À l’occasion des dix ans du Festival, Kyotographie investit les Rencontres d’Arles pour la première fois. L’exposition Transcendance transpose une fable contemporaine narrée par six femmes photographes japonaises à Vague Arles. Une installation intimiste pensée par Hiromistu Konishi, en collaboration avec Masahiro Inoue, promet une balade visuelle et immersive.
Transcender les récits individuels pour tisser le récit collectif. Sur la pierre blanche et granuleuse des murs de Vague Arles s’épanouissent les travaux photographiques de Hosokura Mayumi, Iwane Ai, Okabe Momo, Suzuki Mayumi, Tonomura Hideka et Yoshida Tamaki. Ce n’est pas sans hasard que Transcendance, réalisée sous le commissariat de Lucille Reyboz et Nakanishi Yusuke, s’est installée à Vague. Le studio-galerie de design est la propriété de Teruhiro Yanagihara, designer d’intérieur japonais de renom. À l’entrée, un noren (petit rideau fendu que l’on trouve à l’entrée de magasins au Japon, ndlr) donne le la – celui de l’Archipel. L’exposition fait écho à la complexité et les évolutions de la société japonaise contemporaine. Sublimer l’imperfection avec du fil d’or, à la façon kintsugi, le désir d’enfant et l’injonction à la fertilité, reconstruire le lien brisé entre le Japon et la Corée avec la perte d’un être cher, ou magnifier la résilience de la nature dans les territoires infectés par la radioactivité, toutes ces thématiques servent de canevas à la création photographique. « Ma grand-mère était japonaise. Elle est morte coréenne, raconte Tonomura Hideka, qui présente pour la première fois sa série Soul Trip. La photographier sur son lit de mort avec une robe de mariée coréenne, c’est une façon de créer une histoire d’amour entre ces deux pays qui se déchirent constamment, et de rendre hommage à sa romance avec mon grand-père coréen. » Ses photographies se révèlent grâce à des jeux de transparence, tels des abat-jour devant des ampoules colorées, créant une atmosphère tamisée, parfait pour accompagner la défunte dans sa dernière demeure.
S’enraciner en terrain nocif
La tragédie de Fukushima résonne dans l’enceinte de Vague à travers les travaux de Iwane Ai et Yoshida Tamaki. Les sakura massifs des photographies d’Iwane Ai s’enracinent dans le sol de la galerie, grâce à des doubles suspensions. La forêt nocturne prend vie. « Oni (démon, ndlr) rampe à quatre pattes, dans un bosquet de cerisiers, après que tout le monde est parti », peut-on lire sur le cartel. Ces arbres emblématiques du Japon se trouvent dans le bourg de Futaba à Fukushima. La zone a été évacuée après la double catastrophe naturelle et nucléaire du 11 mars 2011, et demeure aujourd’hui encore déserte de toute présence humaine. « Iwane Ai s’y est rendue en 2020, alors que la pandémie de covid-19 battait son plein, explique Lucille Reyboz, co-fondatrice de Kyotographie et commissaire de l’exposition. En se connectant avec la mythologie et le bruit des tako (tambours japonais, ndlr), elle raconte l’histoire d’un drame multiple, le drame nucléaire, le drame de la pandémie, mais aussi celui de la perte de sa sœur, qui a disparu pendant la floraison des sakura. »
Si les cerisiers fleurissent sans la présence joyeuse des promeneur·ses dans la région sinistrée, ils côtoient tout de même une faune qui la réhabilite peu à peu. Dans une salle à la grande baie vitrée prennent vie les « nuisibles » de la série Negative Ecology, de Yoshida Tamaki. « La photographe vit avec plein de corbeaux, précise Lucille Reyboz. Elle se passionne pour ces animaux qu’on considère comme néfastes. » Sur ses images, la photographe dévoile la résilience des renards, des cerfs et des corbeaux à se réadapter à la nature contaminée par l’échec humain : « les zones nucléaires se sont transformées en sanctuaire de vie sauvage », lit-on. De la même manière qu’un accident nucléaire vient empoisonner la nature, un accident au liquide vaisselle lors du développement de ses pellicules fait prendre conscience à Yoshida Tamaki du problème environnemental. « Les taches sur le négatif ressemblaient à une force menaçante envahissant les cerfs sauvages que j’avais photographiés, reflétant nos actions envers la nature », détaille la photographe sur le cartel qui accompagne ses photographies. Les grands tirages aux coulures vertes témoignent de la force de cette nature qui reprend ses droits.