Urbi & Orbi : raconter la ville à travers ses transformations et ses drames

Urbi & Orbi : raconter la ville à travers ses transformations et ses drames
La biennale Urbi & Orbi nous invite depuis 2001 à réfléchir à notre rapport avec la ville et à nos modes de vie à travers le regard de photographes à la renommée internationale. Cette année, la ville est abordée en tant que terrain de transformation et de construction commune. Mais cette « fabrique urbaine » est aussi immortalisée par les drames qu’elle connaît, son présent sombre, notamment en temps de guerre et de destruction. Du 10 juin au 30 juillet à La Halle Chanzy, Sedan.

Changeantes et remplies d’histoire, les villes sont le reflet des soubresauts sociaux de notre siècle. Alors que la crise climatique, la guerre, la misère sociale frappent nos habitats urbains, Urbi & Orbi 2023 s’ouvre sur une exposition collective au thème brûlant : Ville habitée. Le titre de la biennale, pensé par les curateurices de La Salle d’Attente, est une invitation à penser les défis d’avenir de nos environnements à travers le regard de huit photographes. Chacun·e arpente la ville selon l’expérience qu’il ou elle a fait de ses mutations. Ces multiples métamorphoses collectives, à la fois historiques et sociales, participent à la « fabrique urbaine ». Chaque artiste dévoile son rapport charnel aux rues, aux immeubles, aux fleuves, aux couleurs… Car habiter, c’est ressentir en soi les énergies d’un lieu – y compris dans les recoins les plus sombres. Camille Gharbi aborde ainsi la question du relogement : comment quitter un lieu où l’on a vécu, aimé, pleuré, comment penser l’avenir ? L’ukrainienne Sasha Anisimova et le couple d’artistes syrien Bissane Al Charif et Mohamad Omran traitent de l’horreur de la guerre et de la destruction qui s’en suit, tandis que Mathieu Pernot nous présente une barre d’immeubles en démolition. SMITH adopte une approche expérimentale, en proposant une balade avec une caméra thermique dans Paris, recensant les endroits où le vivant produit le plus d’énergie. Beaucoup d’autres noms composent Urbi & Orbi 2023, tous tissant avec la ville un lien historique, mais aussi sensible. Ces images sont des traces, des témoignages, des souvenirs éphémères, mais révélateurs. Toutes expriment l’urgence de bâtir en commun et de participer à la « fabrique urbaine », d’autant plus en zone de guerre, là où le paysage intérieur et extérieur des habitant·es est tout à reconstruire.

© Mohamad Omran et Bissane Al Charif

© Mohamad Omran et Bissane Al Charif

Quand la photographie raconte la ville en guerre et ses transformations

La ville en guerre est un concept tellement éloigné de notre confort occidental qu’on en garde presque une image de presque jeu vidéo. Certain·es ont perdu toute sensibilité face à l’avalanche d’images voyeuristes proposées par les médias, tandis que d’autres pensent tout simplement que ces photographies ne sont pas réelles. « Nos villes sont en ruine, leurs habitants meurent. Je sais que c’est difficile de prendre conscience de ce qu’il se passe dans un autre pays à travers des photographies, et c’est peut-être pour cela que beaucoup de gens pensent que certaines informations sont fausses » témoigne l’artiste ukrainienne Sasha Anisimova. Comme dans un rêve de normalité perdue, la photographe et illustratrice trace des dessins sur ses images. Ils représentent les activités du quotidien que les Ukrainien·nes ne connaissent plus. « J’ai utilisé des photographies de Kharkiv en ruine comme arrière-plan à mes illustrations ; elles dépeignent des activités banales de la vie quotidienne comme boire un café, promener le chien, prendre une douche, faire de la gym ou du yoga, toutes nos routines de chaque jour ». Ces photographies permettent aussi d’envisager une ville en reconstruction. La photographe ne veut pas immortaliser des fantômes. « Les Russes nous ont volé nos vies, mais ils ne peuvent nous voler notre énergie », déclare-t-elle.

Les vidéastes Mohamad Omran et Bissane Al Charif quant à eux, racontent la destruction des villes syriennes à travers la vidéo Missing Sky, tournée en 2014. A l’époque, les deux pensaient que ce moment de violence inouïe allait être temporaire. « Neuf ans après la réalisation du film, nous sommes toujours bloqués à ce stade, assistant de loin à la destruction de nos villes, comme si le temps s’était arrêté à l’instant de dévastation » expliquent-ils. « Dans ce film de stop motion, nous essayons de présenter la destruction de manière symbolique et de rendre l’intensité de la violence vécue en Syrie en moins de trois minutes. » Les récits de ces photographes veulent nous plonger dans le concret de l’expérience du deuil de son habitat de vie, une thématique qui parcourt tel un fil rouge toute la biennale Urbi & Orbi 2023. Ils sont là pour nous réveiller de la torpeur qui parfois nous saisit et qui nous fait penser la guerre comme une expérience lointaine, et nos villes et nos logements comme acquis. Pourtant, y compris en France, nous assistons à la précarisation des lieux de vie. Ainsi, de façon subtile, telle une piqûre de rappel étrange et percutante, les images d’Ukraine et de Syrie résonnent avec celles des HLM détruits immortalisés par Matthieu Pernot. Certes, ce n’est pas la guerre, loin de là. Mais il s’agit tout de même du symbole d’une misère invisible, à laquelle, petit à petit et irrémédiablement, nos yeux s’habituent.

© Camille Gharbi

© Camille Gharbi

© Vincent Roger

© Vincent Roger

© Sasha Anisimova© Sasha Anisimova

© Sasha Anisimova

© Vincent Gouriou© Vincent Gouriou

© Vincent Gouriou

Image d’ouverture : © Mohamad Omran et Bissane Al Charif

Explorez
Les expositions photo à ne pas manquer en 2025
Bendy, 2019. Pinault Collection. © Deana Lawson / courtesy de l’artiste et de David Kordansky Gallery
Les expositions photo à ne pas manquer en 2025
Les expositions photographiques se comptent par dizaines, en France comme à l’étranger. Les artistes présentent autant d’écritures que de...
Il y a 4 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Photo London 2025 : héritage photographique et nouveaux récits
© Sebastiao Salgado
Photo London 2025 : héritage photographique et nouveaux récits
Photo London 2025 célèbre sa dixième édition du 15 au 18 mai à Somerset House, avec un programme anniversaire mettant à l’honneur la...
Il y a 9 heures   •  
Écrit par Costanza Spina
L'exposition Benzine Cyprine victime de vandalisme
Le compromis, de la série Benzine Cyprine © Kamille Lévêque Jégo
L’exposition Benzine Cyprine victime de vandalisme
Les expositions présentant le travail de femmes photographes et traitant de sujets liés au féminisme et à l’égalité des genres sont...
12 mai 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Dans l'œil de Marivan Martins : portrait de la surconsommation
Black Friday © Marivan Martins
Dans l’œil de Marivan Martins : portrait de la surconsommation
Aujourd’hui, plongée dans l’œil de Marivan Martins, photographe brésilien, installé à Paris, dont le livre autoédité Black Friday est...
12 mai 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les expositions photo à ne pas manquer en 2025
Bendy, 2019. Pinault Collection. © Deana Lawson / courtesy de l’artiste et de David Kordansky Gallery
Les expositions photo à ne pas manquer en 2025
Les expositions photographiques se comptent par dizaines, en France comme à l’étranger. Les artistes présentent autant d’écritures que de...
Il y a 4 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Photo London 2025 : héritage photographique et nouveaux récits
© Sebastiao Salgado
Photo London 2025 : héritage photographique et nouveaux récits
Photo London 2025 célèbre sa dixième édition du 15 au 18 mai à Somerset House, avec un programme anniversaire mettant à l’honneur la...
Il y a 9 heures   •  
Écrit par Costanza Spina
Festival de Cannes : 22 séries photo qui mettent le cinéma à l’honneur
Un calendrier situé à l'extérieur du bureau du lieutenant indique le nombre de jours écoulés depuis le dernier meurtre © Theo Wenner
Festival de Cannes : 22 séries photo qui mettent le cinéma à l’honneur
À l’occasion de la 78e édition du Festival de Cannes, qui commence ce mardi 13 mai, la rédaction de Fisheye met le cinéma à...
13 mai 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
La sélection Instagram #506 : avec la légèreté d'une plume
© Oana Stoian / Instagram
La sélection Instagram #506 : avec la légèreté d’une plume
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine saisissent un instant, un moment suspendu dans l’air, une respiration, une...
13 mai 2025   •  
Écrit par Marie Baranger