Début mai 2023, lors du couronnement du Roi Charles, le photographe Benjamin Cremel a capturé les festivités londoniennes. À coups de flash, il met en lumière, dans Royal Fever, la splendeur du kitsch anglais, comme les incohérences politico-économiques d’un tel événement.
« Royal Fever, c’est une réalité parallèle, une bulle autour de Buckingham Palace dans laquelle le délire est palpable – avec chaque voiture qui descend l’avenue du Mall, chaque rumeur d’une visite royale, chaque interview de la presse internationale. C’est marrant lorsqu’on arrive sur place, car le reste de la ville semble complètement ignorer le couronnement. Dans cette zone, le burlesque est la norme, et l’absurde, la règle », raconte Benjamin Cremel. Né en France et installé en Angleterre, le photographe s’est d’abord intéressé au 8e art pour « tromper l’ennui », avant de se découvrir un intérêt réel pour le médium. Passé par une école photo à Paris puis une agence de presse spécialisée dans le sport, il poursuit aujourd’hui une approche qu’il définit comme « pulsionnelle et instinctive ». Une exploration libre de son environnement, toujours marquée par un désir d’honnêteté. « Je pense ma création comme une matière vivante et surtout sans contrainte », précise-t-il.
Cadrages serrés, flash intense, costumes colorés aux motifs insolites, Union jacks omniprésents et copies de billets à l’effigie de l’ancienne Reine… En plein Londres, le couronnement du roi Charles a donné lieu à trois jours de fête en mai dernier. Trois jours aussi fous qu’emblématiques où les gens se sont réunis pour vivre au rythme de la royauté. « En tant qu’étranger, on se laisse prendre au jeu et porter par la ferveur avec beaucoup de légèreté », confie Benjamin Cremel qui, inspiré, dégaine son boîtier et immortalise le kitsch et la magie de l’instant. « C’était un événement unique pour la majorité de la population. Il m’était impossible de ne pas me rendre sur place pour être témoin de l’excentricité démesurée des Britanniques ! », ajoute-t-il.
« Que le kitsch anglais vive éternellement ! »
Démêler le drôle du vrai
Et si les contrastes appuyés, les tons clairs et les situations cocasses capturées peuvent amuser, le photographe assure que rien n’est mis en scène : « C’est vraiment ce à quoi j’ai assisté, une comédie dont les acteurices venu·es camper près du palais étaient en constante improvisation. C’était le banal, l’ordinaire dans une mise en scène presque théâtrale », affirme-t-il. Pourtant, au cœur de cet océan de tons bleus et rouges, d’accessoires festifs – parmi eux, d’incroyables guirlandes de têtes de King Charles – et de bâches transparentes abritant les gens des averses coutumières, certaines interrogations émergent. « Il faut prêter attention à la dimension sociologique de ce travail », nous guide Benjamin Cremel. Car celles et ceux qu’il capture viennent majoritairement des classes moyennes et ouvrières. Dans ce déferlement de joie et de rencontres, elles semblent oublier que le coût de l’événement est exorbitant : « 250 millions de pounds, alors que des politiques d’austérité sont mises en place depuis des décennies et que les inégalités se creusent toujours plus au Royaume-Uni », rappelle l’auteur.
Comment ignorer ces apparentes incohérences ? La tradition centenaire écrase-t-elle tout enjeu politique moderne ? Peut-on accepter que le couronnement d’un roi soit synonyme de dépenses aussi considérables ? Si Benjamin Cremel garde le recul et la vision d’un étranger face à la manifestation, les chiffres diffusés par Le Monde en septembre 2022 affirmaient néanmoins que les choses ne sont pas près de changer : seul·es 27% des Britanniques sont favorables aujourd’hui à l’abolition de la monarchie. En pointant son objectif vers ces trois jours de célébration, l’auteur parvient finalement à allier légèreté et réflexion, humour et observation. Car au cœur du tumulte bariolé, des acclamations et des sourires francs, parmi les drapeaux brandis et les hauts-de-forme estampillés UK, il nous faut à présent démêler le drôle du vrai, et apprécier la ferveur britannique tout en l’analysant. Un exercice rendu plaisant par Benjamin Cremel, qui conclut : « que le kitsch anglais vive éternellement ! »