Robin Maddock : le portrait chaotique d’un Royaume-Uni en plein Brexit

02 décembre 2021   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Robin Maddock : le portrait chaotique d’un Royaume-Uni en plein Brexit
© Robin Maddock

Avec England… Les Anglais ont débarqué !, le photographe britannique Robin Maddock signe un portrait fou de son pays d’origine, au lendemain du Brexit. Un ouvrage encyclopédique aux multiples entrées, aussi délirant que captivant.

« Je prends des photos et j’écris sur des choses pour essayer d’illustrer ce qui nous arrive à nous, humains. Généralement, j’utilise ces médiums pour traiter de certains enjeux, mais ces derniers pourraient finalement bien me guider… »,

déclare le Britannique Robin Maddock. C’est durant son enfance, alors que son père lui prête le boîtier familial que l’auteur se découvre une passion pour le 8e art. « Je ne lui ai jamais rendu, et ainsi, les photos de famille ont disparu », ironise-t-il. Comparant sa propre pratique à « une promenade avec un chien, qui décide lui-même du trajet », l’auteur ne s’interdit aucune approche ni aucun appareil photo, et s’intéresse avant tout au sujet. L’objectif ? Trouver le meilleur outil pour le révéler. En résultent des projets abracadabrants, véritables désordres artistiques, où se croisent collages, street photography, portraits, humour, intime, poésie et même abstraction.

Un amalgame créatif qui définit précisément England… Les Anglais ont débarqué !, un livre audacieux imaginé au lendemain du Brexit. « En 2016, j’ai quitté Lisbonne, où j’étais installé, pour retourner dans mon pays d’origine. L’ouvrage reprend des images de mes archives, comme des œuvres plus récentes, inspirées par le contexte politique. Au total, il m’a fallu cinq ans – dont dix-huit mois de retard, à cause de la pandémie – pour le terminer », se souvient Robin Maddock. Et de ce projet volumineux émerge un portrait nuancé du Royaume-Uni, aux multiples strates inspirées par autant d’amour que de frustration, autant d’espoir que de déception. Une représentation brute, folle et colorée du territoire qui a vu grandir le photographe.

© Robin Maddock

Comme tout bon film d’horreur

Car dans England… Les Anglais ont débarqué !, rien ne semble avoir de sens. Les écritures photographiques se suivent et ne se ressemblent pas, l’intime croise le comique, et l’expérimentation le classicisme. Une mosaïque aux maintes influences – parmi elles, Martin Parr, Don McCullin, Deborah Turbeville, Diane Arbus, Luigi Ghirri, Daido Moriyama ou encore Walker Evans – symbolique d’un espace multi-identitaire. « La fluidité – ou plutôt la non-fluidité de la maquette est censée représenter les connexions entre les choses qui ne devraient pas être côte à côte et qui, pourtant, le sont, dans la vraie vie », précise Robin Maddock. Une diversité également influencée par son recul sur la situation : « j’ai grandi à Singapour, j’ai beaucoup voyagé tout au long de ma vie et j’habite désormais en France. J’ai étudié les sciences sociales à l’université, je sais à quel point les sociétés peuvent être différentes. Tout est arbitraire, et pas inévitable », ajoute-t-il.

Mais à ce détachement manifeste s’ajoute néanmoins une colère, face à la bêtise des politiques, qui ont provoqué cette rupture entre le Royaume-Uni et le reste de l’Europe. Définissant lui-même son œuvre comme « une propagande gauchiste », le photographe laisse éclater sa rage à travers la conception artistique. Véritable torrent d’images, le livre capture un éventail d’émotions fortes, un désir impérieux de donner du sens – ou au contraire de le dissoudre entièrement – dans un contexte politique chaotique. Un équilibre fragile que l’artiste parvient à atteindre en usant de l’humour. « Comme dans tout bon film d’horreur, non ? Sans cette justesse, il n’y a plus de crédibilité. Mais les Anglais savent rire d’eux-mêmes », s’amuse-t-il. Et, dans cette effervescence, l’auteur écrit sa propre définition du territoire « un endroit dans lequel je vivais, autrefois, et qui est au bord d’une rupture : avec une union qui nous a empêchés d’entrer en guerre pendant des centaines d’années », explique-t-il. Une rupture qui, à la manière d’un scénario catastrophe, déclenche de sombres événements. « L’utilisation de la technologie, sa relation à notre consommation, et ses dégâts sur l’environnement, notamment », ajoute Robin Maddock. Avec England… Les Anglais ont débarqué !, le photographe propose une histoire, à la fois réaliste et fictive, heureuse et mauvaise. Une histoire venue de ses entrailles, née d’une frustration intense face aux débordements de notre monde contemporain. Et quoi de mieux, pour lui crier son incompréhension, que de la jeter sur les pages d’un ouvrage au charme impertinent, à l’extravagance captivante ?

 

England… Les Anglais ont débarqué !Éditions fire/hole, 45£, 248 p. (dont 4 déchirées à la main)

© Robin Maddock

© Robin Maddock© Robin Maddock

© Robin Maddock

© Robin Maddock© Robin Maddock

© Robin Maddock

© Robin Maddock© Robin Maddock

© Robin Maddock

© Robin Maddock

Explorez
Karim Kal : paysages nocturnes de la Haute Kabylie
© Karim Kal
Karim Kal : paysages nocturnes de la Haute Kabylie
Le photographe franco-algérien Karim Kal a remporté le prix HCB 2023 pour son projet Haute Kabylie. Son exposition Mons Ferratus sera...
20 février 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
On Mass Hysteria : étude d'une résistance physique contre l'oppression
CASE PIECE #1 CHALCO, (Case 1, Mexico, On Mass Hysteria), 2023, Courtesy Galerie Les filles du calvaire, Paris © Laia Abril
On Mass Hysteria : étude d’une résistance physique contre l’oppression
À travers l’exposition On Mass Hysteria - Une histoire de la misogynie, présentée au Bal jusqu’au 18 mai 2025, l’artiste catalane...
19 février 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Tisser des liens, capter des mondes : le regard de Noémie de Bellaigue
© Noémie de Bellaigue
Tisser des liens, capter des mondes : le regard de Noémie de Bellaigue
Photographe et journaliste, Noémie de Bellaigue capture des récits intimes à travers ses images, tissant des liens avec celles et ceux...
15 février 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Faits divers : savoir mener l’enquête
© Claude Closky, Soucoupe volante, rue Pierre Dupont (6), 1996.
Faits divers : savoir mener l’enquête
Au Mac Val, à Vitry-sur-Seine (94), l’exposition collective Faits divers – Une hypothèse en 26 lettres, 5 équations et aucune réponse...
13 février 2025   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Wes Anderson à la Cinémathèque : quand le cinéma devient photographie
Kara Hayward dans Moonrise Kingdom (2012), image tirée du film © DR
Wes Anderson à la Cinémathèque : quand le cinéma devient photographie
L'univers de Wes Anderson s'apparente à une galerie d'images où chaque plan pourrait figurer dans une exposition. Cela tombe à pic : du...
Il y a 11 heures   •  
Écrit par Cassandre Thomas
A Lost Place : Aletheia Casey évoque le traumatisme des feux australiens
© Aletheia Casey
A Lost Place : Aletheia Casey évoque le traumatisme des feux australiens
À travers A Lost Place, Aletheia Casey matérialise des souvenirs traumatiques avec émotion. Résultant de cinq années de travail...
21 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Javier Ruiz au rythme de Chungking
© Javier Ruiz
Javier Ruiz au rythme de Chungking
Avec sa série Hong Kong, Javier Ruiz dresse le portrait d’une ville faite d’oxymores. Naviguant à travers le Chungking Mansions et les...
21 février 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Karim Kal : paysages nocturnes de la Haute Kabylie
© Karim Kal
Karim Kal : paysages nocturnes de la Haute Kabylie
Le photographe franco-algérien Karim Kal a remporté le prix HCB 2023 pour son projet Haute Kabylie. Son exposition Mons Ferratus sera...
20 février 2025   •  
Écrit par Costanza Spina