Jusqu’au 9 février 2025, la Gaîté Lyrique accueille Trans*galactique, une exposition collective regroupant une quinzaine d’artistes queer célébrant l’incroyable diversité d’un transgaze aussi artistique qu’engagé.
« C’est la possibilité d’un transgaze émancipateur. » En ces mots, les quatre commissaires annoncent l’ouverture de l’exposition collective Trans*galactique. À l’origine de cet événement, il y a le numéro spécial éponyme édité en 2020 par The Eyes et réalisé avec SMITH, artiste visuel, et Nadège Piton, commissaire d’exposition et performeuse. Un corpus proposant un nuancier de représentations trans, par des auteurices concerné·es. Depuis, la sélection ne cesse d’augmenter, s’articulant autour de thématiques universelles, d’enjeux sociétaux, de questionnements créatifs. Une manière de nous rappeler que la question de genre et sa dimension politique n’ont pas à être les uniques sujets traités par des artistes queer.
Après une première monstration à La Filature, Scène nationale de Mulhouse en 2023, Trans*galactique se déploie, jusqu’au 9 février 2025, à la Gaîté Lyrique. Pour l’occasion, deux curateurices s’ajoutent au duo initial : Frank Lamy, performeur et DJ, et Balthazar Heisch, artiste. Au cœur d’un parcours en accès libre, le groupe nous guide parmi les méandres des nombreuses pensées fluides révélées. D’une cimaise à l’autre, les corps comme les idées fusionnent, se répondent, dans un flux d’écritures variées. « Nous ne sommes ni historien·nes de la photo ni commissaires. Nous avons abordé cette invitation comme un moyen de mettre en avant des histoires. D’amorcer une traversée personnelle, intime, subjective de corpus qui nous avaient touché·es, bouleversé·es et accompagné·es dans nos cheminements trans et queer », affirme SMITH, qui poursuit : « Les personnes trans sont souvent modèles et sujets. Ici, on a plutôt voulu choisir des artistes qui s’identifient comme trans et font leur propre chemin. »
Montrer qu’« on est bel et bien là »
Un chemin, donc, éclairé par la volonté de visibiliser, mais aussi de partager, de faire résonner les vibrations les plus intimes. Nous accueillant à l’entrée de la visite, le travail de Zanele Muholi, imposant, sonne l’alerte. « En Afrique du Sud, d’où iel vient, la communauté queer ne doit pas exister. Zanele fait donc un travail de visibilité. Iel reprend les codes traditionnels – le portrait Harcourt, ou collectif, les sujets dans l’espace public – pour rappeler que cette communauté est bel et bien là », explique Frank Lamy.
En écho, Kama La Mackerel – artiste queer et non-binaire née·e à Maurice – place son propre corps au centre de cartes postales, comme un combat contre la vision touristique et orientalisante du territoire qu’iel habite. Rendus ici gigantesques, les tirages deviennent immersifs. Ils nous plongent dans cette mise en scène à l’humour teinté d’activisme. Poétique et tout aussi engagé, la campagne de SMITH, réalisée pour Act UP-Paris clôt l’exposition. Réalisée à l’aide de caméras thermiques, Jouir=Vivre souligne des corps amoureux, des silhouettes qui s’embrasent en s’unissant dans un espace fait de nuances incandescentes. « On se réapproprie ainsi un outil créé pour l’armée américaine, utilisé pour tuer ou discriminer en montrant la fluidité des corps, la chaleur – et donc le vivant », précise l’artiste.
Le corps au centre des créations
Partout, Trans*galactique sème des fragments créatifs étonnants, joue avec les codes et les esthétiques pour illustrer une vision queer de notre monde. « Artiste du geste et de l’action abordant plusieurs types de temporalité », Balthazar Heisch place son propre corps au centre de ses explorations. Sur ses autoportraits, des tatouages se démarquent – inscrivant dans sa peau un langage auto-inventé « qui vient donner une existence à des choses qui ne sont pas nommées ». Dans un noir et blanc doux, trois lettres émergent alors : celles qui composent sa version du mot « soi ». Hot Bodies, musicien·ne et chanteureuse, partage, non loin, The Cage, un morceau pop sublimé par un clip aux tons picturaux, pensé comme un voyage à l’intérieur de sa propre enveloppe charnelle, dont les différentes zones accueillent autant de militance que d’amour.
À la manière d’un collectionneur fiévreux documentant la moindre de ses fluctuations, Darko de la Jaquette ne cesse, quant à lui, de documenter son quotidien – depuis ses premières années, avec un boîtier jetable, au présent, à l’aide de son téléphone. Dans ce journal visuel, il s’amuse des normes d’un hétéropatriarcat bien ancré et distille sur ses réseaux une poésie du quotidien vécue comme une respiration bienvenue. Enfin, résolument colorées, les images de Laurence Philomène accrochent les regards. Développant iel aussi une approche intime de la photographie, l’artiste imagine une chronique pop de sa vie, en tant que personne non-binaire et malade. Mêlant natures mortes et portraits mis en scène, iel immerge les visiteur·ses dans un ordinaire multiple, convoquant les nuances de son « moi » comme autant de variations de ses états d’âme.