Le Centre Pompidou lui donne carte blanche jusqu’au 22 septembre 2025, dernier accrochage avant la fermeture du bâtiment pour cinq ans de travaux. L’artiste allemand nous a accordé un entretien depuis son atelier berlinois. Il revient sur sa démarche photographique, son rapport à l’image imprimée et son engagement politique. Cet article, signé Mathieu Oui, est à retrouver dans Fisheye #72.
Fisheye : Comment avez-vous préparé cette carte blanche ? S’agit-il d’une exposition monographique ou vos images vont-elles dialoguer avec des œuvres de la collection ?
Wolfgang Tillmans : Le Centre Pompidou ne m’a pas demandé une rétrospective, mais plutôt une réflexion sur le futur autant que sur le passé. Il n’y aura pas d’emprunts d’œuvres du musée, mais un dialogue avec l’espace de la Bibliothèque publique d’information (BPI) située au deuxième étage. Je présente aussi le travail d’autres artistes de la fondation Between Bridges. Il s’agissait, à l’origine, d’une galerie à but non lucratif que j’avais fondée en 2006 à Londres. J’y présentais des artistes alors peu médiatisés. Exposer dans un espace comme la BPI, qui n’a pas été conçu pour cela, est un véritable challenge. J’ai utilisé certaines structures caractéristiques de la bibliothèque, par exemple en transformant des tables en espaces de monstration de plus de sept mètres pour des livres. Une grande part de ma pratique est liée à l’édition. Je présente un livre dans son intégralité, sur ses 128 pages, ce qui nécessite 64 copies du même exemplaire !
« Dans le passé,
les artistes avaient
davantage conscience
de l’importance
de leur voix. […]
Ces dernières années,
on est devenus
complaisante·s,
on prend les choses
pour acquis. »
Comment comprendre le titre de l’exposition : Rien ne nous y préparait – Tout nous y préparait ?
Il m’est venu en 2023 non pas tant d’un contexte politique que d’une perspective intime. Il y a toujours des couches de signes, des traces, qui auraient pu mieux nous informer ou mieux nous préparer. Mais la réalité, c’est que nous n’anticipons pas forcément les choses. J’ai toujours été intrigué par cette question : comment était une chose avant que je ne la remarque ? Cette réflexion est peut-être à relier à ma fascination pour l’astronomie dans ma jeunesse qui a aiguisé mon sens de l’observation. Dans l’exposition, certaines photos datent de 1985, mais je ne les ai redécouvertes que l’an dernier. C’est aussi une manière de revenir sur quarante ans d’histoire à travers mes collections de journaux accumulés durant cette période. J’espère que cela touchera chaque visiteur, qu’il pourra s’y reconnaître. La poésie des images que je réalise est ma raison de créer. Pourquoi une image est-elle puissante et mémorable ? La simple description des éléments visibles dans une nature morte de fruits ne suffit pas à en percer le secret. Le cœur de mon travail réside dans un endroit que le langage ne peut atteindre : c’est un langage en soi.
Une de vos marques est la grande liberté dans l’accrochage, avec la juxtaposition de formats différents, d’images imprimées sans cadre, d’autres encadrées, composant un ensemble qui fait œuvre. Cet accrochage est-il anticipé ou décidé sur le moment, presque au pied du mur ?
Le pouvoir de l’objet imprimé, sa poésie à la fois fragile et puissante, est la raison de ma fascination pour le travail mural et l’exploration de son potentiel maximal. Il s’agit de considérer le mur dans sa totalité, comme la toile d’un peintre. Je ne vois pas l’intérêt d’aligner simplement des images. J’ai donc développé ce type d’accrochage, qui, au départ, n’était pas pris au sérieux. C’est une navigation dans l’espace : je regarde en haut, en bas, je me rapproche. J’aime orienter les visiteurs vers les coins de façon à leur permettre d’observer l’endroit où ils se trouvent. Pour cette exposition, j’ai réalisé une grande maquette longue de onze mètres à l’échelle 1/10e. Ensuite, j’ai dessiné un plan assez précis, afin de savoir exactement quoi emporter avec moi. Je ne peux improviser qu’avec le matériel dont je dispose.
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #72.
7,50 €