Ancienne mannequin, Clémentine Balcaen voit sa santé mentale décliner à mesure qu’elle multiplie les fashion weeks. Se tournant vers son appareil photo, elle se lance dans la réalisation de Thank you bye, une célébration de sa propre identité, figeant, à coups de clichés vibrants, « une boîte à souvenirs de beaux moments ».
« Thank you bye était une envie de dire au revoir à la mode en le criant haut et fort à ma façon. C’est un adieu à un monde qui ne me correspondait pas du tout », déclare Clémentine Balcaen. Un départ haut en couleur qu’elle renferme dans un petit ouvrage fait de tons saturés, de portraits sur le vif, de corps dénudés, d’éclats de rire et d’épreuves épuisantes. Ancienne mannequin, la photographe bruxelloise de 25 ans a étudié la photographie et la vidéo à l’Institut Saint-Luc Tournai. Un lieu caractérisé par « l’ouverture d’esprit et la liberté des professeurs qui y enseignent », précise-t-elle. Passionnée par l’art et sa faculté à dire l’engagement, à passer « des messages puissants à un public large », elle met à profit cette libération créative inculquée par ses formateurices et construit des ensembles composés de clichés bruts, d’instants figés – une collection entamée par une passionnée produisant une œuvre tout aussi intense qu’elle. À coups de contrastes et de variations de nuances, elle saisit la réalité en version altérée, retouchant numériquement ses photographies pour souligner leur vibrance. « Ce qui parfois abime la qualité de l’image, au détriment de ma légitimité à exercer ce médium », avoue-t-elle d’ailleurs.
Ne plus être une mannequin triste
C’est alors qu’elle tente de trouver du sens à sa carrière dans le mannequinat que Clémentine Balcaen débute ce qui deviendra Thank you bye. Fascinée par le milieu de la mode et son effervescence, elle se lance, les yeux fermés. Bookings, fashion weeks, voyages d’un bout à l’autre du monde… D’abord émerveillée, l’artiste déchante vite. « Petit à petit, j’ai perdu pied, et je me suis retrouvée mannequin à plein temps, se souvient-elle. Très peu de personnes sont sincères dans cet univers, tout le monde est superficiel, déconnecté du réel. On nous retient avec l’argent, les promesses vides. Mon dernier job était en mai 2023, je n’ai pas réussi à m’y rendre à cause de l’angoisse, j’ai explosé. »
Et, pour ne pas perdre pied, l’autrice se réfugie dans l’image. Son boîtier, devenu son échappatoire à la solitude, à l’anxiété et aux malaises lui permet d’ancrer les beaux moments, les instants suspendus dans un quotidien effréné. Respiration essentielle dans un monde en apnée, Thank you bye s’impose comme un récit brut à l’honnêteté radicale. Le journal intime d’une descente aux enfers d’où s’échappent, malgré tout, quelques moments de grâce – la complicité des modèles, les rires pour tenir, les paupières closes qui aident à s’évader. « Si c’était à refaire, j’aimerais aller plus loin dans l’aspect documentaire, commente Clémentine Balcaen. Mais si je suis restée focalisée sur ma propre expérience, j’ai néanmoins l’impression que ce livre exprime le ressenti de beaucoup de modèles. » Un ressenti resté dans l’ombre, effacé par les projecteurs dirigés vers cette industrie. « Les mythes sur la vie des modèles sont précieux, et le monde n’a sûrement pas envie de changer sa vision », affirme la photographe, voyant avant tout son projet comme une œuvre « lui permettant de passer à autre chose, de [s]’octroyer la possibilité d’être plus qu’une mannequin triste ».
Récupérer son corps
Sur les images, les codes du luxe s’opposent aux sourires feints, aux corps mis à mal, aux regards perdus. À coups de flashs et de nuances trop vives, trop contrastées, Clémentine Balcaen délimite la frontière du factice. À l’instar de Matilde Søes Rasmussen, ancienne modèle déconstruisant, à coup de cynisme, les clichés associés à son statut, elle s’amuse des incohérences ou pures absurdités qu’elle croise au détour des shootings. « Les caches tétons, les culottes chair, le topsticks (bandes adhésives, ndlr) qu’ils nous collent sur la peau… Si tout est fake, cette dimension demeure amusante. La part capitaliste non éthique, non écologique, en revanche, est effrayante. Surtout lorsqu’on connaît le potentiel éphémère et superficiel du milieu. », précise-t-elle.
Comment, dans un tel milieu parvenir à cultiver sa propre identité ? Comment affronter la mise à nu – parfois littérale – imposée à celles et ceux qui posent devant les objectifs ? Mal à l’aise face aux yeux insistants qui la scrutent, l’épient, l’analysent, Clémentine Balcaen parvient finalement à se réapproprier le médium photographique en passant de l’autre côté du miroir. Capable, enfin, de se représenter elle-même dans toute sa complexité, elle livre, avec Thank you bye, une célébration de la singularité. « Je me sens libre de m’exprimer, d’être bizarre, moche… Je peux ne pas être toujours stylée, maquillée, coiffée… J’ai récupéré mon corps, je le possède à présent à 100% et je peux en faire ce que je veux ! », se réjouit-elle. Et si les clichés de l’ouvrage restent intimes pour la plupart, ils convoquent un besoin essentiel : celui de révéler les personnalités « lissées », de permettre aux mannequins d’exister au sein d’une entreprise qui entend les minimiser. Car, loin d’une mise en lumière d’une maltraitance physique, c’est en réalité un combat psychologique que révèle Thank you bye. « Je trouve très bien que les questions de santé mentale soient de plus en plus abordées comme des mots à soigner, qui ne passeront pas tout seuls, et qui sont tout aussi graves que les symptômes d’une maladie », conclut l’autrice.
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