Enjeux sociétaux, crise environnementale, représentation du genre… Les photographes publié·es sur Fisheye ne cessent de raconter, par le biais des images, les préoccupations de notre époque, tout en mettant en lumière des événements notoires du passé. En l’honneur du projet Sorbonne Université Arts Visuels et Expériences Scientifiques croisant expérimentations et photographie jusqu’aux 4 novembre, nous revenons, aujourd’hui, sur les recherchent qui animent nos auteurices favori·tes. Lumière sur Marta Bogdanska, Mattia Parodi et Piergiorgio Sorgetti, Téo Becher et Solal Israel, Murray Ballard, Mathias de Lattre et Sari Soininen.
Animaux-espions et visions d’aveugles
Quels sont les dessous des tentatives d’espionnage en pleine guerre ? Comment illustrer les théories les plus abstraites ? C’est parfois dans des articles de journaux ou des mémoires universitaires que les auteurices trouvent l’inspiration, ou découvrent des faits capables de devenir le squelette d’un récit imagé. Lorsque la CIA décide de rendre publiques des archives sur ses programmes pour animaux – des projets classés secrets développés dans les années 1950 à 1970 – Marta Bogdanska se lance dans un projet de taille : Shifters. Un ouvrage de 750 pages regroupant les différentes tortures subies par les différentes espèces dans le but d’infiltrer le camp opposé. Archive colossale, la série joue avec l’absurdité et le cynisme pour révéler l’horreur et interroger notre vision spéciste du monde.
Dans un monochrome plus moderne, Mattia Parodi et Piergiorgio Sorgetti s’unissent pour développer The Missing Eye. Une œuvre inspirée par les recherches de Helder Bértolo sur notre perception du visuel. « Son article répondait à toutes nos questions sur les limites de l’image rétinienne, en soulignant le fait que les aveugles voient dans leur rêve », nous confiaient-iels en 2021. Comme une réponse expérimentale à cette information, les artistes érigent un univers onirique, où les mises en scène convoquent un surréalisme songeur, capable d’illustrer « ce que l’œil ressent ».
Survivre à la foudre et vaincre la mortalité
Phénomènes naturels ou progrès technologiques peuplent également les recherches des auteurices. Et, lorsqu’un sujet semble transcender le réel pour nourrir notre imaginaire commun, le médium devient un outil hybride, capable d’inviter la science-fiction dans l’ordinaire. C’est le cas des Fulguré·e·s, projet au long cours réalisé par Téo Becher et Solal Israel, relatant un fait divers fascinant : le 2 septembre 2017, des habitant·es d’une commune de Meurthe-et-Moselle sont simultanément frappé·es par la foudre – un événement auquel iels survivent toustes, tout en souffrant de troubles neurologiques et neuropsychologiques très peu connus des expert·es. À la chambre et à l’aide de films périmés, les auteurs fusionnent natures mortes, portraits et paysages dans une expérimentation laissant la place à l’aléatoire, aux forces inconnues, à l’image des personnes qu’ils photographient.
Aux États-Unis, Murray Ballard s’intéresse quant à lui à une communauté rassemblée autour d’un rêve fou : la cryogénisation pour la vie éternelle. « C’est comme l’antigel que vous mettez dans une voiture, mais pour un être humain. Il protège vos cellules et votre enveloppe charnelle du froid », nous expliquait-il en 2018. Refroidis à – 196°C, les corps attendent la science pour revenir à la vie. Dans des tons froids, aseptisés comme les couloirs d’un hôpital, le photographe capture en image cette invraisemblable course à l’immortalité.
Champignons hallucinogènes et LSD
Aux marges de la science, l’automédication comme la prise de produits psychotropes deviennent les fils d’Ariane d’histoires passionnantes. Dans Mother’s Therapy, Mathias de Lattre documente une expérience menée par sa mère, atteinte de troubles bipolaires : la consommation de champignons hallucinogènes pour calmer ses symptômes. Un échange intime témoignant d’une profonde confiance comme un prétexte à s’intéresser aux traitements alternatifs pour soigner un mal-être. Croisant art et science, portraits tendres et créations abstraites, l’auteur souligne un amour filial comme un besoin de penser autrement.
Enfin, loin de toutes recommandations médicales, Sari Soininen a consommé régulièrement du LSD au début de la vingtaine. Des voyages hallucinatoires qui provoquent chez elles un épisode psychotique ayant de graves conséquences sur sa manière de percevoir le monde. « J’ai affronté les démons de l’enfer et on m’a montré les merveilles du paradis, j’ai voyagé dans le temps et l’espace, j’ai jeté un coup d’œil derrière le rideau de cette dimension et (…) ma compréhension de la réalité a changé à jamais », nous confiait-elle en 2022 alors qu’elle nous présentait Transcendent Country of the Mind, une série étrange convoquant les visions qui s’imposaient à elle.