« On s’attendait à un siège à Kaboul, une guerre civile, car depuis le début de la saison, les Talibans avançaient, prenaient les capitales provinciales et étaient en train de faire une sorte d’escargot autour de Kaboul. »
Pour la 37e édition du festival Visa pour l’Image à Perpignan qui se tient jusqu’au 14 septembre 2025, la photojournaliste Sandra Calligaro présente sa série À l’ombre des drapeaux blancs. Celle-ci fait état de l’effacement progressif des femmes de l’espace public en Afghanistan après le retour des talibans en août 2021.
Le 15 août 2021, Kaboul tombe aux mains des Talibans après 20 ans de démocratie relative. « J’avais quitté le pays quelques jours auparavant pour faire renouveler mon visa », explique Sandra Calligaro. La photojournaliste et membre du collectif Item, y séjourne régulièrement depuis la fin des années 2000. Elle y réalise de nombreux reportages photographiques et films documentaires, notamment sur les classes moyennes et urbaines. À l’aube de cette journée d’été, Sandra Calligaro est à Paris. « On s’attendait à un siège à Kaboul, une guerre civile, car depuis le début de la saison, les Talibans avançaient, prenaient les capitales provinciales et étaient en train de faire une sorte d’escargot autour de Kaboul », raconte-t-elle. Alors que les villes comme Kandahâr et Mazâr-e Charîf sont prises, elle précipite son retour en terre Afghane. Son avion dérouté, elle s’organise avec d’autres journalistes afin d’exfiltrer des personnes du pays, avant d’y entrer par voie terrestre depuis le Pakistan. Elle commence un nouveau projet documentaire, À l’ombre des drapeaux blancs, exposée jusqu’au 14 septembre à l’occasion du festival Visa pour l’Image. « Cette première année, le régime ne contrôlait pas tout à fait la presse internationale. Ils nous ont donné accès à des provinces qui étaient sous leur joug pendant dix ans et donc impénétrables. C’était une sorte de lune de miel », poursuit la photographe. Une lune de miel qui se dissipe rapidement, car au deuxième semestre 2022, les accréditations pour les journalistes étranger·ères sont de plus en plus difficiles à obtenir.
« C’est primordial de donner la voix aux femmes. Et je considère que c’est un devoir, un acte militant. »
Un acte militant
Malgré les nouvelles restrictions, Sandra Calligaro poursuit son documentaire à travers l’Afghanistan en adoptant une approche photographique quelque peu différente. « Pendant la décennie avant le retour des talibans, je ne voulais pas “genrer” mon travail et me concentrer uniquement sur les femmes. Je voyais le pays entier souffrir, et à mon sens tout nécessitait d’être documenté. Mais, il est vrai qu’après 2021, mon regard s’est un peu déplacé », confie l’autrice. Elle fait appel à ses contacts et ancien·nes collaborateur·ices à l’intérieur et à l’extérieur de l’Afghanistan : l’objectif est de rencontrer les Afghanes et de mettre en lumière leur vécu alors que les talibans engagent avec force des répressions contre celles-ci. « Les talibans sont plus proches que jamais de concrétiser leur vision d’une société qui exclut complètement les femmes de la vie publique », a affirmé l’ONU dans un communiqué de presse en août 2025. Depuis mars 2022, le régime autoritaire refuse aux filles de suivre une éducation secondaire et supérieure. À partir d’août 2024, les femmes n’ont plus le droit de chanter, réciter de la poésie et lire à voix haute dans un espace public. Régulièrement, des lois liberticides sont promulguées et effacent progressivement les femmes de la vie publique, les privant d’école, d’université, de travail, d’accès au soin, et les enfermant dans une pauvreté certaine. « C’est primordial de donner la voix aux femmes. Et je considère que c’est un devoir, un acte militant », soutient Sandra Calligaro.
« L’acte photographique est pour ces femmes une façon de contester, car elles ont conscience de la situation. C’est un moyen pour elles de rester visibles. »
Lever le rideau
Dans les maisons et les appartements, dans les cafés et les restaurants, Sandra Calligaro capte les instants de vie et la résistance qui s’organise. Des jeunes filles se regroupent en cachette et étudient de manière clandestine, d’autres partagent un café frappé dans une pièce qui leur est dédié dans un salon de thé. Certaines font des mariages heureux. « L’acte photographique est pour ces femmes une façon de contester, car elles ont conscience de la situation. C’est un moyen pour elles de rester visibles », explique-t-elle. L’échange est basé sur la confiance entre la journaliste et les personnes qu’elle photographie. Sandra Calligaro s’assure toujours de la portée de ses images : « Être chez soi n’est pas préjudiciable, ainsi si elles ne font pas d’activités illégales, elles posent à visage découvert. Cependant, si ce sont des filles qui étudient dans des écoles, je prends des précautions pour ne pas les mettre en danger », précise-t-elle.
Grâce à Atifa, jeune fille aujourd’hui réfugiée en France, qu’elle avait suivi pour un reportage Envoyé Spécial, Sandra Calligaro fait la connaissance de Nazanin. Sa vie a été bouleversée il y a quatre ans. « Tout s’est arrêté pour elle », raconte la photographe qui a documenté son quotidien « rythmé de moments de désespoir, mais aussi de joie. »
À l’ombre des drapeaux blanc illustre la résilience de ces femmes face au régime autoritaire. Le titre évoque plusieurs significations : « Le drapeau blanc de l’émirat islamique, le drapeau de la paix, et l’idée d’une société sous-contrainte qui s’adapte et d’une société parallèle qui se développe en secret pour résister », conclut-elle.
Si vous ne pouvez pas vous rendre à Perpignan, découvrez l’exposition À l’ombre des drapeaux blancs virtuellement sur le site de Visa pour l’Image.