« Il ne faut pas oublier qu’Yves Saint Laurent était l’un des plus grands couturiers à associer son image avec les vêtements qu’il créait. Il a utilisé son propre visage et son propre corps dans les publicités. Il avait une vision de lui-même assez forte. »
Cet été, parmi les accrochages à retrouver aux Rencontres d’Arles se compte Yves Saint Laurent et la photographie, visible à la Mécanique générale jusqu’au 5 octobre 2025. Tout au long de sa carrière, le grand couturier a entretenu une relation particulière avec le 8e art qui, au-delà d’immortaliser ses créations, le fascinait. Simon Baker, directeur de la MEP et l’un des commissaires de l’exposition, nous parle aujourd’hui de cette inclination d’un avant-gardiste à bien des égards.
Fisheye : Quelle est la genèse d’Yves Saint Laurent et la photographie ?
Simon Baker : Comme vous le savez peut-être, le musée Yves Saint Laurent est en travaux. Il est fermé pour un moment [il rouvrira à l’automne 2027, ndlr] et ils souhaitent faire circuler leur collection, notamment avec l’exposition Yves Saint Laurent et la photographie, dont ils m’ont demandé d’être l’un des commissaires. Au début, je n’étais pas sûr de vouloir le faire, car je ne suis pas un expert de la mode, mais quand j’ai commencé à regarder leur fonds, la qualité des œuvres m’a impressionné et j’ai fini par accepter avec une idée assez précise en tête. Je souhaitais montrer le lien entre Yves Saint Laurent et la photographie dans les sens les plus divers possibles, voir l’évolution du médium par le biais d’une personnalité et sa création.
Finalement, quelle relation Yves Saint Laurent entretenait-il avec la photographie ?
La photographie le passionnait. Il a fait appel aux meilleurs de chaque époque. Dans les années 1950, Richard Avedon l’a photographié, Irving Penn et Marc Riboud ont fait son portrait. Au moment où Jeanloup Sieff est devenu une star, il s’est tourné vers lui. Et aussi vers Helmut Newton, vers David Bailey et, plus tard, vers Paolo Roversi et Juergen Teller. Il était vraiment à jour sur les tendances et avait également un intérêt personnel pour le médium. Il possédait une collection de tirages. On a notamment un magnifique Horst P. Horst, qui remonte quasiment à l’année de sa naissance et qui ouvre l’exposition, qu’il avait lui-même acheté. Et il ne faut pas oublier qu’Yves Saint Laurent était l’un des plus grands couturiers à associer son image avec les vêtements qu’il créait. Il a utilisé son propre visage et son propre corps dans les publicités. Il avait une vision de lui-même assez forte.
« Aujourd’hui, on n’a aucun problème à l’accepter, mais à l’époque, la photographie de mode n’était pas considérée alors que, quand on regarde les œuvres de Richard Avedon, d’Irving Penn ou de Helmut Newton, ça dépasse complètement l’aspect commission-commande. »
Yves Saint Laurent avait un positionnement avant-gardiste vis-à-vis de la photographie. Comme le souligne Elsa Janssen, la directrice du musée, dans l’introduction de l’ouvrage, il affirmait déjà, en 1978, que « l’œuvre d’un grand photographe de mode est l’œuvre d’un véritable artiste ».
Oui, exactement. Aujourd’hui, on n’a aucun problème à l’accepter, mais à l’époque, la photographie de mode n’était pas considérée alors que, quand on regarde les œuvres de Richard Avedon, d’Irving Penn ou de Helmut Newton, ça dépasse complètement l’aspect commission-commande. Je ne pense pas qu’il agissait comme un directeur artistique le ferait actuellement, il laissait les artistes faire leur travail et les sollicitait pour cela, mais il avait un œil incroyable. On voit bien qu’il s’intéressait à tout ce qu’il faisait, qu’il était obsédé par la photographie.
Depuis leurs débuts, la photographie et la mode se sont transformées conjointement. Comment les campagnes d’Yves Saint Laurent ont-elles évolué au fil du temps ?
Cela va également de pair avec l’histoire du graphisme. Des magazines comme Vogue, par exemple, sont passés de choses assez simples vers des pages multiples, avec beaucoup de couleurs, de graphisme autour des images. C’est un troisième aspect de l’exposition : comment la présentation de la photographie dans les magazines a-t-elle évolué ? Yves Saint Laurent a suivi ces changements avec grand intérêt.
Avec la participation de Madison Cox, Christoph Wiesner, Elsa Janssen, Simon Baker, Serena Bucalo-Mussely, Alice Morin et Clémentine Cuinet
160 pages
59,95 €
Comment l’exposition rend-elle compte de ce lien particulier avec la photographie ?
La structure de l’exposition suit deux parcours chronologiques. À l’extérieur, il y a les œuvres de photographes comme Richard Avedon, Irving Penn, Helmut Newton, Jeanloup Sieff, Guy Bourdin, jusqu’à Juergen Teller. À l’intérieur, on retrouve les coulisses de la maison de couture et des défilés, les magazines, les planches-contact et beaucoup de polaroïds. Deux visions de sa relation avec la photographie se dessinent. L’une montre comment le grand couturier était représenté, comment il a demandé aux artistes d’immortaliser ses vêtements, ses collections. L’autre s’apparente un peu à un cabinet de curiosité de toutes les manières dont la photographie était déployée par la maison dans les magazines, surtout dans Vogue, et dans les publicités. Ce sont deux accrochages chronologiques complètement séparés, mais complètement cohérents. L’architecte a construit une sorte de boîte, au milieu, avec une fenêtre. Comme ça, on voit d’abord le parcours extérieur puis, de l’intérieur, on aperçoit aussi les choses à l’extérieur. C’est une très belle scénographie. À part une image qui est un prêt de la MEP, toutes viennent de la collection du musée Yves Saint Laurent.
Quelques mots pour finir ?
L’implication de Madison Cox [le président de la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent et du musée Yves Saint Laurent Paris, ndlr] et de l’équipe du musée Yves Saint-Laurent était essentielle. Elle travaille au quotidien avec le fonds, a une expertise incroyable sur les photographies, mais aussi sur les vêtements, les collections, les mannequins. Je suis très reconnaissant d’avoir pu collaborer avec ces personnes. Elles étaient avec moi à chaque étape et ont permis d’avoir de vrais chefs-d’œuvre : de magnifiques objets, des tirages d’époque. Sur les cimaises, il y a une stéréographie d’Yves Saint Laurent réalisée par Andy Warhol. Elle se trouvait dans le bureau de Pierre Bergé [homme d’affaires et compagnon d’Yves Saint Laurent, qu’il aida notamment à fonder sa propre maison de couture après son départ de la maison Christian Dior, en 1960, ndlr]. C’est quelque chose que l’on voit rarement dans une exposition photographique. Je remercie également Christoph Wiesner, le directeur des Rencontres d’Arles, d’avoir accepté toute cette logistique et permis de montrer les meilleures œuvres.