Pop vanités

12 mai 2022   •  
Écrit par Finley Cutts
Pop vanités

Coquilles d’oeufs, épluchures de légumes, sacs-poubelles, racines… Dans Still, Life Robin Lopvet braque son objectif sur nos restes du quotidien. En résultent des natures non pas mortes, mais bien vivantes qui laissent imaginer tous les excès de nos modes de consommation. Un portfolio à retrouver dans notre dernier numéro. 

« Je viens d’un milieu populaire. J’ai grandi en HLM, là où finir son assiette est un mode de vie », raconte Robin Lopvet. Depuis, il a forcé la porte du monde de l’art et s’amuse à imaginer des créations burlesques en parallèle de ses commandes pour l’industrie du luxe. Son mode de vie a alors changé, l’assiette a volé en éclats – du moins, si l’on en croit les images de sa dernière série Still, Life. Dans celle-ci, des natures non pas mortes, mais bien ostensiblement vivantes qui laissent imaginer tous les excès de nos modes de consommation. Credo d’une classe sociale, l’anti-gaspillage rime avec créativité pour l’artiste français car, dans ses compositions inspirées, déchets, nourriture et autres détritus fusionnent et prennent vie. « “Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.” Cette formule résume pour moi toute ma création artistique », avance-t-il en guise d’introduction à sa pratique. La célèbre maxime attribuée de manière apocryphe au chimiste Antoine Lavoisier pourrait être le slogan de ce mouvement post-photographique, où la matière brute va de pair avec le recyclage. Coquilles d’oeufs, épluchures de légumes, sacs-poubelles, racines… Harmonieusement assemblés, tous ces éléments se métamorphosent et s’embrassent dans une cacophonie nouvelle, visuellement délirante. Comme transporté dans la plus ordonnée des décharges, notre regard circule au milieu de ces déchets entièrement remodelés en postproduction. Étirés, enlacés, déchirés, mélangés, entrecoupés, juxtaposés et même enchaînés par toute la virtuosité numérique de l’artiste, les corps prennent vie. « L’idée du gaspillage alimentaire dans une société où certains n’ont pas de quoi se nourrir est écoeurante. Je documente cette absurdité en utilisant les techniques que j’ai apprises dans le monde de l’image de luxe. J’applique alors ma touche personnelle aux déchets, à ce que la société ne veut plus voir, aux productions humaines dont personne ne revendique la propriété », raconte le Photoshop virtuoso Robin Lopvet.

© Robin Lopvet© Robin Lopvet

En s’inscrivant dans la tradition de la nature morte, l’auteur pose un regard sensible et braque ses projecteurs sur ces restes du quotidien. Ces débris magnifiés et mis en scène reprennent vie et dénoncent de manière criante le gaspillage alimentaire de nos sociétés. Ce dont personne ne revendique la propriété, qui nous fait honte et met en exergue nos contradictions, le photographe nous l’impose dans ses compositions-collages. Car malgré l’humour et la dérision propre à l’auteur, la réalité ne peut que faire rougir. Allégories de la mort, de l’organique en décomposition, ses images sont autant de vanités revisitées par un imaginaire pop. « Still, Life interroge notre rapport à la consommation. Le propos est évidemment écologique, mais je ne me positionne pas en tant que militant. Le sujet est à la fois universel et contemporain. Et je ne suis pas exemplaire : je récupère des meubles dans la rue, mais je commande aussi sur Amazon. Je fais également partie du problème, comme tout le monde. » Et comme nous le rappelle l’artiste, représenter l’anodin est, « depuis l’asperge de Manet », l’un des grands enjeux artistiques de la modernité. En focalisant l’art sur la culture populaire, l’artiste pointe du doigt les aberrations d’un quotidien qui nous concerne tous.

Cet article est à retrouver dans Fisheye #53, disponible ici

Robin Lopvet expose à Romainville dans le cadre du 72e festival d’Art contemporain, jusqu’au 15 mai 2022.

© Robin Lopvet © Robin Lopvet © Robin Lopvet

© Robin Lopvet

Explorez
Arielle Bobb-Willis célèbre la vie
© Arielle Bobb-Willis
Arielle Bobb-Willis célèbre la vie
Issue du mouvement de l’avant-garde noire contemporaine que nous présentons dans notre dernier numéro, Arielle Bobb-Willis capture le...
28 mars 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Algorithmes 
sous influence
© Lena Simonne, backstage du show Étam 2024 à Paris.
Algorithmes 
sous influence
Autrefois dominé par les magazines et les photographes, le secteur de la mode s’est transformé sous l’impulsion...
27 mars 2025   •  
Écrit par Anaïs Viand
Focus : capitalisation du corps, tourisme strassé et indépendance
Unprofessional © Matilde Ses Rasmussen
Focus : capitalisation du corps, tourisme strassé et indépendance
Créé par les équipes de Fisheye, Focus est un format vidéo innovant
qui permet de découvrir une série photo en étant guidé·e par la...
26 mars 2025   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Finalistes du prix Découverte Fondation Roederer : ébranler l'histoire officielle
Sans titre, 2023. Série Patria Nostra © Julie Joubert. 2023-2024. Avec l’aimable autorisation de l’artiste. Prix Découverte 2025 Fondation Louis Roederer - L’assemblée de ceux qui doutent. Présenté par L’Hôtel Fontfreyde – Centre Photographique, Clermont-Ferrand, France.
Finalistes du prix Découverte Fondation Roederer : ébranler l’histoire officielle
Pour la deuxième année consécutive, les sept finalistes du prix Découverte Fondation Roederer des Rencontres d’Arles seront exposé·es...
25 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Comédie, étrangeté et légèreté : 18 séries photographiques pour sourire
De la série Extrem Tourism, 2011 © Thomas Mailaender
Comédie, étrangeté et légèreté : 18 séries photographiques pour sourire
Canulars, farces et attrapes et étrangetés rythment chaque année cette première journée d’avril. Pour célébrer le poisson d’avril, la...
Il y a 4 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
La sélection Instagram #500 : une bonne blague
© Théophile Baye / Instagram
La sélection Instagram #500 : une bonne blague
Aujourd’hui, attention à votre dos. Celui-ci pourrait être rempli de petits poissons et autres farces si typiques de ce premier jour...
Il y a 9 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Dans l’œil de Kourtney Roy : une atmosphère parfaite pour une séance photo
© Kourtney Roy
Dans l’œil de Kourtney Roy : une atmosphère parfaite pour une séance photo
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil de Kourtney Roy, lauréate, en duo avec le compositeur Mathias Delplanque, de la 6e édition...
31 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les coups de cœur #538 : Alexandre Dinaut et Pascal Fayeton
© Alexandre Dinaut
Les coups de cœur #538 : Alexandre Dinaut et Pascal Fayeton
Alexandre Dinaut et Pascal Fayeton, nous coups de cœur de la semaine, nous proposent deux voyages distincts. Le premier nous emmène en...
31 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet