Au volant d’une moissonneuse-batteuse, d’un pick-up ou d’une Chevrolet, Simon Vansteenwinckel nous emmène sur la route. Et pour prendre le large, rien de tel qu’une bande-son adéquate. C’est tout cela Rustine : un voyage en sons et en images, orchestré par Mathias Van Eecloo, musicien et directeur de la maison d’édition IIKKI.
Des corps dénudés, des pneus qui crissent. Un freinage d’urgence, deux drifts. Des rodéos granuleux. Une battle de moissonneuses-batteuses. Et puis le bitume, toujours le bitume. Qui a la plus grosse ? La plus rapide ? « Le culte voué à cette machine infernale qu’est la voiture est fascinant, et les symboles qu’elle véhicule – le voyage ou encore la liberté – sont très forts », annonce Simon Vansteenwinckel. Dans son ouvrage intitulé Rustine, édité chez IIKKI, le photographe belge réunit trois séries distinctes, encore jamais publiées, réalisées en Amérique, dans le nord de la France, et en Belgique – « ce petit pays où le rêve américain est encore bien présent, et souvent représenté de manière kitsch ». Un éditing assuré par Mathias Van Eecloo, musicien et directeur de la maison d’édition, lancée en 2016. Le concept ? Installer un dialogue entre le son et l’image. Si pour les précédentes créations, Mathias Van Eecloo a passé commande, il dévoile avec Rustine, quelques-uns de ses sons composés dans le cadre de The Three Oldmen’s Birds. « Ce projet a été joué et enregistré entre 2012 et 2013, sans ordinateur, dans des sessions d’improvisations et de collages avec les machines et instruments disponibles. Il s’agit d’un groupe imaginaire de rock alternatif / post rock de trois musiciens », confie l’artiste à la double casquette. Un style que n’écoute pas spontanément Simon Vansteenwinckel, mais une fois confronté avec ses images, cela a fait tilt. « Les deux ensembles se complètent et s’amplifient. La musique provoque des images et une série d’images appelle une certaine musicalité. Comme au cinéma », précise le photographe.
L’ingéniosité de l’homme lorsqu’il s’ennuie
Si l’auteur réfute le terme d’ « obsession », il avoue développer un « amour particulier pour cette Amérique et tout ce qu’elle représente – le meilleur comme le pire. Un pays tout en contraste, une caricature de notre société capitaliste sur le déclin ». Et quid des voitures et du bitume ? « Il s’agit d’un univers assez machiste et matérialiste », commente le photographe. Et dire que tout cela existe encore en 2022, en pleine crise du pétrole… On ne peut que saluer celles et ceux qui ont choisi l’autodérision pour dénoncer les crises de notre temps. Orelsan et son titre phare Odeur de l’essence bien sûr, et Simon Vansteenwinckel bien entendu. « Il a une qualité toute particulière pour saisir des instants de vie, en donner une saveur très personnelle qui dégage autant de la poésie, que de l’humour et de l’intemporel. Rustine est une manière de prendre à contre-pied l’atmosphère générale anxiogène (notamment provoquée par la pollution permanente) et d’en faire, étrangement, une respiration, un contrepoint. N’ayant aucune passion ni même intérêt particulier pour les voitures ou les courses, c’était un challenge à mettre en place de mon côté », explique Mathias Van Eecloo. Quant au photographe belge, il se souviendra encore longtemps des courses de moissonneuses-batteuses : « Voir ces mastodontes d’acier se bousculer à toute allure, sortir de route, et se retourner dans les virages est un spectacle particulier. Cela nous prouve une fois de plus l’ingéniosité de l’homme lorsqu’il s’ennuie ». Road-movie ou rêve américain déchu, Rustine symbolise « cet espèce de sparadrap que l’on applique pour combler un manque ». Sauf qu’ici, quand on l’arrache, restent la musique et les images pour nous faire oublier la douleur…
Rustine, IIKKI, 50 €, 130 p. (livre + CD)
© Simon Vansteenwinckel