Le Jeu de Paume inaugure son année 2024 avec deux expositions d’envergure, à découvrir du 13 février au 26 mai prochains : l’une consacrée à l’activiste politique et avant-gardiste de la photo documentaire, Tina Modotti, l’autre, à Bertille Bak, qui a recensé des rituels en voie de disparition autour du monde. Dans son travail, elle archive les savoirs et les expériences des « invisibles » de la société.
À l’occasion de la nouvelle année, le Jeu de Paume inaugure deux nouvelles expositions photographiques. Avec L’œil de la révolution, le musée rend tout d’abord hommage à Modotti, figure incontournable de la photographie italienne, activiste politique inspirée de la révolution mexicaine. Essentiellement produite entre 1923 et 1930, son œuvre est traversée par les événements majeurs de cette période, en particulier l’émigration italienne aux Etats-Unis et la révolution au Mexique. Avec un langage franc et honnête, Tina Modotti représente cette société intellectuelle foisonnante, en se rapprochant particulièrement du couple de Frida Kahlo et Diego Rivera. Ayant subi pendant longtemps l’étiquette d’« élève d’Edward Weston », aujourd’hui, enfin, son travail photographique se détache dans sa singularité.
L’exposition illustre ses débuts à Hollywood, pour ensuite présenter en 240 clichés, l’étendu de sa production de photographies sociales, encrées dans son époque, au plus près du peuple mexicain, dont elle tire des portraits devenus iconiques. Bien que l’artiste soit représentative de son époque, elle a aussi contribué à la naissance d’un regard féminin en photographie. En l’observant depuis un prisme contemporain, sa contribution aux luttes pour les droits des femmes paraît évidente. L’exposition résonne avec celle consacrée à Bertille Bak qui, elle aussi, par ses images, donne une voix aux personnes marginalisées : l’autrice collecte et archive les traces de groupes minorisés, « invisibles », pour créer des récits filmiques. Des œuvres empreintes d’une certaine poésie qui ne cachent pourtant pas la violence des conditions sociales. Entre le documentaire, la recherche ethnographique et la fiction poétique, la photographe met en avant des métiers et des rituels en voie de disparition. Les deux expositions seront ouvertes jusqu’au 26 mai 2024.
Préserver de l’oubli et de la disparition
L’œuvre de Bertille Bak s’impose comme une grande et précieuse archive. Elle est le résultat de ses voyages au cœur de communautés marginalisées par la société occidentale ou par la mondialisation. En rentrant en contact avec elleux, la photographe documente leurs mœurs, leurs rites et leurs codes afin de les préserver de l’oubli et de la disparition. La scénographie, conçue par l’artiste, crée des dialogues entre les œuvres afin de dénoncer les relations de dépendance Nord-Sud, sans renoncer à une forme d’humour aux traits parfois cyniques. D’un groupe tsigane à Ivry-sur-Seine, à une communauté d’immigré·es polonais·es de New-York, en passant par les habitant·es d’un immeuble bangkokien voué à la destruction ou encore de populations minières déplacées du Nord de la France, l’artiste interroge notre vision du « vivre-ensemble » et les dérives capitalistes et productivistes de la culture occidentale. L’idée est ici de créer un répertoire d’outils et d’idées concernant la lutte et proposant des nouvelles manières de résister. Les films présentés au Jeu de Paume, parfois théâtraux et allégoriques, attirent ainsi notre attention sur des mondes en voie de disparition, plongeant le·a spectateurice dans le quotidien de sociétés invisibles.