Sayuri Ichida s’absente pour mieux se retrouver

24 novembre 2022   •  
Écrit par Ana Corderot
Sayuri Ichida s’absente pour mieux se retrouver

Révélée en 2018 avec sa série Mayu, Sayuri Ichida revient avec un projet plus intime, tout de monochrome vêtu. Dans son ouvrage Absentee, l’artiste traite ses traumas dans un isolement forcé et global, pour enfin retrouver la profondeur de ses sentiments.

S’absenter du collectif, fuir les sollicitations, se retrouver face à sa propre solitude, prendre une pause obligatoire… Comme le monde entier, Sayuri Ichida a été contrainte, en 2019, de s’arrêter. Confrontée une fois de plus à l’imprévisibilité de la vie, elle a quitté New York pour s’installer à Londres afin d’entamer un master d’arts photographiques. La même année, son projet Absentee a vu le jour. « Il s’agit de ma première série en noir et blanc. J’ai commencé à travailler dessus pendant le premier confinement, lorsque tous les laboratoires photo étaient fermés, et que je ne pouvais pas développer mes négatifs avec différentes teintes. De plus, je n’avais tout simplement pas envie de photographier en couleur, car je trouvais cela trop gai dans la mesure où nous étions confrontés à une réalité morne », avoue-t-elle. Résultat d’un questionnement double, à la fois identitaire et expérimental, cette série – éditée en un bel ouvrage par the(M) éditions et IBASHO – déroule l’histoire abstraite d’une réappropriation de souvenirs et de sensations enfouis. Un récit de retrouvailles originelles.

© Sayuri Ichida

© Sayuri Ichida

Catalyser le chagrin

Dans cet espace restreint de l’isolement obligatoire, des blessures abyssales ont ressurgi chez l’artiste, et notamment celle de la perte de sa mère. À nouveau, le 8e art a tenu lieu de rempart thérapeutique au chagrin, et lui a permis de documenter ses états émotionnels. Ainsi, elle a désiré faire dialoguer des autoportraits nus à des paysages urbains, mais également à des objets abandonnés et des grigris délaissés. En résultent des diptyques monochromes où défilent des corps aux courbes fluides, se dédoublant parfois ou s’opposant à l’architecture austère d’un bâtiment bétonné. « Toutes les images du corps sont celles du mien. La pandémie mondiale nous a forcés à reconnaître la fragilité des êtres humains. Je voulais dépeindre cette vulnérabilité en exposant ma peau. En travaillant sur cette série, je me suis rendu compte que j’étais intriguée par des objets que je négligeais normalement, comme une porte de chantier, un trottoir… En juxtaposant les ondulations organiques du corps et les lignes dures des objets artificiels, j’ai représenté mes émotions en constante évolution, du calme à la peur et inversement. »

Suspendus hors de l’anxiété et de l’asphyxie mondiale, ses clichés présentent les pluralités d’un « moi » faisant face à la solitude. Défait d’identités ou de visages distincts, les images invitent les spectateurices à se projeter dans les potentialités immenses du nu, et d’enfin se confondre avec leurs sentiments. Ayant accepté de s’être écartée de l’action pour se réfugier dans le ressenti, Sayuri Ichida s’est retrouvée. Un livre d’une absence curative qu’elle dédie par amour à ses parents.

 

Absentee, coédition the(M) éditions et IBASHO limitée à 500 exemplaires numérotés, 122 pages, 80 €

© Sayuri Ichida

© Sayuri Ichida

© Sayuri Ichida

© Sayuri Ichida© Sayuri Ichida

© Sayuri Ichida

© Sayuri Ichida© Sayuri Ichida

© Sayuri Ichida

© Sayuri Ichida© Sayuri Ichida

© Sayuri Ichida

© Sayuri Ichida

Explorez
Fisheye #73 : vivre d'Amour et d'images
© Jenny Bewer
Fisheye #73 : vivre d'Amour et d’images
Dans son numéro #73, Fisheye sonde les représentations photographiques de l’amour à l’heure de la marchandisation de l’intime. À...
05 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
RongRong & inri : « L'appareil photo offre un regard objectif sur le sentiment amoureux »
Personal Letters, Beijing 2000 No.1 © RongRong & inri
RongRong & inri : « L’appareil photo offre un regard objectif sur le sentiment amoureux »
Le couple d’artiste sino‑japonais RongRong & inri, fondateur du centre d’art photographique Three Shadows, ouvert en 2007 à Beijing...
04 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Dans l’œil de Valentine de Villemeur : un réfrigérateur révélateur
© Valentine de Villemeur
Dans l’œil de Valentine de Villemeur : un réfrigérateur révélateur
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil de Valentine de Villemeur. La photographe a consigné le parcours de sa procréation...
01 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Yu Hsuan Chang : des femmes et des montagnes
G-Book © Yu Hsuan Chang
Yu Hsuan Chang : des femmes et des montagnes
Dans des collectes effrénées d’images, la photographe taïwanaise Yu Hsuan Chang transcrit autant la beauté de son pays que la puissance...
25 août 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Prix Viviane Esders : éclairer des trajectoires photographiques
© Bohdan Holomíček
Prix Viviane Esders : éclairer des trajectoires photographiques
Créé en 2022, le Prix Viviane Esders rend hommage à des carrières photographiques européennes souvent restées dans l’ombre. Pour sa...
06 septembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Sandra Calligaro : à Visa pour l'image, les Afghanes sortent de l'ombre
Fahima (17 ans) révise dans le salon familial. Elle suit un cursus accessible en ligne sur son smartphone. Kaboul, Afghanistan, 24 janvier 2025. © Sandra Calligaro / item Lauréate 2024 du Prix Françoise Demulder
Sandra Calligaro : à Visa pour l’image, les Afghanes sortent de l’ombre
Pour la 37e édition du festival Visa pour l’Image à Perpignan qui se tient jusqu’au 14 septembre 2025, la photojournaliste Sandra...
05 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Fisheye #73 : vivre d'Amour et d'images
© Jenny Bewer
Fisheye #73 : vivre d'Amour et d’images
Dans son numéro #73, Fisheye sonde les représentations photographiques de l’amour à l’heure de la marchandisation de l’intime. À...
05 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nicole Tung, ultime lauréate du Prix Carmignac !
Diverses espèces de requins, dont certaines sont menacées d'extinction, tandis que d'autres sont classées comme vulnérables, ont été ramenées à terre à l'aube par des pêcheurs commerciaux au port de Tanjung Luar, le lundi 9 juin 2025, à Lombok Est, en Indonésie. Tanjung Luar est l'un des plus grands marchés de requins en Indonésie et en Asie du Sud-Est, d'où les ailerons de requins sont exportés vers d'autres marchés asiatiques, principalement Hong Kong et la Chine, où les os sont utilisés dans des produits cosmétiques également vendus en Chine. La viande et la peau de requin sont consommées localement comme une importante source de protéines. Ces dernières années, face aux vives critiques suscitées par l'industrie non réglementée de la pêche au requin, le gouvernement indonésien a cherché à mettre en place des contrôles plus stricts sur la chasse commerciale des requins afin de trouver un équilibre entre les besoins des pêcheurs et la nécessité de protéger les populations de requins en déclin © Nicole Tung pour la Fondation Carmignac.
Nicole Tung, ultime lauréate du Prix Carmignac !
La lauréate de la 15e édition du Prix Carmignac vient d’être révélée : il s’agit de la photojournaliste Nicole Tung. Pendant neuf mois...
04 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot