Isabel Muñoz : une beauté multiforme

09 novembre 2018   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Isabel Muñoz : une beauté multiforme

La Galerie Esther Woerdehoff présente jusqu’au 30 novembre L’Anthropologie des sentiments, une anthologie de l’œuvre de la photographe espagnole Isabel Muñoz. Décliné en deux expositions – l’une visible à la galerie, l’autre à Paris Photo –, et édité en livre, cet ensemble sublime le sujet favori de la photographe : l’humain.

Isabel Muñoz, photographe espagnole de 67 ans, présente à la Galerie Esther Woerdehoff un extrait de l’Anthropologie des sentiments, une anthologie de son œuvre, que l’on pourra aussi admirer à Paris Photo et dans un ouvrage. Sur les murs blancs de la galerie, les moyens et grands formats de l’artiste se détachent, hypnotiques. Dans l’Anthropologie des sentiments, les corps se déplacent, libres et puissants, les regards des modèles nous défient, certains avec douceur et tendresse, d’autres avec méfiance. « C’était un processus magique, lorsque François Cheval et Audrey Hoareau, les deux commissaires de l’exposition, ont redécouvert mon travail, confie Isabel Muñoz. Ils ont travaillé durant trois ans pour sélectionner les œuvres de mon ouvrage. C’est un choix très courageux de leur part, ils sont venus jusqu’en Espagne et ont sorti de mes créations de véritables émotions.» Pour cette photographe, qui ne finit jamais ses séries de peur d’en souffrir, le choix de François Cheval et Audrey Hoareau donne à voir une œuvre complexe, aux influences multiples et à fleur de peau.

© Isabel Muñoz© Isabel Muñoz

La recherche de l’extase

Si les photographies ne sont pas présentées par ordre chronologique, elles forment un cercle, chaque thème faisant écho à l’autre. À droite de la salle se trouvent les clichés de danseurs tournoyants. Les habits et les corps sont flous, pris dans l’action. « En investiguant la danse, j’ai compris que tout venait d’une même racine, transformée ensuite par les différentes cultures », commente Isabel Muñoz. Les mouvements des danseurs semblent hypnotiques. Une transe que l’artiste recherche et admire. « Lorsque je prends des photos, il m’arrive de tout oublier, précise-t-elle. Je ne sens pas mon appétit, je n’ai plus chaud, ni froid… » Une sorte d’élévation qu’elle retrouve dans la chorégraphie. À côté de ces clichés, se trouve l’image d’un corps en suspension, des crochets dans la peau. Une pratique moderne et relativement populaire dans le milieu du tatouage, qui s’apparente à la transe. Le corps flotte alors dans les airs, libéré. Ce rituel fait écho aux clichés que nous retrouvons, plus à gauche. Ceux d’une communauté chinoise habitant en Thaïlande. « Il s’agit d’une sorte d’offrande, explique Isabel. Une célébration dédiée à leurs neufs dieux. » Des sabres et d’autres objets enfoncés dans les joues, les modèles font face à l’objectif, à la fois fiers et vulnérables. « Pour nous, cela peut être difficile à comprendre, mais pourtant la violence est absente de ces images, assure-t-elleLorsqu’on entre en transe, une réaction physique se produit, et les blessures restent invisibles, c’est le pouvoir de l’esprit sur le corps », raconte la photographe. Si les images peuvent sembler graphiques ou dérangeantes, Isabel Muñoz voit au-delà des frontières physiques, et s’intéresse à la psyché. Dans leur regard, elle perçoit une recherche de l’extase, un contrôle du corps puissant, un mysticisme qui unit les êtres humains. « La frontière est fine entre la douleur et le plaisir », analyse-t-elle.

© Isabel Muñoz© Isabel Muñoz

Une photographe en quête de l’humain

Toutes les séries réunies dans Anthropologie des sentiments révèlent une quête essentielle poursuivie par Isabel Muñoz : l’essence humaine. Un sujet déjà traité dans la série Primates – des photographies de grands singes originaires du Congo –, que l’on retrouve dans le livre. Son dessein ? Capturer les gestes et le regard humain de ces animaux, ancêtres de l’homme. « Je crois qu’il y a un langage universel, explique Isabel Muñoz, nos religions, mythologies, croyances sont différentes, mais au plus profond de nous, elles sont toutes  les mêmes. » Dans un corpus d’images réalisées aux quatre coins du monde, et qui suscitent parfois l’effroi du spectateur, l’attention est centrée sur leur humanité. « Il faut regarder l’autre de ses propres yeux. Pour nous, cela semble douloureux, mais pour eux, c’est l’extase », confie-t-elle. En observant le regard serein et les gestes décidés des modèles, nous comprenons que ces personnes s’abandonnent sans peur à la spiritualité, présente dans toutes les cultures. Finalement, c’est à travers la sublimation du corps que l’homme parvient à le transcender et à atteindre le domaine du sacré. Sans porter de jugement sur les pratiques que les humains infligent à leur chair, Isabel montre l’humanité à travers des sujets oubliés ou rejetés. Elle retranscrit ce qu’on ne veut pas voir et qui pourtant porte en soi l’essence de l’humanité : « Toutes mes images racontent une histoire. Avec l’art on peut donner la voix à des choses que personne ne veut parfois écouter. » Inépuisable, Isabel Muñoz travaille désormais sur de nouveaux projets liés à l’environnement et au changement climatique, tout en gardant à l’esprit la place de l’humain dans la nature.

L’Anthropologie des sentiments est à retrouver à la galerie Esther Woederhoff, mais également à Paris Photo, notamment dans le secteur Prismes.

© Isabel Muñoz© Isabel Muñoz
© Isabel Muñoz© Isabel Muñoz

© Isabel Muñoz

© Isabel Muñoz

Explorez
Que reste-t-il après le feu ? : des images, des voix, des actifs
Tour immersive en forêt © Alexandre Dupeyron
Que reste-t-il après le feu ? : des images, des voix, des actifs
À l’écomusée de Marquèze, jusqu’au 28 septembre 2025, l’exposition 600° – La forêt après le feu du collectif LesAssociés, pose une...
19 juin 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Hendrik Paul : un besoin de nuit
© Hendrik Paul, Dark Light
Hendrik Paul : un besoin de nuit
Avec Dark Light, Hendrik Paul signe un livre de photographie argentique en noir et blanc, publié chez Datz Press, qui explore la nuit, le...
17 juin 2025   •  
Écrit par Milena III
Hommage à Sebastião Salgado, humaniste soucieux de la nature
© Fisheye Magazine
Hommage à Sebastião Salgado, humaniste soucieux de la nature
Sebastião Salgado est décédé ce vendredi 23 mai 2025 à l’âge de 81 ans. Tout au long de sa carrière, le photographe a posé un regard...
26 mai 2025   •  
Écrit par Eric Karsenty
Dans l’œil d’Aletheia Casey : le rouge de la colère et du feu
© Aletheia Casey
Dans l’œil d’Aletheia Casey : le rouge de la colère et du feu
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil d’Aletheia Casey, dont nous vous avons déjà parlé il y a quelques mois. Pour Fisheye, elle...
28 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
19 livres photo pour célébrer le mois des fiertés
© Manbo Key.
19 livres photo pour célébrer le mois des fiertés
À l'occasion du mois des Fiertés, nous avons sélectionné une série d’ouvrages photographiques consacrés à la communauté LGBTQIA+....
Il y a 9 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Mois des fiertés : l'identité queer dans l'œil des photographes de Fisheye
© Paul Mesnager
Mois des fiertés : l’identité queer dans l’œil des photographes de Fisheye
Enjeux sociétaux, crise environnementale, représentation du genre… Les photographes publié·es sur Fisheye ne cessent de raconter, par le...
27 juin 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Escapade, mode et photojournalisme : nos coups de cœur photo de juin 2025
Silence © Héloïse Béghin
Escapade, mode et photojournalisme : nos coups de cœur photo de juin 2025
Expositions, immersion dans une série, anecdotes, vidéos… Chaque mois, la rédaction de Fisheye revient sur les actualités photo qui l’ont...
26 juin 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Florence et Damien Bachelot, collectionneurs de rencontres
Florence et Damien Bachelot © Nicolas Despis pour Fisheye.
Florence et Damien Bachelot, collectionneurs de rencontres
Avec un cabinet de plus de 1 000 œuvres, Florence et Damien Bachelot ont constitué, depuis 2004, l’une des plus grandes collections...
26 juin 2025   •  
Écrit par Marie Baranger