Walls : Harley Weir fait tomber les murs

01 février 2024   •  
Écrit par Ana Corderot
Walls : Harley Weir fait tomber les murs
© Harley Weir
© Harley Weir
© Harley Weir
© Harley Weir

Sur le bitume, les débris enfumés forment une masse informe amoncelée sur le côté. Le feu peine à se tarir et la lumière du soleil couchant projette sur le mur le squelette d’un bâtiment voisin, certainement celui d’un poste de contrôle. L’austérité de ce bloc de béton jette un froid sur les nuances ocres du crépuscule. Au milieu du silence, seul le léger bruit du crépitement des braises circule et s’immisce dans nos esprits. Il n’y a rien à retenir, il n’y a personne aux alentours, pas de visages, hormis celui de la déraison. « J’avais entendu parler du mur autour de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie aux informations, mais je n’arrivais pas à croire que c’était vrai et j’ai ressenti le besoin de le voir de mes propres yeux. Lorsque je l’ai vu pour la première fois, j’ai pris conscience des difficiles vérités du monde et ce fut un moment extrêmement important pour moi. J’étais dévastée, la teinte magique de mon périple s’est immédiatement dissipée. Je n’avais rien vu de tel : jamais un objet n’avait aussi bien résumé la haine. Avec les divisions croissantes dans le monde, le symbole du mur semblait toujours plus pressant et j’ai continué à travailler sur des projets concernant les frontières et les murs à partir de ce moment-là », écrit Harley Weir.

Tout démarre en 2012. Alors de passage à Tel-Aviv pour une commande, l’artiste, habituée des collaborations dans le milieu de la mode, entame Walls, un projet d’une grande sensibilité. Elle l’étoffera au cours de plusieurs voyages, illustrant les deux côtés du mur de séparation israélien. Créée à partir de 2002 sous l’impulsion du Premier ministre israélien de l’époque, Ariel Sharon, la « barrière de séparation israélienne » n’a fait qu’accroître l’isolement des populations palestiniennes, détruisant tout espoir de vivre ensemble. S’étendant sur plus de sept cents kilomètres, mesurant en moyenne huit mètres de haut, le mur a laissé dans son sillage un ensemble d’existences discontinues où la dissension et la véhémence se font de plus en plus grandes. Et c’est bien ce que les images d’Harley Weir, d’une beauté douce-amère, nous dépeignent. Des morceaux de vies et d’objets éparpillés, des cadavres d’animaux, des barbelés entortillés, des grenades israéliennes en guise de guirlandes sur un arbre… Tout est y abîmé et résiste à la fois à son déclin. Mais aucun corps ni portrait ne gravite, comme si l’être dans ce qui lui reste d’humanité s’était dérobé sous ce géant de béton armé.

« Ces murs en disent long, ils vous écrasent lorsque vous les regardez. Parfois, quand je regarde les images des sinistres tours de guet, elles semblent avoir leurs propres visages, des visages tristes et effrayés. Je n’avais pas forcément besoin de prendre de portraits, même si à l’origine, j’ai surtout fait de belles rencontres et photographié beaucoup de gens au cours de ces voyages. Je suis fascinée par les gens et je suis très attirée par la photographie de rue, mais cela m’a aussi mise mal à l’aise. Il y a toujours un problème d’éthique lorsque l’on utilise des personnes, il est difficile de comprendre les limites des gens. Il était donc logique de ne pas inclure de portraits, surtout lorsque la situation a un tel poids politique », ajoute-t-elle. Exposée à la Maison européenne de la photographie (MEP) à Paris en 2019, cette série se relit aujourd’hui – au cœur d’un conflit d’une violence inouïe dans la bande de Gaza – comme le témoignage d’une asphyxie systémique perpétrée depuis des années. La paix a été ensevelie sous des tonnes de pierres, encastrée dans un isolement d’une brutalité sans nom. Un cri sourd reten- tit alors : celui des millions de personnes qui en appellent à un cessez-le-feu immédiat et permanent. Parmi elles, Harley Weir qui, dans une récente publication sur Instagram accompagne l’une des images de Walls de ces quelques mots de Mahmoud Darwich, éminent poète palestinien : « La poésie et la beauté font toujours la paix. Lorsque vous lisez quelque chose de beau, vous trouvez la coexistence, cela fait tomber les murs. »

© Harley Weir
© Harley Weir
© Harley Weir

© Harley Weir

© Harley Weir
© Harley Weir
© Harley Weir
© Harley Weir
© Harley Weir
À lire aussi
« Walls » : un paradis emmuré
« Walls » : un paradis emmuré
Jusqu’au 12 janvier, la MEP accueille dans son Studio Walls, une série de la photographe Harley Weir, réalisée à Jérusalem, de part et…
05 décembre 2019   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Territory : le chaos côté obscur de Rafael Yaghobzadeh
© Rafael Yaghobzadeh
Territory : le chaos côté obscur de Rafael Yaghobzadeh
À travers Territory, Rafael Yaghobzadeh raconte une histoire troublante où l’ambiguïté ne cesse de s’accroître. Un récit qui…
25 janvier 2024   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Fisheye #63 : des combats et des résistances
© Thaddé Comar
Fisheye #63 : des combats et des résistances
Le dernier numéro de Fisheye est disponible dans les kiosques et sur le store, avec une thématique d’actualité : penser la guerre…
03 janvier 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Explorez
Les images de la semaine du 22 décembre 2025 : neige, enfance et cinéma
Emcimbini de la série Popihuise, 2024 © Vuyo Makheba, Courtesy AFRONOVA GALLERY
Les images de la semaine du 22 décembre 2025 : neige, enfance et cinéma
C’est l’heure du récap ! Au programme cette semaine : l’éclat ivoire des premiers flocons pour le solstice d’hiver, un retour sur la...
28 décembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Trophées Photos Jeunes D’Avenirs : quand les jeunes s’emparent de l’image 
Les avenirs vacants, Grand Prix du Jury © Victor Arsic
Trophées Photos Jeunes D’Avenirs : quand les jeunes s’emparent de l’image 
Le Groupe AEF info a annoncé les lauréat·es de la première édition de son concours Trophées Photos Jeunes D’Avenirs. Six jeunes artistes...
23 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
La rétrospective de Madeleine de Sinéty, entre France et États-Unis
© Madeleine de Sinéty
La rétrospective de Madeleine de Sinéty, entre France et États-Unis
L’exposition Madeleine de Sinéty. Une vie, présentée au Château de Tours jusqu'au 17 mai 2026, puis au Jeu de Paume du 12 juin au 27...
15 décembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
À la MEP, les échos de vie urbaine de Sarah van Rij
© Sarah van Rij
À la MEP, les échos de vie urbaine de Sarah van Rij
Jusqu’au 25 janvier 2026, Sarah van Rij investit le Studio de la Maison européenne de la photographie et présente Atlas of Echoes....
12 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
La sélection Instagram #539 : tout ce qui brille
© Jo Bradford / Instagram
La sélection Instagram #539 : tout ce qui brille
Pour fêter la nouvelle année, les artistes de notre sélection Instagram de la semaine posent leurs regards sur tout ce qui brille : feux...
30 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de coeur #570 : Fahad Bahramzai et Elisa Grosman
© Elisa Grosman
Les coups de coeur #570 : Fahad Bahramzai et Elisa Grosman
Fahad Bahramzai et Elisa Grosman, nos coups de cœur de la semaine, cherchent tous deux à transmettre des émotions par l’image. Le premier...
29 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 22 décembre 2025 : neige, enfance et cinéma
Emcimbini de la série Popihuise, 2024 © Vuyo Makheba, Courtesy AFRONOVA GALLERY
Les images de la semaine du 22 décembre 2025 : neige, enfance et cinéma
C’est l’heure du récap ! Au programme cette semaine : l’éclat ivoire des premiers flocons pour le solstice d’hiver, un retour sur la...
28 décembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
10 séries autour de la fête pour célébrer la nouvelle année
© Eimear Lynch
10 séries autour de la fête pour célébrer la nouvelle année
Ça y est, 2025 touche à sa fin. Dans quelques jours, un certain nombre d’entre nous célèbreront la nouvelle année avec éclat. À...
27 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet