Sujets insolites ou tendances, faites un break avec notre curiosité. Défenseuse de la cause animale, la photographe parisienne Chloé Lamidey réalise, dans Pigeon Non Grata, le portrait nuancé de cet oiseau des villes.
Ailes battantes, becs acérés, plumes ébouriffées par le vent, touches de gris contrastant avec la clarté du ciel… Dans Pigeon Non Grata, Chloé Lamidey prend pour protagoniste l’oiseau le plus populaire des villes du monde entier. Véritable muse pour la photographe, il picore ses offrandes dans les mains des passant·es, s’envole fièrement au-dessus de la foule et se détache – figure mythologique – des nuages comme des horizons. « Le projet est né sur le parvis de la cathédrale de Milan, où j’ai découvert que des touristes de différentes nationalités se faisaient prendre en photo les bras remplis de pigeons. Cette activité, est proposée par des vendeur·ses à la sauvette reconverti·es en photographes. En les observant, j’ai été surprise de constater que certain·es ne les considéraient pas comme des nuisibles, bien au contraire… », se souvient l’autrice.
Installée à Paris, c’est durant ses études d’art qu’elle découvre la photographie. Depuis, elle ne cesse de construire des projets autour de « questionnements qui [l]’obsèdent ». Privilégiant le long terme et le mélange des styles, elle collectionne, décline et multiplie les écritures – argentique, numérique, couleur, noir et blanc, vidéo… – pour mieux illustrer ses interrogations. « Depuis peu, j’ai compris que ma motivation peut s’apparenter à une forme de militantisme visuel », ajoute-t-elle.
Révéler le pigeon dans toute sa splendeur
Un militantisme qui anime Pigeon Non Grata. Si les images amusent, à première vue, et étonnent par le choix du sujet, elles ont pour vocation de faire évoluer les mentalités. « J’ai toujours été sensible à notre manière de percevoir et de traiter les animaux. J’adore les oiseaux et j’aime encore plus l’idée que les pigeons soient, dans l’imaginaire collectif, considérés comme des “rats du ciel”. Cela montre à quel point notre lien aux animaux des villes est rompu », explique Chloé Lamidey. Jugés sales, stupides, laids, les pigeons sont à ses yeux victimes de nos idées reçues. « En plus d’être dociles, il y a chez eux une beauté et une intelligence – contrairement à ce que l’on croit », ajoute-t-elle.
Connus pour leur sens de l’orientation, utilisés par l’humanité pour acheminer l’information, ou même espionner les camps opposés en période de conflit, ces oiseaux sont aujourd’hui dédaignés par les populations urbaines. Alors, comme pour leur redonner une certaine importance, la photographe accumule les prises de vues. Plumes éblouies par le flash, collation improvisée dans la main d’un·e inconnu·e, ailes shootées en plein vol, angles insolites et compositions originales… Des portraits simples aux diptyques en passant par la retranscription image par image d’une vidéo, l’artiste révèle le pigeon dans toute sa splendeur. Une manière pour elle de forcer l’admiration et d’apporter du sérieux à un sujet qui peut avoir tendance à être jugé avec trop de légèreté. Une démarche engagée portée par la volonté sans faille de l’autrice : « Ce projet est toujours en cours. Je retourne à Milan cet été en immersion pour travailler un autre axe : le quotidien de ces hommes qui vivent de cette activité touristique clandestine. Je pense aujourd’hui être proche d’une centaine d’images, et ce n’est pas terminé… », confie-t-elle. Et, au cœur des roucoulades et des prises de bec, immergé·e dans la foule milanaise au milieu des plumes qui tombent jusqu’au sol dallé, on ne peut que poser un regard nouveau sur la présence de ces animaux, devenue si ordinaire. Une manière singulière d’aborder notre rapport au vivant, d’autant plus affaibli au contact du monde urbain.
© Chloé Lamidey