La Fondation Henri Cartier-Bression accueille, jusqu’au 16 janvier 2022, John Coplans, la vie des formes. Une exposition dédiée aux autoportraits de l’artiste, qui modèle, à partir de son corps, une œuvre architecturale.
« John Coplans a vécu quatre vies en une – militaire, peintre, critique et photographe – et ce n’est que dans les années 1980, à 60 ans, qu’il se tourne vers le 8e art »
, rappelle Jean-François Chevrier, co-commissaire de l’exposition John Coplans, la vie des formes, accueillie par la Fondation Henri Cartier-Bresson. Le parcours atypique d’un artiste à part. À 17 ans, celui-ci s’engage dans l’armée britannique et ne connaît, pendant plusieurs années, que le conflit. En le quittant, il se tourne vers la peinture « l’activité qui lui permet la plus appropriée pour un personnage comme lui, qui se cherche. Mais il déteste alors l’esprit de caste anglais et se prend de passion pour la culture américaine », ajoute Jean-François Chevrier. Émigrant aux États-Unis, il poursuit sa pratique, puis se tourne finalement vers la promotion d’auteurs. Véritable acteur de la diffusion du pop art et du minimalisme, John Coplans crée même en 1962 le magazine Artforum, revue d’art contemporain de référence. Vingt ans plus tard, c’est à travers le médium photographique qu’il parvient à s’exprimer. Fort de son expérience, il imagine une œuvre singulière, centrée autour du portrait. Une collection d’images marquantes, imposant une pause au regard, une reconsidération de la silhouette humaine.
Le format de l’intimité
Alors que dans les années 1970 règne une certaine hostilité entre les artistes utilisant la photographie et les véritables photographes, John Coplans refuse de prendre part au débat et conçoit plutôt des images imprégnées de ses propres influences. Minimalistes, brutes, architecturaux, ses clichés jouent avec les sens, la perception, et figent le corps dans sa forme la plus abstraite. Sur les murs de la Fondation, les tirages attrapent les visiteurs au vol, les poussent à observer, à tenter de comprendre, à retrouver les marqueurs des formes humaines dans une collection qui s’attache à les faire disparaître. « Les années 1980 marquent un grand tournant dans la carrière de John Coplans, puisqu’il passe du petit au grand format. Une tendance qui renouvelle profondément le médium photographique. Car cette échelle évoque celle de la peinture. Il se rapproche ainsi de ce qui fait la particularité de l’art expressionniste américain – qu’il chérit profondément. Finalement, cette grande peinture expressionniste est le format de l’intimité », précise le commissaire. Des tirages qui permettent aussi de saisir toute la théâtralité du travail de l’auteur. L’influence latente du cinéma expérimental, de la danse et de leurs expériences sur les membres, les morphologies. Imposantes, les images semblent déborder des cadres pour mieux s’imprimer sur les rétines des visiteurs. Elles s’approprient l’espace et saturent les esprits – jusqu’à ce que la forme humaine cesse d’être la référence. Jusqu’à ce que les détails que nous observons deviennent purement abstraits, graphiques.
Modeler son corps
Car malgré ce que l’on pourrait imaginer, le travail de John Coplans ne porte pas sur le corps vieillissant. Si l’artiste se plaît à se mettre en scène, il porte peu d’intérêt à la représentation réaliste et complète de sa propre personne, et s’abandonne, au contraire, à la désincarnation de sa silhouette. Rides, bourrelets, poils, cicatrices, ongles noirs, peau tannée… Les marqueurs du temps, de la vie, se multiplient sur sa toile favorite : lui-même. Un tableau d’une honnêteté poignante, qui parvient à donner à ces détails une splendeur insensée. Et, au fil de l’exposition, les formes prennent une ampleur insoupçonnée, elles dévoilent de nouveaux horizons. À la manière d’un sculpteur passionné, l’auteur modèle son corps comme une glaise. Il se tord, se contorsionne pour révéler la texture, fabriquer des figures. D’un autoportrait à l’autre, le sujet premier se perd pour laisser place à un terrain d’expérimentation, à un imaginaire commun, universel. « John Coplans était un personnage personnel à l’œuvre impersonnelle », commente Jean-François Chevrier. Une œuvre questionnant notre rapport au corps, et à sa sexualisation outrancière. Puisque, loin de rechercher les idéaux de beauté, le photographe se livre en toute conscience. Sans jamais montrer son visage, il capture le reste du paysage humain, figeant ses collines, ses cratères, ses plaines et ses fissures, et étudiant, avec un plaisir espiègle, « la vie des formes » (terme emprunté au critique d’art Henri Focillon, NDLR). Une vision unique du nu s’affranchissant du diktat de l’érotisme pour mieux saisir la géométrie particulière de la chair. Une approche libératrice qui fait de lui une influence majeure pour de nombreux photographes émergents. Parmi eux ? Chloé Rosser, dont les sculptures humaines absurdes célèbrent la diversité des êtres humains.
John Coplans, la vie des formes
Jusqu’au 16 janvier 2022
Fondation Henri Cartier-Bresson
79 rue des Archives, 75003 Paris
© The John Coplans Trust