Dans Murs de l’Atlantique, Julie Hascoët s’est immiscée dans les free parties qui éclosent entre les blockhaus du littoral breton. Un dialogue entre fêtes spontanées et enceintes fortifiées s’engage alors et interroge la construction d’une identité collective.
« Bande son d’un monde devenu chaos. Un corps hybride, un corps commun, traversant les heures tristes. Un
nous informe et désœuvré, passablement dégommé, composé de je qui s’oublient et s’annulent, massés dans l’illégalité. Refus d’obtempérer : car nos envies de nuit sont des envies de nuire. » En ces quelques phrases, Julie Hascoët dépeint les réflexions nébuleuses d’une génération perdue. Mais sont-ce les pensées rémanentes qui animent une sédition contre la guerre ou l’invasion ? Ou bien les sentiments épars de « teufeurs » qui fuient la monotonie des jours ? Dans Murs de l’Atlantique, la photographe joue justement sur cette ambivalence. La série prend place sur le littoral breton, là où cohabitent blockhaus et fêtes clandestines sur fond de musique techno. Si tout semble les opposer, une question commune émerge. Le long des murs qui esquissent les marges errent des individus en quête de sens et d’identité face à une société qu’ils n’entendent plus.
Des clichés de Julie Hascoët surgit un éloge des contrastes, desquels concourt un besoin d’appartenance. Celui-ci se cultive dans des mouvements de désobéissance condamnés à l’opprobre par les gouvernements. Dans les campagnes désertes ou sur les côtes culminantes s’organisent des soirées hermétiques au monde et ses lois. Les moments de liesse et de dérives prennent alors place dans cette bulle qui refuse paradoxalement l’imprévisibilité des évènements. La jeunesse emmurée s’adonne ainsi à une « opération de guérilla flottant dans le fond d’un verre », et les échos du passé semblent rythmer le présent. La résistance se décline en une variation sur un tout autre thème. Entre les pages, les installations festives s’opposent aux vestiges du mur de l’Atlantique, bâti pendant la Seconde Guerre mondiale par le Troisième Reich. Vaine entreprise, les constructions éphémères tentent de s’ériger contre celles qui surplombent les lieux… Mais n’ont pourtant pu résister à la Victoire des Alliés.
Une communauté spontanée qui refuse l’autorité
« Depuis la vitre du troquet, les vieux du bled commentent : leur allure débraillée, les coupes de cheveux douteuses, les pantalons trop larges. Le style garçon manqué. Les manières qui se perdent. Et le patron de battre en retraite, parce qu’il les a vus grandir ici, ces gosses ; année après année : il faut bien que jeunesse se passe. »
À la fin de l’ouvrage, des textes tentent d’expliquer cette intempérance juvénile. « Chaque samedi soir c’est pareil. On se rejoint sur la place en attendant que l’info tombe. Un SMS circule, qui donne déjà le ton », écrit Julie Hascoët. Les réjouissances saturnales consistent à dresser un mur, « pièce par pièce, caisson après caisson. Méthodiquement. Comme une opération militaire. On installe un campement ». L’objectif de telles soirées ? Fuir à l’unisson vers une quête de sensations.
Là où les ancêtres cherchaient à défendre leur identité nationale, les jeunes veulent se sentir exister dans une communauté spontanée qu’ils ont créée. Loin d’être animée par le même optimisme, elle provoque et déjoue une autorité qu’elle refuse. Motivés par le seul désir d’altérité, irrépressible et sans fondement, ses membres reconnaissent singulièrement cette réalité-là. « On occupe les vides : on assume d’être cette ruine vivace. Un déchet de l’ère industrielle, un encombrant : regardez ce qu’on fait de notre temps », conclut Julie Hascoët.
Murs de l’Atlantique, Éditions Autonomes, 120 p., 30 €.
© Julie Hascoët