« Serendipity » ou la destruction créatrice

23 octobre 2019   •  
Écrit par Julien Hory
« Serendipity » ou la destruction créatrice

En salle ce mercredi 23 octobre, Serendipity de Prune Nourry offre une vision personnelle de l’épreuve que la réalisatrice a dû affronter : le cancer du sein. Dans un film maîtrisé, elle transcende le temps et la création. Une façon d’entrevoir l’avenir.

Sérendipité (nom féminin) : Capacité, art de faire une découverte, scientifique notamment, par hasard ; la découverte ainsi faite.

« Je pense que, pour chacun de nous, tout est connecté, qu’il n’y a pas de hasard même si nous n’en avons pas tout de suite conscience », annonce Prune Nourry, photographe et artiste plasticienne. Autant le dire d’emblée : Serendipity, en salle ce mercredi, est un film poignant et probablement nécessaire. Une telle entrée en matière appelle à s’expliquer. Rares sont celles qui parviennent à poser des mots sur une maladie difficile à exprimer, tant elle touche au plus profond de soi, jusque dans la chair : le cancer du sein. L’épreuve qu’elle a vécue à l’aube de sa trentaine, subissant une mastectomie, est le fil conducteur du film. Nous suivons l’artiste aux différentes étapes de son cancer et comprenons la résonance que la maladie entretient avec son œuvre. Celle qui, dans son travail, questionne notre rapport contemporain à la fécondité, la féminité, la filiation, se retrouve alors confrontée, dans sa chair, à ses interrogations.

Dès la première prise en mains de la caméra, nous sommes dans le subjectif. La conservation d’ovocytes, les premières chimiothérapies, la perte des cheveux, la bienveillance d’Agnès Varda (disparue le 29 mars 2019 à cause de cette même maladie)… Dans une intimité qui ne vire jamais dans le voyeurisme, Prune Nourry se raconte à la première personne et nous la voyions peu à peu passer de sculptrice à sculpture, notamment par la chirurgie réparatrice. « Regarder mon corps dans le miroir a été presque aussi dur que le voir sur l’écran, nous confie-t-elle. Mais si je voulais être honnête, entière, il fallait le faire. » Pourtant, à travers ce témoignage, elle inclut tout le monde : la famille, les amis et les équipes médicales. Universalité donc, mais partage aussi. Comme un écho à ses œuvres, elle travaille la transmission et les passerelles d’un monde – le sien – à celui des autres. Nous voyageons souvent entre deux rives.

© Prune Nourry Studio / Art House Films

Proactive dans la maladie

Mais dissoudre Serendipity à son propos serait réducteur, presque indécent. À travers les interconnections, le maillage qui se forme produit plusieurs degrés de lecture. Les qualités formelles de ce long-métrage font montre de la maîtrise de son auteure. À travers des plans-séquences en forme de transition d’un état du corps à l’autre, nous naviguons entre scènes de création et combats quotidiens. Le dialogue qui s’installe alors, nappé d’une narration sonore faite des discussions de l’artiste avec son scénariste, définit la sérendipité. Ce film est aussi une façon pour elle de prendre en main son destin. « Quand on est malade, confie-t-elle dans son ouvrage Catharsis, on est des patients passifs, on nous installe sur des brancards alors qu’on pourrait marcher jusqu’à la salle d’opération. Le film m’a aidé à dire « action » à moi-même pour filmer, à être dans la proaction ; créative et proactive dans la maladie. »

Malgré un sujet difficile – le récit d’un combat à l’issue incertaine – ce long-métrage se veut optimiste. Une volonté que la réalisatrice a eue dès le début. Pour preuve, « Je ne sais pas si le film a toujours été comme ça, explique-t-elle. Il a beaucoup évolué en fait. Surtout au montage, qui a pris 5 mois. J’ai été très entourée, avec une équipe solidaire, qui m’a portée et encouragée à poursuivre. » La réalisatrice prouve, s’il fallait vraiment le faire, un engagement total : « J’ai fait tout ça avec les tripes, tout ce que j’ai pu mettre dans ce film sont des choses auxquelles je crois. Il y a des choses que j’ai analysées et d’autres non. » Certains pourront penser que le rôle d’un artiste est justement de nourrir son travail par l’expérience, mais il ne faut pas nier la réalité de la perte, l’angoisse du départ et la transcendance par l’introspection. Serendipity, dédié à toutes celles qui se battent, est à la hauteur du talent de Prune Nourry : honnête et entier.

 

 

© Prune Nourry Studio / Art House Films© Prune Nourry Studio / Art House Films

© Prune Nourry Studio / Art House Films

Explorez
Les coups de cœur #523 : Claudia Revidat et Sarah Carrier
© Claudia Revidat
Les coups de cœur #523 : Claudia Revidat et Sarah Carrier
Les sujets de Claudia Revidat et Sarah Carrier, nos coups de cœur de la semaine, se révèlent dans des teintes chaudes. La première...
16 décembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nicolas Serve : en cure et à cri
© Nicolas Serve
Nicolas Serve : en cure et à cri
Dans Les Abîmés, Nicolas Serve poursuit son travail sur la dépendance à certaines substances. Ici, il raconte la cure de désintoxication...
12 décembre 2024   •  
Écrit par Gwénaëlle Fliti
Les images de la semaine du 02.12.24 au 08.12.24 : exploration des souvenirs
© Eloïse Labarbe-Lafon
Les images de la semaine du 02.12.24 au 08.12.24 : exploration des souvenirs
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye donnent à voir une exploration des souvenirs, qu’ils soient communs à un...
08 décembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Jeanette Spicer : femme en trois corps
© Jeanette Spicer
Jeanette Spicer : femme en trois corps
Dans sa série au long cours To the Ends of the Earth, Jeanette Spicer a réalisé un projet ambitieux : capturer trois corps sur douze...
06 décembre 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Focus : rituels vampiriques, fouilles archéologiques et mélancolie poétique
© Devin Yalkin, Until Dawn.
Focus : rituels vampiriques, fouilles archéologiques et mélancolie poétique
Créé par les équipes de Fisheye, Focus est un format vidéo innovant qui permet de découvrir une série photo en étant guidé·e par la...
Il y a 8 heures   •  
Rebecca Najdowski : expérimentations et désastre écologique
© Rebecca Najdowski
Rebecca Najdowski : expérimentations et désastre écologique
Dans sa série Ambient Pressure, l’artiste Rebecca Najdowski nous invite à interroger le rôle du médium photographique dans notre...
18 décembre 2024   •  
Écrit par Agathe Kalfas
Raï de Boris Bincoletto : oublier quelqu'un pour retrouver les autres
© Boris Binceletto
Raï de Boris Bincoletto : oublier quelqu’un pour retrouver les autres
Après Solemar, son premier livre photographique qui explorait la côte Adriatique, Boris Binceletto sort Raï, qui se situe entre la...
17 décembre 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
La BnF célèbre les prix photographiques !
© Karla Hiraldo Voleau, Série « Doble Moral », 2023 / La Bourse du Talent, 2024.
La BnF célèbre les prix photographiques !
À la Bibliothèque nationale de France, quatre grands prix photographiques se réunissent pour la 4e édition de l’exposition La...
17 décembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger