Jusqu’au 28 mai 2023, le Jeu de Paume de Tours nous plonge dans un monde révolu, celui du début du siècle dernier, où se mêlent scènes de vie et de guerre, et où la couleur en photo était produite à base de fécules de pommes de terre.
« Chacun pourra désormais garder trace des aspects les plus merveilleux de la nature […] le pourpre des roses, le bleu du ciel, le vert délicat des arbres et des plantes »
, décrivait le journal Le Matin en 1907, année de la commercialisation de l’autochrome. Inventé quatre ans plus tôt par les Frères Lumières, poussés par leur père à trouver une solution à l’inclusion de couleur dans la photographie, l’autochrome bouleverse le champ des possibles du médium. Cette technique tombera dans l’oubli aussi vite qu’elle est apparue, dès les années 1930. Entre temps, près de 50 millions de clichés auront été réalisés. Dans sa période faste, plus de 6000 plaques étaient vendues chaque jour, principalement à des amateurs aisés et des scientifiques – le procédé nécessitant une maîtrise de la chimie. En effet, côté technique, l’autochrome est une diapositive en couleur sur une plaque de verre, obtenue par l’intermédiaire de grains de fécule de pomme de terre teintés, permettant de retenir les colorants. Lorsque traversé par une lumière artificielle ou naturelle, la diapositive révèle ses détails minutieux ainsi qu’une esthétique singulière.
Le Jeu de Paume de Tours a souhaité offrir une introduction à ce procédé méconnu et pourtant contemporain à tant d’égards, au travers de la collection AN de Soizic Audouard et Elizabeth Nora, mais aussi celle de la Maison du Patrimoine et de la Photographie. Intitulée 1,2,3 Couleur, l’autochrome exposé, l’exposition brille par sa scénographie remarquable, venant habiller les œuvres de grands noms comme d’anonymes.
© à g. Anonyme, à d. Marjory Hardcastle
De l’art pictural aux nouvelles technologies
« Bientôt le monde entier sera fou de couleurs, et Lumière en sera responsable »
, déclarait le célèbre photographe américain Alfred Stieglitz, donc certaines des œuvres sont présentes sur les murs du Jeu de Paume de Tours. D’autres illustres artistes répondent également présent·es – parmi eux, Leon Grimpel ou Paul Haviland – mais aussi une multitude d’inconnu·es. On y retrouve des portraits posés, des scènes de vie quotidiennes, des décors et paysages égyptiens qui se mélangent aux ports finistériens ou aux barques catalanes de Collioure. À leurs côtés, de petits films expliquant le fonctionnement de l’autochrome et son histoire sont accompagnés de natures mortes et de portraits royaux. Des thèmes évoquant la peinture : de jeunes femmes aux robes blanches convoquent Renoir, les nénuphars nous laissent penser à Monet et le réalisme pictural de Caillebotte nous vient à l’esprit au visionnage de militaires faisant des provisions d’eau. La dernière partie de l’exposition, dédiée quant à elles aux images de la Première Guerre mondiale, surprend tant il est rare de voir ces images colorées. Réalisées par deux militaires du nom de Paul Castelnau et Fernand Cuville, envoyés en mission dans toute la France, les portraits de soldats français, belges ou sénégalais aux uniformes pâles se juxtaposent aux tranchées ou aux cadavres. On y perçoit la vie qui perdure en parallèle du conflit en observant les enfants s’amusant avec de grandes quilles multicolores, mais aussi les rues endommagées et les usines en ruine.
Cependant, si les images et leurs thématiques peinent à faire écho au monde contemporain, l’exposition surprend par la modernité de l’autochrome. Comme exprimé par Quentin Bajac, directeur du Jeu de Paume, un parallèle peut être dressé entre les diapositives exposées et les tablettes et smartphones : « ce sont des clichés en petit format, aux couleurs diaphanes, nécessitant pour la plupart un rétroéclairage. Cela rend cette exposition très moderne, accessible et contemporaine. » Une impression aussi produite par la scénographie ludique mise en place au Château de Tours : des bornes visionneuses stéréoscopiques, manipulables pour certaines, permettent de découvrir des autochromes en relief, venant révéler leur magie à la lumière du jour. Dans les salles de l’étage, certaines diapositives n’apparaissent qu’à la manipulation de petits interrupteurs. Une mise en scène participative et divertissante permettant de remettre au goût du jour un procédé tombé en désuétude.
© à g. Paul Castelnau, à d. Heinrich Kuhn
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© à g. Anonyme, à d. Paul Castlenau
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Image d’ouverture © Anonyme