Avec Mystery Street, Vasantha Yogananthan retrace les itinérances de l’enfance à travers les rues humides en été de La Nouvelle-Orléans. Au sous-sol, dans le couloir du Tube, les images du couronnement du Roi George VI, par Henri Cartier-Bresson, détournent le regard sur les petites gens. Des expositions à découvrir à la Fondation Henri Cartier-Bresson jusqu’au 3 septembre 2023.
Si le soleil printanier peine à diffuser ses rayons aux fenêtres, la Fondation HCB accueille deux expositions où lumière, joie naïve, chaleur ou nostalgie humide se diffusent à travers les salles. En s’aventurant au sous-sol d’abord, les photographies réalisées par Henri Cartier-Bresson sur le couronnement du Roi George VI en 1937 nous laissent esquisser quelques sourires dans ce qu’elles nous dévoilent de la société britannique. Au lendemain du couronnement de Charles III et de Camilla Parker Bowles – en tant que roi et reine consort du Royaume-Uni et des autres royaumes du Commonwealth – les images d’un Autre couronnement nous tirent le portrait d’un peuple plutôt que de son roi.
Le regard se déplace, il se dirige vers la foule, vers les mines désinvoltes, les femmes, les hommes, les vieillard·es, les enfants, périscopes entre les mains ou debout sur les épaules de leurs parents. Dans l’œil du photographe, c’est bien le spectacle des badauds entassés qui importe, et non celui de la royauté. Les pompiers limitent les dégâts, les oiseaux de nuit sont endormis sur les trottoirs : l’ensemble a des allures de match, ou de lendemain de fête. L’ironie surplombe la foule dans une atmosphère solennelle. En détournant l’objectif sur les autres, Henri Cartier-Bresson renverse les points de vue, met en évidence ce que l’on voit et que l’on choisit de voir. Quelques marches plus haut, au cœur de l’espace principal du Cube, Vasantha Yogananthan s’interroge également sur la manière de percevoir, de s’émouvoir et de s’émerveiller sur le monde. Avec Mystery Street, une série réalisée dans le cadre d’Immersion – un dispositif de soutien à la création de la Fondation d’entreprise Hermès – l’artiste français utilise le prisme de l’enfance pour parcourir les rues de La Nouvelle-Orléans. Une itinérance naïve d’un lieu marqué.
Henri Cartier-Bresson, Couronnement du roi George VI, Londres, Angleterre, 12 mai 1937
© Fondation Henri Cartier-Bresson / Magnum Photos
Braver la pluie et le bitume
Un garçon courant après son ombre, une feuille esseulée, l’odeur de la pluie sur le sol chaud, les doigts qui parcourent les courbes d’un grillage et la mélodie qui en découle… C’est le début de l’après-midi, en pleines vacances d’été. Les images sont récentes, 2022 sur le cartel, mais nous dévoilent des années bien lointaines pour certain·es. Il nous a semblé pourtant que le temps de l’enfance se tenait à portée de main, quelque part dans un recoin de notre cœur. Nous ne savons pas grand-chose des enfants que nous côtoyons dans les salles adjacentes, hormis leurs prénoms en tout début d’exposition. Un mur entier les réunit : Kanye, Struve, Addon, Kash, Love, Tru, Jace, Ruby… Des marqueurs nominaux d’une nouvelle génération. Et tout au long de notre déambulation, nous comprenons que ce sont elleux que l’on suivra et qui nous guideront.
« Il y a un moment dans la vie, au passage de l’enfance à l’adolescence – disons entre 8 et 12
ans –, où tout change très vite. C’est l’âge de l’impermanence. Dans une de ses premières séries, sur une plage en Camargue, Vasantha Yogananthan s’était déjà intéressé à ce temps-là de l’existence, bref et transitoire. (…) Le photographe a entrepris de reprendre cette exploration à La Nouvelle- Orléans. Le souvenir encore très à vif du passage de l’ouragan Katrina en 2005, la position de la ville en dessous du niveau de la mer et, avec le réchauffement climatique la menace permanente de voir les eaux l’engloutir, en font un lieu où le sens du provisoire se trouve particulièrement exacerbé », écrivent à juste titre les commissaires Agnès Sire et Clément Chéroux – directeur de la Fondation HCB. Et c’est effectivement cette rythmique enfantine qui nous attire à travers les portraits qui défilent. De façon délicate, Vasantha Yogananthan nous propose de s’élancer avec ces jeunes protagonistes dans la rue, devenue notre terrain de jeu pour une journée. Sur les diptyques, triptyques ou papiers peints, le regard est à ras des peaux, il entre dans les maisons, dans l’intimité du soin capillaire, ou au calme d’une ruelle bruyante. Tout bouge, même doucement, dans les flous et les mises au point décadrées. En se positionnant à hauteur d’enfant, la valeur de l’instant se ressent avec plus d’insistance. Viennent alors la cueillette de fleurs, les insectes, qui, une fois capturés, deviennent nos animaux de compagnies pour une semaine.
On pleure de nos premiers chagrins amoureux, on tombe, on s’écorche les genoux, on se révèle et déjà l’âge adulte surgit. Tout a disparu à vive allure. La vie nous rattrape. Mais on souhaite rester là, dans cet entre-deux, dans ce moment où le réel n’est qu’une infime partie de tous les possibles. Puis nous nous rappelons qu’il suffit d’un rien pour s’y replonger, que si l’envie nous reprend, nous retournerons faire des roulés-boulés sur les collines. Ça n’aura duré que quelques minutes, mais l’allégresse, elle, aura résisté pour l’éternité.
Sans titre, de la série Mystery Street, 2022 © Vasantha Yogananthan
Image d’ouverture : Sans titre, de la série Mystery Street, 2022 © Vasantha Yogananthan