Transcendance par Kyotographie : promenade contemporaine au Japon

26 juillet 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Transcendance par Kyotographie : promenade contemporaine au Japon
© Iwane Ai. A New River series, 2020. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
Une composition cyanotype de la série Walking, diving series de Hosokura Mayumi
© Hosokura Mayumi. Walking, diving series, 2022-2023. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

À l’occasion des dix ans du Festival, Kyotographie investit les Rencontres d’Arles pour la première fois. L’exposition Transcendance transpose une fable contemporaine narrée par six femmes photographes japonaises à Vague Arles. Une installation intimiste pensée par Hiromistu Konishi, en collaboration avec Masahiro Inoue, promet une balade visuelle et immersive.

Transcender les récits individuels pour tisser le récit collectif. Sur la pierre blanche et granuleuse des murs de Vague Arles s’épanouissent les travaux photographiques de Hosokura Mayumi, Iwane Ai, Okabe Momo, Suzuki Mayumi, Tonomura Hideka et Yoshida Tamaki. Ce n’est pas sans hasard que Transcendance, réalisée sous le commissariat de Lucille Reyboz et Nakanishi Yusuke, s’est installée à Vague. Le studio-galerie de design est la propriété de Teruhiro Yanagihara, designer d’intérieur japonais de renom. À l’entrée, un noren (petit rideau fendu que l’on trouve à l’entrée de magasins au Japon, ndlr) donne le la – celui de l’Archipel. L’exposition fait écho à la complexité et les évolutions de la société japonaise contemporaine. Sublimer l’imperfection avec du fil d’or, à la façon kintsugi, le désir d’enfant et l’injonction à la fertilité, reconstruire le lien brisé entre le Japon et la Corée avec la perte d’un être cher, ou magnifier la résilience de la nature dans les territoires infectés par la radioactivité, toutes ces thématiques servent de canevas à la création photographique. « Ma grand-mère était japonaise. Elle est morte coréenne, raconte Tonomura Hideka, qui présente pour la première fois sa série Soul Trip. La photographier sur son lit de mort avec une robe de mariée coréenne, c’est une façon de créer une histoire d’amour entre ces deux pays qui se déchirent constamment, et de rendre hommage à sa romance avec mon grand-père coréen. » Ses photographies se révèlent grâce à des jeux de transparence, tels des abat-jour devant des ampoules colorées, créant une atmosphère tamisée, parfait pour accompagner la défunte dans sa dernière demeure.

Des cerfs dans une prairie avec des arbres en fond. Le négatif a été altéré par un accident chimique au développement. De la série Negative Ecology de Yoshida Tamaki.
© Yoshida Tamaki. Negative Ecology series, 2019. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
© Hideka Tonomura. Soul Trip, 2024. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
© Suzuki Mayumi. Hojo, 2020-2021 series. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

S’enraciner en terrain nocif

La tragédie de Fukushima résonne dans l’enceinte de Vague à travers les travaux de Iwane Ai et Yoshida Tamaki. Les sakura massifs des photographies d’Iwane Ai s’enracinent dans le sol de la galerie, grâce à des doubles suspensions. La forêt nocturne prend vie. « Oni (démon, ndlr) rampe à quatre pattes, dans un bosquet de cerisiers, après que tout le monde est parti », peut-on lire sur le cartel. Ces arbres emblématiques du Japon se trouvent dans le bourg de Futaba à Fukushima. La zone a été évacuée après la double catastrophe naturelle et nucléaire du 11 mars 2011, et demeure aujourd’hui encore déserte de toute présence humaine. « Iwane Ai s’y est rendue en 2020, alors que la pandémie de covid-19 battait son plein, explique Lucille Reyboz, co-fondatrice de Kyotographie et commissaire de l’exposition. En se connectant avec la mythologie et le bruit des tako (tambours japonais, ndlr), elle raconte l’histoire d’un drame multiple, le drame nucléaire, le drame de la pandémie, mais aussi celui de la perte de sa sœur, qui a disparu pendant la floraison des sakura. » 

Si les cerisiers fleurissent sans la présence joyeuse des promeneur·ses dans la région sinistrée, ils côtoient tout de même une faune qui la réhabilite peu à peu. Dans une salle à la grande baie vitrée prennent vie les « nuisibles » de la série Negative Ecology, de Yoshida Tamaki. « La photographe vit avec plein de corbeaux, précise Lucille Reyboz. Elle se passionne pour ces animaux qu’on considère comme néfastes. » Sur ses images, la photographe dévoile la résilience des renards, des cerfs et des corbeaux à se réadapter à la nature contaminée par l’échec humain : « les zones nucléaires se sont transformées en sanctuaire de vie sauvage », lit-on. De la même manière qu’un accident nucléaire vient empoisonner la nature, un accident au liquide vaisselle lors du développement de ses pellicules fait prendre conscience à Yoshida Tamaki du problème environnemental. « Les taches sur le négatif ressemblaient à une force menaçante envahissant les cerfs sauvages que j’avais photographiés, reflétant nos actions envers la nature », détaille la photographe sur le cartel qui accompagne ses photographies. Les grands tirages aux coulures vertes témoignent de la force de cette nature qui reprend ses droits.

À lire aussi
Kyotographie 2024 : danser avec la photographie
© Yoriyas
Kyotographie 2024 : danser avec la photographie
Breakdancer, photographe, vidéaste et chorégraphe, le Marocain Yoriyas (Yassine Alaoui Issmaili) nous propose avec Casablanca. Not The…
07 mai 2024   •  
Écrit par Eric Karsenty
À Arles : les femmes photographes dans le viseur de la rédaction
© Cristina De Middel. Revenir à nouveau [Volver Volver], série Voyage au centre, 2021. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Magnum Photos
À Arles : les femmes photographes dans le viseur de la rédaction
En parallèle de ses articles sur la 55e édition des Rencontres d’Arles, qui se tiendra jusqu’au 29 septembre 2024, la rédaction…
11 juillet 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Matières premières
Matières premières
Pensée comme une rencontre avec la matière, l’exposition Alchimistes du sensible réunit cinq photographes plasticiennes : Léa Habourdin…
09 mars 2023   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Explorez
Les temps forts de la photographie qui ont marqué Fisheye en 2024
© Audrey Tautou
Les temps forts de la photographie qui ont marqué Fisheye en 2024
L'année 2024 a été riche en émotions visuelles. Fisheye revient sur ces moments, ces ouvrages et ces séries photographiques qui l’ont...
À l'instant   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Susan Meiselas reçoit le prix Outstanding Contribution to Photography
© Susan Meiselas
Susan Meiselas reçoit le prix Outstanding Contribution to Photography
Le Sony World Photography Awards a remis à Susan Meiselas le prix Outstanding Contribution to Photography pour sa contribution...
24 décembre 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
La sélection Instagram #486 : lumières de Noël
© lepgiu22 / Instagram
La sélection Instagram #486 : lumières de Noël
Guirlandes lumineuses, sapins enchantés, poudreuse immaculée et papier cadeau... Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine...
24 décembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 16.12.24 au 22.12.24 : une multitude de dialogues
© Rebecca Najdowski
Les images de la semaine du 16.12.24 au 22.12.24 : une multitude de dialogues
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye dévoilent une multitude de dialogues initiés par la photographie.
22 décembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les temps forts de la photographie qui ont marqué Fisheye en 2024
© Audrey Tautou
Les temps forts de la photographie qui ont marqué Fisheye en 2024
L'année 2024 a été riche en émotions visuelles. Fisheye revient sur ces moments, ces ouvrages et ces séries photographiques qui l’ont...
À l'instant   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Ljubiša Danilović : strass de classe
© Ljubiša Danilović
Ljubiša Danilović : strass de classe
Dans Strass, sosies de stars, Ljubiša Danilović documente, comme l'indique le titre de la série, le quotidien de sosies de célébrités....
Il y a 5 heures   •  
Écrit par Eric Karsenty
Ces séries de photographies qui capturent l'hiver
© Axelle de Russé
Ces séries de photographies qui capturent l’hiver
L’hiver, ses terres enneigées et ses festivités se révèlent être la muse d’un certain nombre de photographes. En ce jour de Noël, la...
25 décembre 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Susan Meiselas reçoit le prix Outstanding Contribution to Photography
© Susan Meiselas
Susan Meiselas reçoit le prix Outstanding Contribution to Photography
Le Sony World Photography Awards a remis à Susan Meiselas le prix Outstanding Contribution to Photography pour sa contribution...
24 décembre 2024   •  
Écrit par Costanza Spina