adeptes de l’occulte, les images qui y sont imprimées sont évocatrices : elles semblent tout droit sorties d’un jeu de tarot. Mêlant les répertoires de la taromancie et de la chrétienté, Atong Atem, une artiste sud-soudanaise installée en Australie, compose This Happened to You, un récit poignant et surréaliste qui sonde les liens de filiations, la famille et la mythologie. Ses photographies de femmes, qui dansent ou qui sont couvertes d’épées tranchantes, sont imprimées sur du velours, ce qui leur confère une dimension mystique, presque insaisissable. Elle poursuit ainsi son exploration des expériences postcoloniales dans la diaspora africaine, tout en interrogeant le rôle des photographes comme conteur·rice d’histoires.
Marie Baranger

