Dans le cadre du parcours PhotoSaintGermain et en partenariat avec la galerie Magnum, la galerie Madé dévoile sur ses cimaises les images engagées de Myriam Boulos. À travers What’s Ours, la photographe libanaise capture avec optimisme et tendresse son pays en proie aux violences et bouleversements politiques. Une exposition aussi touchante que poignante à découvrir jusqu’au 22 décembre 2023.
« 21 février 2021. Quand je lui ai offert cette petite fleur, ma grand-mère m’a dit : « Dis aux arbres de sourire ». » Cet extrait du journal intime de Myriam Boulos inscrit sur les murs de la Galerie Madé accompagne un cliché d’une main marquée par les stigmates d’un temps passé, accueillant dans son coeur, une délicate et minuscule fleur. Ces quelques mots emplis de douceur et de poésie illustrent à merveille les circonstances de la création de What’s Ours. « Ce travail présente une sélection d’images prises au cours de ma vingtaine, de 2013 à 2023. Cette phase a été si importante pour moi qu’elle m’a complètement changée. Elle m’a appris à résister, mais aussi à déconstruire la pratique coloniale et patriarcale de la photographie », témoigne l’autrice libanaise née en 1992. Prenant également la forme d’un livre, What’s Ours dresse le portrait d’un pays en crise et documente les révolutions et tentatives de libération d’un point de vue tant intime que politique.
Parler de soi, un acte de résistance
Au cours de ses premières années en tant que photographe, Myriam Boulos ne capturait que la nuit, en noir et blanc. Pour elle, la vie nocturne n’est qu’un reflet des révolutions : « Il s’agit d’extérioriser collectivement des choses que l’on nous apprend à mettre en bouteille. J’ai pris des photos dans les rues et dans les espaces d’intimité, là où nous sommes le plus exposé·es à la violence physique et émotionnelle. » Puis, en octobre 2019, alors que les manifestations débutent au Liban, son processus artistique se retrouve en mutation. « J’ai eu l’impression de sortir collectivement d’une relation abusive et de pouvoir enfin dire : « Non, ce n’est pas normal. » C’est à ce moment-là que j’ai commencé à prendre des photos en couleur, pendant la journée », se remémore-t-elle. Peu de temps après ce bouleversement, Myriam Boulos saisit une image emblématique de l’ensemble de son œuvre, celle de deux femmes s’embrassant langoureusement, contenant tout ce qu’elle recherche dans le médium : « les textures, la proximité, la résistance et la tendresse ».
Quelques mois plus tard, le 4 août 2020, l’explosion du port de Beyrouth ôte la vie à 235 personnes et en blesse 6500. Un évènement catastrophique majeur dans l’histoire du pays, que Myriam Boulos n’est pas prête d’oublier. « Nous nous sommes caché·es dans la salle de bain et nous nous sommes serré·es dans les bras, attendant de mourir. Le lendemain, j’ai commencé à documenter les conséquences de l’explosion, explique l’artiste. Puis, elle poursuit : donner de l’espace aux histoires personnelles est un acte de résistance, et défier les manières traditionnelles de représenter notre région est une façon de réclamer ce qui nous appartient. » Par le prisme de What’s Ours, Myriam Boulos révèle des combats, des révoltes et l’urgence de vivre. Un témoignage puissant et touchant à découvrir dans son livre du même titre, et jusqu’au 22 décembre 2023 à la Galerie Madé.
« 13 janvier 2020. La révolution se lève à nouveau. Même sensation de grande vague qui m’engloutit. Oublier tout le reste. Ne pas répondre aux e-mails. Ne pas me regarder dans le miroir. C’est bizarre comme la place du corps change en temps de crise. (C’est comme si j’en effaçais l’image. Je me demande aussi si les gens ont des relations sexuelles. Il y a quelques mois, une amie m’a dit qu’elle avait tellement besoin de faire l’amour qu’elle se réveillait au milieu de la nuit en pleurant). »