Pixy Liao : la dualité amoureuse au seuil de l’absurde

02 mai 2023   •  
Écrit par Léa Boisset
Pixy Liao : la dualité amoureuse au seuil de l’absurde
© Pixy Liao

Jusqu’au 9 juillet, le Centre pour la photographie contemporaine (CCP) de Melbourne consacre une exposition à Pixy Liao, qui explore dans Experimental Relationship sa vie de couple dépouillée de tout artifice, dans un naturel caressant l’absurde.

Dans cette série d’étranges autoportraits, dont elle est à la fois la photographe et le modèle, Pixy Liao se met en scène avec son petit ami, Moro, afin de questionner, à travers sa propre relation amoureuse, les normes et rapports de pouvoir traditionnels au sein du couple. L’artiste prend le contrepied d’un premier stéréotype de genre, qui suppose que la femme aurait besoin d’un homme plus âgé à ses côtés, tandis que l’homme aurait tendance à choisir des partenaires plus jeunes. Moro, de cinq ans son cadet, adopte au contraire une position de soumission comique. Dans « After Psyche Revived by Cupid’s Kiss », alors que l’artiste règne, assise avec superbe sur une chaise, Moro, dont la nudité suppose une grande vulnérabilité, apparait de dos, les fesses sur les genoux de Pixy Liao, dans une atmosphère ambivalente, suggérant la punition, à la fois non-loin du rivage de l’enfance et des eaux tumultueuses de la sexualité.

D’autres photographies tendent à peindre Pixy comme une matriarche : la photographie « Holding », dans laquelle l’artiste tient dans ces bras Moro, tel un nourrisson, mais dont la taille serait disproportionnée, métamorphose l’artiste en une madone absurde, qui démange notre imagination et nos représentations. Cette remise en perspective des rôles du féminin et du masculin s’accompagne également d’une interrogation sur le genre. Dans « You don’t have to be a boy to be my boyfriend », dont le titre éclaire l’intention, la photographe fait éclater les catégories traditionnelles, au profit d’un mélange des genres : Moro, le crâne rasé, vêtu d’une robe fleurie, dans un geste très sensuel porte à ses lèvres l’un de ses doigts, à l’extrémité duquel se trouve une juteuse framboise rouge.

© Pixy Liao

L’entité couple en lutte

Au-delà de ces questionnements, Pixy Liao semble nous donner accès à l’intimité brute, dans ce qu’elle a de déraisonnable, d’effrayant et de paradoxal, ce qu’elle transfigure notamment à travers le partage de l’espace à l’intérieur même des photographies. Les deux entités du couple sont parfois amassées, ne faisant presque qu’un, dans une volonté, ou un impératif d’intégration de soi à l’autre, comme dans les photographies « Try to live like a pair of siamese twins », ou « How to build a relationship with layered meanings ». Dans cette dernière, un matelas composite, dont on distingue plusieurs couches, accueille les amoureux. La curieuse superposition de leurs corps, amorphes, mêlée au stoïcisme des visages, semble leur faire perdre leur identité propre, et les métamorphose en couches supplémentaires du matelas. L’on peut voir dans cet écrasement des corps, symbolique du poids que peut représenter l’autre, un leitmotiv cher à l’artiste, que l’on retrouve dans les clichés « It’s Never Been Easy to Carry You » ou « Carry the Weight of You ». Plus littéralement, la lutte des identités au sein du couple est aussi exposée dans les photographies de la série Bed Wrestling, non sans lien avec la lutte des nationalités chinoise et japonaise auxquelles les protagonistes appartiennent.

Surprenante aussi cette façon de traiter la nudité, dans son naturel quasi asexuel, anti-érotique ; un aspect primitif de la nudité que l’on retrouve au sein d’un couple, dans l’habitude prise du corps de l’autre, vu alors non plus comme un évènement suscitant le désir, mais comme une situation ordinaire, voire comique. Néanmoins, si la sexualité n’est pas de mise, certaines photos, d’une grande tendresse, sont d’une sensualité et d’une beauté sublime, désintéressée : c’est le cas de « Hug by the pond », où, dans une verdoyante forêt, les corps majestueux, dont la couleur laiteuse contraste avec la végétation, s’enlacent, ou dans « Bed Wrestling 3004 » et « Some words are just between us », qui offrent, sans trop d’ironie cette fois, des parenthèses de douceur d’une intimité pure.

© Pixy Liao© Pixy Liao

© Pixy Liao

© Pixy Liao© Pixy Liao

© Pixy Liao

© Pixy Liao

Explorez
Eulogy : Sander Coers et les traumatismes intergénérationnels
© Sander Coers
Eulogy : Sander Coers et les traumatismes intergénérationnels
Au fil de ses projets, Sander Coers sonde la mémoire en s’intéressant notamment à l’influence que nos souvenirs exercent sur notre...
19 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Patricia Voulgaris, entre rêves et réminiscences
© Patricia Voulgaris
Patricia Voulgaris, entre rêves et réminiscences
L’artiste Patricia Voulgaris ancre sa pratique dans un dialogue entre réalité et fiction. À travers le noir et blanc, elle crée...
16 avril 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Acedia de Louise Desnos : la douceur de la paresse 
© Louise Desnos
Acedia de Louise Desnos : la douceur de la paresse 
Entre lumière suspendue et tendre mélancolie, Louise Desnos dévoile Acedia, un projet photographique au long cours, sensible et...
16 avril 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Dans l'œil de Lorena Florio : filtrer la lumière
Untitled, de la série Lacerazioni © Lorena Florio
Dans l’œil de Lorena Florio : filtrer la lumière
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil de Lorena Florio. Dans sa série Lacerazioni, elle donne une impression de...
14 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
11 séries photographiques qui mettent le Brésil à l’honneur
© Alice Quaresma
11 séries photographiques qui mettent le Brésil à l’honneur
L’année 2025 est marquée par la saison France-Brésil. Ce programme a pour ambition de renforcer les liens entre les deux pays en nouant...
Il y a 4 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Rephotographier les monts Uinta pour montrer que le changement climatique s’accélère
© William Henry Jackson, 1870 et Joanna Corimanya, Anahi Quezada, et Town Peterson, 2024.
Rephotographier les monts Uinta pour montrer que le changement climatique s’accélère
En septembre 2024, le géologue Jeff Munroe et l’écologiste Joanna Corimanya entreprenaient un trek de 50 kilomètres dans la toundra des...
Il y a 9 heures   •  
Écrit par Thomas Andrei
Les photographes dans Fisheye célèbrent la Terre, sa fragilité et sa grandeur
Camsuza © Julie Arnoux
Les photographes dans Fisheye célèbrent la Terre, sa fragilité et sa grandeur
Les photographes publié·es sur Fisheye ne cessent de raconter, par le biais des images, les préoccupations de notre époque. À...
22 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
La sélection Instagram #503 : les pieds sur Terre
© Garrison Garner / Instagram
La sélection Instagram #503 : les pieds sur Terre
À l’occasion de la journée de la Terre, les artistes de notre sélection Instagram de la semaine célèbrent notre planète. Iels...
22 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger