Ces dernières années, on a beaucoup parlé du retour en force des clips vidéo, sans doute plus que jamais ouverts aux nouvelles formes artistiques et aux nouveaux formats. Depuis le début des années 2000, on a ainsi vu apparaître des clips de 24 heures (Happy de Pharrell Williams), des clips interactifs (Met Before de Chairlift, Reflektor d’Arcade Fire) et, dernièrement, des clips masqués derrière le format court-métrage ou documentaire. « Il y a bien eu des exceptions, comme Michel Gondry et Spike Jonze, qui ont prouvé que l’on pouvait faire beaucoup avec peu, mais il faut avouer que les clips ont longtemps été réservés à des groupes ayant les moyens de le faire, croit savoir Romain Cieutat, qui signe toutes les vidéos du collectif de musique électronique ClekClekBoom (Manaré, Bambounou, French Fries). Aujourd’hui, avec les différentes évolutions technologiques, tout a changé. Des logiciels ont permis de libérer la création et ont démocratisé le propos. On peut désormais travailler à moindre coût avec de vraies équipes de cinéma et des caméras d’une excellente qualité. »
Fatalement, Romain Cieutat ne pouvait s’empêcher d’explorer les possibilités offertes par tous ces nouveaux outils. Ces dernières années, il a notamment réalisé un documentaire sur le voguing, projeté le teaser de la compilation Paris Club Music Vol. 2 sur les différents murs de Paris – « en totale illégalité, on s’est même fait serrer deux-trois fois », précise-t-il –, mis sur pied un film de quarante-cinq minutes projeté à 360 ° à la Gaîté lyrique à l’occasion des trois ans de ClekClekBoom, ou encore scanné le corps d’Abd Al Malik en temps réel pour les besoins du titre Daniel Darc. « Le tout en ayant carte blanche à chaque fois, se réjouit Romain Cieutat. On a peu de moyens avec le collectif, mais, comme souvent, ça engendre plus de liberté. »
Être le plus inventif possible
Ce sentiment, Jeremiah, auteur de clips pour R.E.M., Camille, Sophie Hunger ou The Dø, le partage également : « Bien sûr, certains artistes bénéficient aujourd’hui d’un budget de 60 000 euros pour leur clip, mais on est loin des 150 000/200 000 euros autrefois accordés. Aujourd’hui, la moyenne, c’est plus 15 000 euros. C’est un peu juste, mais ça incite à être le plus inventif possible. » Au point de parfois se heurter aux désirs des artistes et des labels ? Si Jeremiah insiste sur le fait qu’il « doit y avoir une confiance mutuelle entre les différentes parties » et précise que « la scène du karaoké qui est placée en plein milieu du clip Trustful Hands de The Dø se serait passée même si la caméra n’avait pas été là ». Adrien Landre, moitié du duo Julien + Adrien, va plus loin : « En général, pour obtenir cette liberté, il faut que l’artiste et le label soient assez souples, rester impliqués tout en lâchant prise. C’est souvent plus simple d’avoir un dialogue avec l’artiste, de créatif à créatif. Ensuite, ils comprennent assez vite qu’un format cinématographique portera le projet musical initial, ça leur permet de se démarquer du format pop et télévisuel, qui est sûrement dépassé à l’heure actuelle. Dans le clip Quitter la ville, de Rone, par exemple, on a inséré quelques dialogues en plein milieu. Ça permet aux images de vivre différemment, d’être plus narratives, plus fictionnelles. »
À regarder l’évolution de ces « vidéos promotionnelles » ces dernières années, il ne fait d’ailleurs aucun doute que les artistes sont plutôt réceptifs à ces nouveaux formats. À l’heure de YouTube et de la course aux clics, ils sont même nombreux à s’y être essayés : en 2012, Gorillaz s’associait à Converse pour la réalisation d’un court-métrage mettant en avant le dernier modèle de baskets de la marque américaine. L’année suivante, le groupe de pop française La Femme se faisait poursuivre par des fantômes et devait faire face à des sorcières dans une vidéo regroupant deux singles (Hypsoline et La Femme). En juin 2015, quelques jours après avoir dévoilé un clip en réalité virtuelle, Björk publiait une vidéo de dix minutes illustrant le morceau Black Lake.
Quelques semaines plus tard, M.I.A. a mis en ligne un court-métrage de six minutes réalisé par ses soins entre l’Inde et la Côte d’Ivoire et illustrant les morceaux Warriors et Swords, tandis que Camille, comme nous le confie Jeremiah, « a eu le culot en 2011 de ne pas se contenter d’un clip, d’aller vers quelque chose de très direct en imposant à son label la réalisation d’un film (Ilo Veyou, ndlr) de plus d’une heure, où elle chante en acoustique et où on a inséré une légère narration. Je trouve ça plus authentique qu’une artiste qui chante en play-back pendant trois ou quatre minutes. »
Pop culture, mises en scène et promotion
Plus de trente ans après l’influent Thriller de Michael Jackson, nombreux sont les réalisateurs à nous inciter à débrancher notre clavier et à plonger durant plus de dix minutes dans des univers souvent bercés de pop culture. Sans jamais, pour autant, tomber dans une mise en scène pompeuse : « Je ne sais pas comment ça se passe chez les autres, mais avec Julien nous avons rarement fait appel à de vrais acteurs, précise Adrien Landre. Étant donné que nos clips sont majoritairement réalisés autour de sujets forts et assez réalistes, on ne demande jamais à quelqu’un de faire quelque chose qu’il ne saurait pas faire dans sa propre vie. Dans le clip de Rone, par exemple, les cavaliers présents montent à cheval depuis leur naissance. Dans le court-métrage réalisé avec le producteur Étienne Jaumet et le chef gourmet Atsushi Tanaka, c’est une composition d’une bande originale improvisée en live sur la réalisation d’un menu de ce dernier. Tout paraît donc assez instinctif et ça amène des images assez précises, qui apportent un message au-delà de la musique.»