Jusqu’au 18 septembre prochain, découvrez des œuvres inédites conçues par Tacita Dean, sur l’invitation de la Bourse de Commerce – Pinault Collection. L’artiste présente un travail aussi monumental que sensible, à la précision technique remarquable, intitulé Geography Biography.
En écho à l’exposition collective en cours Avant l’orage, qui se tient à la Bourse de Commerce depuis février dernier, Pinault Collection a souhaité donner carte blanche à la grande artiste britannique Tacita Dean. Celle-ci représente le paysage, en lien avec ses obsessions : l’écoulement du temps, la puissance paradoxale de la lenteur, la beauté de la nature et la menace que nous faisons peser sur celle-ci. Du dessin au collage, de la photographie au film, Tacita Dean, active depuis le début des années 1990, trouve mille et une manières extraordinaires d’exprimer la subtilité de ses questionnements.
Plusieurs œuvres inédites sont à découvrir dans la Galerie 2 et la rotonde de l’édifice situé au cœur du premier arrondissement parisien, rassemblées sous le nom de Geography Biography. Cette entreprise, elle la décrit comme « un journal intime très, très long », composé de dessins à la craie sur tableau noir (The Wreck of Hope, 2022), extrêmement réalistes, d’un film 35 mm (Geography Biography, 2023), ainsi que d’immenses tirages de cerisiers japonais, dont les branches et les fleurs ont été intensifiées par le travail au crayon de couleur (Sakura Study ; Small Sakura Study, 2022), ou encore plusieurs estampes (Summer Memory, 2023). À chacune de ces différentes étapes correspondent les quatre saisons occidentales traditionnelles. Tacita Dean emprunte les chemins de la grande histoire, pour remonter jusqu’à l’intimité de sa propre vie, et matérialise la précarité de l’art comme celle de sa grande muse, la nature.
© Sakura Study (Taki I), 2022
Beauté et menace, sacralité et vulnérabilité
Pouvons-nous pleinement ressentir que la nature prend vie, à travers seulement quatre saisons ? Derrière l’œuvre atmosphérique de Tacita Dean se situe une ambition singulière : saisir par l’art la fugacité de chaque période de l’année. « Au Japon, il n’y a pas moins de soixante-douze saisons », rappelle Emma Lavigne, directrice générale de Pinault Collection et ancienne présidente du Palais de Tokyo. Deux photographies colossales d’arbres millénaires, accentués par le crayon de Tacita Dean, s’offrent aux regards comme une apparition méditative. De grandes béquilles, que l’artiste est venue souligner à la craie, soutiennent ces êtres ancestraux, à la fois figurés dans toute leur précarité, et rendus divins par une impression de lévitation. « Toutes les choses qui m’attirent sont sur le point de disparaître », déclare l’artiste. Cette question de la représentation du temps redouble d’importance à l’ère du changement climatique. À l’heure de l’anthropocène et du capitalocène, Tacita Dean dépeint le naufrage de l’espoir, selon le titre d’un ensemble de ses dessins, représentant des glaciers en train de s’effacer (The Wreck of Hope).
Quelque chose de l’ordre de l’éloge de la lenteur se dégage de l’œuvre de Tacita Dean, pour qui « les évènements de sa vie sont consubstantiels à son travail », explique Emma Lavigne. Atteinte en effet d’une maladie depuis très jeune, l’effort corporel qu’elle doit fournir l’engage toute entière dans celle-ci. Ces dessins et ces photographies, sur lesquel·les elle repasse chaque jour à la main, deviennent une manière « d’apporter elle-même un soin à la fragilité », poursuit-elle. En éprouvant physiquement la création, en se mettant directement en prise avec la patience qu’elle requière, et en désirant ainsi déjouer la frénésie consommatrice et la logique de dématérialisation de l’image, Tacita Dean est aussi délicate que radicale.
Se confronter au temps physique, c’est également ce que l’artiste entreprend avec une fusion d’extraits de ses premiers films tournés en Super 8, et refilmés en 35 mm – médiums eux aussi menacés par l’obsolescence. Présenté sous forme de diptyque, au rythme de vingt-quatre images par seconde, il reconstitue des fragments de sa vie et des paysages qu’elle a traversés. Tacita Dean aura imaginé un dispositif cinématographique spécifiquement pour la Rotonde, puisque le film est lui-même mis en rotation à l’intérieur de celle-ci. Annihiler la fixité, représenter le mouvement perpétuel, tout en faisant l’éloge de la contemplation lente des choses : ainsi se révèle toute la virtuosité du travail d’exploration du visible qu’entreprend l’artiste.
© Small Sakura Study (Jindai I), 2022
© Foreign Policy, 2016, dessin à la craie
© The Wreck of Hope (2022), dessins à la craie
© Geography Biography (2023), film 35 mm
© Summer Memory (2023), estampe
© Tacita Dean / Courtesy of Bourse de Commerce – Pinault Collection