Fisheye : Pouvez-vous revenir sur votre carrière ? Que faisiez-vous avant d’être photographe ?
Roger Sargent : Je vivais dans un petit village près de Derby dans les Midlands, en Angleterre. Après avoir payé mon billet de train pour aller en cours et étudier la photographie, je n’avais plus vraiment d’argent pour me rendre à des concerts et aller voir les groupes que j’aimais. Donc la photographie a très vite été un moyen pour moi de m’arranger avec les directeurs des différentes salles pour assister aux soirées.
Ça a été difficile pour vous d’imposer votre patte au sein de la photographie rock ?
À vrai dire, ça a été assez facile pour moi de trouver un job à NME, un magazine anglais spécialisé dans la culture rock pour lequel je rêvais de travailler depuis mes 15 ans. Une fois plongé au cœur de la rédaction, je savais que je voulais en faire mon métier, que je voulais être le meilleur. En plus, les groupes suivis par le NME correspondaient à mes propres goûts. J’ai toujours eu beaucoup d’affinités avec le rock. J’ai aussi un penchant prononcé pour la dance, mais j’ai grandi en écoutant Dead Kennedys et Crass, donc l’électricité a toujours eu tendance à m’exciter.
L’aventure avec NME a commencé en quelle année ?
Ça devait être aux alentours de 1994. À l’époque, je voulais juste tirer des photos en concert et les diffuser. Peu à peu, ils ont commencé à me missionner pour réaliser des portraits pour le magazine. On le dit peu, mais ce journal a été très important pour démocratiser la relation entre la photo et la musique. Même si sa volonté de devenir gratuit et de se concentrer sur le Web dernièrement peut avoir des impacts négatifs sur la photographie.
Cat Power, The Libertines, Bob Mould ou encore Oasis… tous ces musiciens sont un peu des renégats du rock. Le côté rebelle, c’est ce qui vous intéresse ?
L’idée a toujours été de capter la solitude et l’intimité de mes sujets. Je pense que c’est le meilleur moyen de comprendre leur humanité, de plonger dans leurs émotions, qu’elles soient joyeuses ou non. Après, c’est vrai que j’ai tendance à être attiré par les groupes imprévisibles. Je n’aime pas être en sécurité. J’aime le fait d’être défié en permanence, que ce soit visuellement ou d’un point de vue cérébral.
Dans ce cas, est-ce que tout est fait à l’instinct ou est-ce qu’il y a une vraie mise en scène ?
C’est un peu les deux, en réalité. Généralement, j’ai toujours une vision de l’ensemble au départ, des idées que j’aimerais mettre en place comme la lumière ou le lieu du shooting. Mais j’aime également m’ouvrir aux envies des artistes. Donner et recevoir, comme on dit. C’est le principe d’une collaboration réussie.
Vous avez beaucoup travaillé avec les Libertines. Quelle a été votre première impression à propos de Pete Doherty et de Carl Barât ?
J’ai eu la chance de les voir lors de leur premier concert avec le line-up actuel, juste avant qu’ils ne signent sur le label Rough Trade, et j’ai tout de suite pensé qu’ils avaient l’air fantastiques et chaotiques. Cela dit, je ne savais pas s’ils étaient le pire groupe que je n’avais jamais vu, ou le meilleur. [Rires.]
Vous avez également réalisé un documentaire autour du groupe, There Are No Innocent Bystanders…
L’année dernière, j’ai également réalisé leur nouveau logo. Sinon, l’idée était très simple : il s’agissait d’accompagner leur reformation en 2010, d’être présent dans les coulisses, de comprendre la relation entre Carl Barât et Pete Doherty, une véritable histoire d’amour, et de montrer l’envers de la célébrité. Vous savez, la plupart des moments passés avec les Libertines étaient extraordinaires. Pour moi, ils sont au-dessus de la plupart des artistes que j’ai rencontrés.
En tant que photographe de formation, pensez-vous qu’il y a des similitudes entre ce métier et celui de réalisateur ?
Il y en a vraiment beaucoup. La façon dont un photographe doit mettre en place ses sujets et les stimuler pour véhiculer une histoire est assez identique au rôle d’un réalisateur. Sur le moment, c’est peut-être plus plaisant d’avoir la casquette de réalisateur, cela dit. Je pense que ça permet de s’exprimer davantage.
L’une de vos plus célèbres photographies est celle d’Oasis…
Les membres d’Oasis étaient très excités à l’idée de faire cette séance. Ils dominaient les charts à l’époque, et ils avaient le mérite d’être toujours imprévisibles. Liam vous mettait toujours sur la brèche. Sinon, j’aime beaucoup également celle de Fatboy Slim, où je le déguise en soldat, on était en pleine guerre du Golfe. J’adore ce genre de mise en scène.
Comment faites-vous pour convaincre des artistes de faire ce qu’ils ne feraient pas habituellement ?
En leur faisant croire que l’idée est bonne et que ça peut leur donner une image assez inédite. Je ne demanderai jamais à quelqu’un de s’adapter à une idée à laquelle je ne crois pas.
Vous avez également travaillé avec des rappeurs comme Eminem, Naughty By Nature et Snoop Dogg. Comment sont nées toutes ces rencontres ?
À l’époque, le hip-hop n’était pas vraiment dans les petits papiers de NME, et beaucoup de ces artistes étaient difficiles à contacter ou à gérer. Du moins, c’est ce qui se disait. Pourtant, photographier Ice-T dans sa maison à Los Angeles a été super. Ça fait partie de mes meilleurs souvenirs.
Il y a un groupe que vous auriez aimé photographier ?
Les Doors, mais ça risque d’être compliqué. [Rires.] Et, en toute honnêteté, je préfère nettement me concentrer sur les groupes en devenir, ceux qui feront la musique de demain comme Sunflower Bean, Sleaford Mods ou Fat White Family.