Trois artistes à la recherche de leurs origines

18 avril 2018   •  
Écrit par Eric Karsenty
Trois artistes à la recherche de leurs origines

Pour sa 3e édition, la Résidence 1+2 installée à Toulouse accueille trois photographes qui seront exposés cet automne. Trois femmes sont à l’affiche de ce rendez-vous : Smith, l’auteure « leader » chargée d’assurer le coaching des deux photographes « junior », qui sont cette année Prune Phi et Camille Carbonaro. Rencontre.

Le soleil est au rendez-vous dans ce grand appartement toulousain qui accueille les trois photographes de la Résidence 1+2. Durant deux mois, les trois auteures (Smith, Prune Phi et Camille Carbonaro) ont rencontré des astrophysiciens, des neurologues, des psychogénéalogistes et bien d’autres personnes ressources que Philippe Guionie, à l’initiative du projet, s’est efforcé de rassembler pour alimenter les têtes chercheuses des trois artistes. Un casting scientifique qui vient confirmer ce que préfiguraient les éditions précédentes, à savoir la grande concentration de chercheurs dans la région toulousaine. Une prise de conscience qui conduit la résidence à se connecter sur « photographie et science », et voit l’arrivée d’un nouveau partenaire média avec Sciences et Avenir.

Relations entre l’homme et le cosmos

La science, justement, était déjà une thématique très présente chez Smith avec les séries Spectrographie, Traum et Saturnium. « Même si mon travail est toujours basé sur la fiction, sans valeur scientifique réelle. Je pars de concepts qui m’intéressent ou qui m’intriguent, et je les intègre dans une fiction, une histoire, un projet qui va les digérer », précise l’artiste. Dans le cadre de la Résidence 1+2, Smith poursuit Désidération commencé l’an dernier, qui devrait « se construire comme un archipel avec différents pôles : vidéo, sculpture, photos, et des textes entre fiction et théorie. Désidération explore les relations entre l’homme et le cosmos à partir d’un point de départ scientifiquement avéré, qui est que la vie a été apportée sur Terre par des météorites. Certains acides aminés nécessaires à la vie n’étaient pas présents initialement, et ils seraient donc entrés via le cosmos, avec les météorites », explique Smith. Photos de cratères, implantation d’un morceau de météorite pour « se réinjecter une dose d’infini perdu », film, petit opéra connecté à la planète Mars… Toute une collection d’œuvres qui explorent la mélancolie générée par cette nostalgie des origines cosmogoniques, avec la complicité de l’équipe de l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (Irap).

© Smith

© Smith
SMITH, Astroblème, 2018
© Smith
SMITH, Astroblème, 2018

Astroblème, 2018 © Smith

L’immigration italienne en mode fanzine

Camille Carbonaro est elle aussi préoccupée par ses « origines perdues », thématique qui rassemble les trois photographes. Mais c’est l’histoire de l’immigration italienne qu’elle explore à travers son travail. « Avant la résidence, j’avais un peu tourné autour de l’histoire de mon père, de ma grand-mère, d’une communauté musulmane… et en discutant avec Smith et Prune, elles m’ont convaincue de m’y mettre vraiment ». Camille a suivi la formation du 75, une des fameuses écoles photo de Bruxelles, et édite des fanzines avec sa maison d’édition : Macaroni Books. Et c’est justement la forme de fanzines que seront rassemblées ses recherches menées avec le soutien d’une psychogénéalogiste. « La psychogénéalogie, c’est une thérapie qui parle de l’influence de ses ancêtres, ses parents… Ça parle de cette émotion, positive ou négative. Peut être que le départ de mes grands-parents qui ont quitté l’Italie pour s’installer à Marseille a conditionné ce que je suis, ce que je ressens », détaille la photographe. « L’immigration italienne en France est une immigration “réussie”, dans la mesure ou les personnes se sont assimilées et n’ont rien transmis d’italien à leurs enfants. » Un effacement des origines qui a touché et chagriné Camille. « Du coup, j’ai rencontré des personnes qui m’ont raconté leur vie et m’ont donné de la matière avec leurs archives, leurs photos, leurs papiers… Des documents familiaux qui, associés mon propre matériel, à des récits, des témoignages, des collages, des broderies ou des textes personnels me permettent de recréer une mémoire », explique la photographe.

© Camille Carbonaro© Camille Carbonaro

© Camille Carbonaro

Reconstruire sa part manquante

La famille est aussi au cœur de la recherche de Prune Phi, étudiante en 3e année à l’ENSP d’Arles, mais avec une approche plus plasticienne. Sans doute à cause de sa licence d’arts plastiques et de son master en création artistique précédemment acquis, Prune a l’habitude de retravailler les images, de les détourner, d’en faire des sculptures… Avec un grand-père d’origine vietnamienne qui ne lui a transmis aucun élément relatif à sa culture, Prune prend conscience d’un manque dans son identité, et son projet va s’atteler en poser des éléments. Elle entreprend un voyage aux États-Unis pour rencontrer sa famille émigrée, tente de renouer avec ses origines, mais la transmission n’est pas l’apanage de la tradition vietnamienne. Prune participe à des associations d’étudiants vietnamiens, en France et ailleurs, pour tisser des liens et reconstruire sa part manquante, qu’elle traduit dans ses recherches en images. « J’ai rencontré un neurologue qui travaille sur le stress post-traumatique pour apaiser les maux avec des gestes », détaille Prune pour expliquer une série de photos dans laquelle elle reproduit les pliages d’un plat traditionnel vietnamien quelle transforme en sculpture. De même qu’elle isole des éléments dans ses images, ou dans celles qu’elle récupère, pour mettre en avant un geste. Elle effectue un déplacement susceptible de reconstruire une mémoire inconsciente avec de faux souvenirs qui prendront la forme d’une installation cet automne.

© Prune Phi© Prune Phi

© Prune Phi

Image d’ouverture © Smith

Explorez
Fernanda Tafner : les sacrifices qui nous définissent
© Fernanda Tafner
Fernanda Tafner : les sacrifices qui nous définissent
Inspirée par l’histoire de sa tante et ses nombreux sacrifices, l’artiste Fernanda Tafner compose Elide, raconte-moi tes rêves. Une...
26 septembre 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
L'introspection familiale de Brandon Tauszik
© Brandon Tauszik, Fifteen Vaults
L’introspection familiale de Brandon Tauszik
Le photographe et cinéaste, Brandon Tauszik raconte une pérégrination familiale à la suite d’un deuil dans son livre Fifteens Vaults.
22 septembre 2023   •  
Écrit par Lucie Guillet
Anatomy of an Oyster : de la violence naît le trésor
© Rita Puig-Serra Costa
Anatomy of an Oyster : de la violence naît le trésor
Après Where Mimosa Bloom, un livre extrêmement touchant sur le deuil de sa mère, et Good Luck with the Future publié en collaboration...
19 septembre 2023   •  
Écrit par Ana Corderot
La sélection Instagram #420 : fais-moi un câlin
© @__scerbo__ / instagram
La sélection Instagram #420 : fais-moi un câlin
Notre sélection Instagram de la semaine s'octroie une touche de tendresse à travers une série de câlins.
19 septembre 2023   •  
Écrit par Milena Ill et Lucie Guillet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Fisheye vous invite gratuitement au Salon de la Photo 2023 !
© Lucie Hodiesne Darras
Fisheye vous invite gratuitement au Salon de la Photo 2023 !
Pour cette rentrée 2023, Fisheye invite amateurices et passionné·es à venir à l’immanquable Salon de la Photo ! Vous pourrez y découvrir...
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Milena Ill
Correspondances artificielles : Brea Souders se confie à une IA
© Brea Souders
Correspondances artificielles : Brea Souders se confie à une IA
S’intéressant à l’IA et à son évolution depuis plusieurs années, Brea Souders développe une fascination pour les chatbots et « les...
Il y a 6 heures   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Focus #58 : Paola Paredes et la brutalité des thérapies de conversion
06:21
© Fisheye Magazine
Focus #58 : Paola Paredes et la brutalité des thérapies de conversion
C’est l’heure du rendez-vous Focus de la semaine ! Cette semaine, Paola Paredes revient sur Until You Change. Dans cette série, la...
27 septembre 2023   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Verzasca Foto Festival : la jeunesse comme terrain de liberté
© Mariam Mtsariashvili
Verzasca Foto Festival : la jeunesse comme terrain de liberté
Jusqu’au 7 octobre, le festival Verzasca Foto Festival accueille des jeunes photographes internationaux·les dans un cadre bucolique, où...
27 septembre 2023   •  
Écrit par Costanza Spina