Une photographe et la guerre

Une photographe et la guerre

Sakiko Nomura signe avec Ango un ouvrage aux monochromes sublimes et à l’histoire douloureuse, inspirée par la Seconde Guerre mondiale et par la nouvelle d’Ango Sakaguchi, Une femme et la guerre.

Une femme et la guerre

, écrit par le japonais Ango Sakaguchi, affronte, dès sa publication, en 1946, la censure imposée par les Alliés, qui occupent alors le Japon. Il faudra attendre l’année 2000 pour que l’histoire originale soit enfin révélée au public : une ancienne prostituée forcée d’emménager avec un homme durant la guerre. Accusé à l’époque d’être un « outil de propagande et de diffuser l’amour de la guerre », l’ouvrage traite davantage de décadence, et du désespoir de l’humanité face au conflit mondial. « Les deux protagonistes vivaient ensemble, mais ils n’étaient pas mariés », écrit Sakaguchi. « Ils savaient déjà que le Japon perdrait la guerre, et que tout s’effondrerait. Ce n’est pas l’amour qui les a rapprochés, mais bien le chaos ambiant ».

Les mots de l’auteur hantent la photographe Sakiko Nomura qui se plonge dans ses propres archives. À la recherche d’illustrations, elle entend donner vie aux mots de Sakaguchi. Des photographies touchantes, emplies d’érotisme et de chagrin. « Lorsque j’ai décidé de réaliser un livre autour de ce récit, j’ai pris plusieurs mois pour m’immerger dans le travail d’Ango, et dans mes propres images », confie Sakiko. Elle oublie alors ses habituelles photos de nus masculins, et opte pour des modèles féminins, des personnages solitaires. Le résultat est poignant. L’isolement du récit d’origine résonne dans les clichés de Sakiko, et ses ombres délicates révèlent la sensualité de la nouvelle.

©︎ Sakiko Nomura
©︎ Sakiko Nomura
©︎ Sakiko Nomura
©︎ Sakiko Nomura

L’héritage de la guerre

Si l’histoire d’Ango passionne tant la photographe, c’est parce que la guerre est un thème qui lui est familier. Sa propre grand-mère avait fui la ville de Manchukuo durant le conflit, en 1945. Pour l’artiste, c’est un véritable héritage, légué par son aînée. En faisant la connaissance de Satoshi Machiguchi, le concepteur du livre, Sakiko se rend compte du caractère universel de ce patrimoine.

Le 13 novembre 2015, Satoshi se trouvait à Paris et a été témoin de l’attaque terroriste. Une expérience traumatisante qui résonne en lui et lui rappelle les événements du passé. Il commence alors à confectionner des ouvrages sur la guerre. Ango s’inscrit dans une lignée de livres, créés par Satoshi, quatre publications hybrides, entre littérature et photographie. « Lorsque les deux fusionnent, elles acquièrent un certain pouvoir d’expression, et produisent un résultat unique », explique-t-il. Pour illustrer le caractère fusionnel de l’oeuvre, il réalise un livre à la forme asymétrique, donnant aux pages une légère forme de spirale. Symbole d’une union entre différents artistes. L’histoire de Sakaguchi, illustrée par Sakiko et mis en page par Satoshi, forme un ouvrage à couper le souffle. Un périple intense entre la vie, la mort, l’amour et le désespoir.

©︎ Sakiko Nomura©︎ Sakiko Nomura

©︎ Sakiko Nomura
©︎ Sakiko Nomura
©︎ Sakiko Nomura
©︎ Sakiko Nomura

©︎ Sakiko Nomura© Shashasha

©︎ Sakiko Nomura
© Shashasha
© Shashasha
© Shashasha
© Shashasha

Ango, Éditions Bookshop M, 47,32 €, 204 p.

Images © Sakiko Nomura, and © shashasha

Explorez
Sony World Photography Awards 2025 : Photographier le déni, documenter les résistances
The Journey Home from School © Laura Pannack, United Kingdom, Winner, Professional competition, Perspectives, Sony World Photography Awards 2025.
Sony World Photography Awards 2025 : Photographier le déni, documenter les résistances
Des corps qui chutent, des trajectoires contrariées, des espaces repris de force… Et si la photographie était un langage de reconquête ?...
10 mai 2025   •  
Écrit par Anaïs Viand
Marion Gronier, la folie et le regard
© Marion Gronier, Quelque chose comme une araignée / Courtesy of the artist and Prix Caritas Photo Sociale
Marion Gronier, la folie et le regard
Pendant deux ans, Marion Gronier a arpenté des institutions psychiatriques en France et au Sénégal. Sans jamais montrer de visages, elle...
09 mai 2025   •  
Écrit par Milena III
Daniel Obasi : l'étoffe de la révolte
Beautiful Resistance © Daniel Obasi
Daniel Obasi : l’étoffe de la révolte
À Lagos, Daniel Obasi, 30 ans, met en lumière les communautés marginalisées du Niger à travers une mode émancipatrice et...
08 mai 2025   •  
Écrit par Milena III
À la Bourse de commerce, Deana Lawson suscite la réflexion
Bendy, 2019. Pinault Collection. © Deana Lawson / courtesy de l’artiste et de David Kordansky Gallery
À la Bourse de commerce, Deana Lawson suscite la réflexion
Jusqu’au 25 août 2025, la Bourse de commerce, à Paris, accueille la première exposition monographique de Deana Lawson en France. Sur les...
06 mai 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les images de la semaine du 5 mai 2025 : révolution des corps
© Anouk Durocher
Les images de la semaine du 5 mai 2025 : révolution des corps
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages Fisheye célèbrent les corps sous différentes formes, de sa portée politique aux...
11 mai 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Sony World Photography Awards 2025 : Photographier le déni, documenter les résistances
The Journey Home from School © Laura Pannack, United Kingdom, Winner, Professional competition, Perspectives, Sony World Photography Awards 2025.
Sony World Photography Awards 2025 : Photographier le déni, documenter les résistances
Des corps qui chutent, des trajectoires contrariées, des espaces repris de force… Et si la photographie était un langage de reconquête ?...
10 mai 2025   •  
Écrit par Anaïs Viand
Marion Gronier, la folie et le regard
© Marion Gronier, Quelque chose comme une araignée / Courtesy of the artist and Prix Caritas Photo Sociale
Marion Gronier, la folie et le regard
Pendant deux ans, Marion Gronier a arpenté des institutions psychiatriques en France et au Sénégal. Sans jamais montrer de visages, elle...
09 mai 2025   •  
Écrit par Milena III
Anouk Durocher : portrait d'une révolution intime
© Anouk Durocher
Anouk Durocher : portrait d’une révolution intime
Nous avons posé quelques questions à Anouk Durocher, artiste exposée à Circulation(s) 2025. Dans son travail, elle explore l'approche...
08 mai 2025   •  
Écrit par Costanza Spina