« Le récit triomphant d’amitiés féminines et d’émotions libérées »

25 octobre 2018   •  
Écrit par Lou Tsatsas
« Le récit triomphant d'amitiés féminines et d'émotions libérées »

Originaire de la Nouvelle-Angleterre, Tabitha Barnard grandi dans une communauté très religieuse. C’est avec ses sœurs qu’elle apprend à explorer sa féminité. Dans Sisterhood, la photographe crée un récit autour de la féminité, ses rituels et ses singularités.

Fisheye : Depuis quand photographies-tu tes sœurs ?

Tabitha Barnard : J’ai commencé à les photographier lorsque j’étais au lycée. Je passais le plus clair de mon temps avec elles, et cela me paraissait naturel. J’ai ensuite découvert le travail de la photographe Sally Mann sur ses enfants, et il m’a bouleversée. Je voulais moi aussi créer de merveilleux documentaires familiaux. Je suis tombée amoureuse de la photo en 2012, au Maine College of Art et j’ai réalisé que mon appareil photo était un outil pour mettre en lumière mes sœurs et leur transformation, de filles à femmes. Je n’ai jamais écrit dans un journal intime, à la place, je photographiais. Et depuis, je n’ai jamais arrêté.

Comment procèdes-tu pour les photographier ?

C’est assez spécifique. Je shoote à l’argentique, généralement avec un Mamiya RZ 67, et je mets en scène toutes mes images. J’aime exploiter la relation entre photographie et réalité, un lien que je trouve excitant. Je cherche donc à créer un récit autour de la féminité, de la religion et du fantasme. Mettre en scène mes sœurs m’aide à construire ces histoires. Si des idées me viennent en tête, je réunis ma famille pour les concevoir, et mes sœurs collaborent alors avec moi. J’aime aussi collecter des accessoires, des tenues pour les shootings, et chaque objet présent dans l’image possède une symbolique importante.

Sisterhood s’insère donc la continuité de ce travail. Comment a émergé cette première série ?

Si j’ai toujours photographié mes sœurs, cette année, le projet est devenu plus important pour moi. Pendant les vacances, cela devenait une obsession : je les capturais dans toutes les situations possibles et imaginables. La relation que j’entretiens avec elles est si fusionnelle que je souhaitais la faire partager aux spectateurs. Nous avons grandi dans une région rurale de la Nouvelle-Angleterre, au sein d’une communauté très religieuse. Par conséquent, nous étions quelque peu isolées, et nous avons beaucoup dépendu les unes des autres en grandissant. L’évolution de mes sœurs à travers la puberté a toujours été influencée par le prisme de la religion, et je souhaitais immortaliser ce combat.

© Tabitha Barnard© Tabitha Barnard

La religion est donc le fil rouge de Sisterhood ?

Oui entre autres. Toutes les photographies de ma série sont teintées par la religion, l’isolation et la sexualité féminine. Ces thèmes ont été inspirés par notre éducation dans un milieu très religieux. Lorsque j’étais enfant, l’occulte et la sorcellerie me fascinaient, notamment car tout cela était tabou dans notre communauté. Et puis, dans cette région de Nouvelle-Angleterre, il existe beaucoup de mythes tragiques autour des sorcières et des femmes. Des éléments que j’ai retrouvés dans les coutumes de ma propre famille.

Comment as-tu incorporé ces mythes dans tes photos ?

Mes sœurs et moi avons inventé nos propres rituels et jeux, et j’essaie de les recréer dans mes images. Lorsque j’étais jeune, j’adorais lire des passages de la Bible consacrées à des sorcières ou à des femmes puissantes. C’était comme si je regardais un film d’horreur. La première fois que j’ai lu l’histoire de Babylone la Grande (une prostituée, figure mystérieuse de l’Apocalypse de Jean), j’étais terrifiée et fascinée par sa description à la fois frappante et belle. Je savais donc que je voulais incorporer de tels  récits dans ma série, et transformer mes sœurs en actrices.

En quoi le fait d’être une femme t’a-t-il aidé pour réaliser cette série ?

La série résume également ma propre expérience : grandir en tant que femme, et devenir adulte. Je n’aurais jamais pu réaliser ce travail sans être moi-même une femme. Je n’aurais jamais évolué en connaissant ce sentiment d’oppression et de frustration liée à ma féminité. Les liens que j’ai noués avec d’autres femmes sont cruciaux et me poussent à poursuivre ce travail.

Quel message veux-tu transmettre aux jeunes filles ?

Je me suis vue, ainsi que mes amies et même mes jeunes cousines, devenir des objets sexuels lorsque nous sommes entrées dans l’adolescence. Chaque jeune femme ressent cette pression d’être désirable et sexuelle le plus tôt possible : les mineures sont surnommées « jailbait » (expression familière signifiant « un coup à se retrouver en taule »), les marques de maquillages prennent pour cible des filles de plus en plus jeunes…

Je veux montrer que les jeunes filles peuvent être des personnes à part entière. La puberté est une période de transition effrayante, et peut facilement devenir cauchemardesque. Sisterhood représente la beauté, et l’évolution qui s’opèrent durant cette période. Et, surtout, la série met en lumière le récit triomphant d’amitiés féminines et d’émotions libérées.

© Tabitha Barnard

© Tabitha Barnard© Tabitha Barnard

© Tabitha Barnard© Tabitha Barnard

 

© Tabitha Barnard© Tabitha Barnard

 

© Tabitha Barnard

© Tabitha Barnard© Tabitha Barnard© Tabitha Barnard

© Tabitha Barnard

Explorez
Taras Bychko : un patchwork d’instantanés pour définir l’émigration 
© Taras Bychko
Taras Bychko : un patchwork d’instantanés pour définir l’émigration 
Dans Where Paths Meet, Taras Bychko compose un patchwork d’instantanés et d’émotions pour définir les contours de l’émigration. Pour ce...
13 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Lee Miller, mélancolie débordante et chambres d'hôtel : dans la photothèque d'Éloïse Labarbe-Lafon
Diane et Luna, 2023 © Eloïse Labarbe-Lafon
Lee Miller, mélancolie débordante et chambres d’hôtel : dans la photothèque d’Éloïse Labarbe-Lafon
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les auteurices publié·es sur les pages de Fisheye reviennent sur...
12 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Kianuë Tran Kiêu : éclats de tendresse et narratives queers
© Kianuë Tran Kiêu
Kianuë Tran Kiêu : éclats de tendresse et narratives queers
Kianuë Tran Kiêu fait de l’art un espace de connexion et de transmission où la vulnérabilité devient une force. Chaque projet est une...
24 février 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Saint-Valentin : les photographes de Fisheye montrent d’autres visions de l’amour
© Nick Prideaux
Saint-Valentin : les photographes de Fisheye montrent d’autres visions de l’amour
Les photographes de Fisheye ne cessent de raconter, par le biais des images, les préoccupations de notre époque. Parmi les thématiques...
14 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
L'IA au service de la photographie de mode : chronique d'un outil créatif
Venus in braces (牙套中的维纳斯) © Nemo Chen
L’IA au service de la photographie de mode : chronique d’un outil créatif
L’intelligence artificielle révolutionne l’industrie de la mode, et par extension nos habitudes de consommation des images. Les artistes...
Il y a 3 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Taras Bychko : un patchwork d’instantanés pour définir l’émigration 
© Taras Bychko
Taras Bychko : un patchwork d’instantanés pour définir l’émigration 
Dans Where Paths Meet, Taras Bychko compose un patchwork d’instantanés et d’émotions pour définir les contours de l’émigration. Pour ce...
13 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Alessia Glaviano, l’œil Nouvelle Vogue
Portrait d'Alessia Glaviano © Marco Glaviano
Alessia Glaviano, l’œil Nouvelle Vogue
Alors que la neuvième édition du PhotoVogue Festival vient de s’achever, Alessia Glaviano, directrice de l’événement, revient sur son...
13 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Lee Miller, mélancolie débordante et chambres d'hôtel : dans la photothèque d'Éloïse Labarbe-Lafon
Diane et Luna, 2023 © Eloïse Labarbe-Lafon
Lee Miller, mélancolie débordante et chambres d’hôtel : dans la photothèque d’Éloïse Labarbe-Lafon
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les auteurices publié·es sur les pages de Fisheye reviennent sur...
12 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger