La première technique de photographie couleur remise au goût du jour à Tours

12 décembre 2022   •  
Écrit par Pablo Patarin
La première technique de photographie couleur remise au goût du jour à Tours

Jusqu’au 28 mai 2023, le Jeu de Paume de Tours nous plonge dans un monde révolu, celui du début du siècle dernier, où se mêlent scènes de vie et de guerre, et où la couleur en photo était produite à base de fécules de pommes de terre.

« Chacun pourra désormais garder trace des aspects les plus merveilleux de la nature […] le pourpre des roses, le bleu du ciel, le vert délicat des arbres et des plantes »

, décrivait le journal Le Matin en 1907, année de la commercialisation de l’autochrome. Inventé quatre ans plus tôt par les Frères Lumières, poussés par leur père à trouver une solution à l’inclusion de couleur dans la photographie, l’autochrome bouleverse le champ des possibles du médium. Cette technique tombera dans l’oubli aussi vite qu’elle est apparue, dès les années 1930. Entre temps, près de 50 millions de clichés auront été réalisés. Dans sa période faste, plus de 6000 plaques étaient vendues chaque jour, principalement à des amateurs aisés et des scientifiques – le procédé nécessitant une maîtrise de la chimie. En effet, côté technique, l’autochrome est une diapositive en couleur sur une plaque de verre, obtenue par l’intermédiaire de grains de fécule de pomme de terre teintés, permettant de retenir les colorants. Lorsque traversé par une lumière artificielle ou naturelle, la diapositive révèle ses détails minutieux ainsi qu’une esthétique singulière.

Le Jeu de Paume de Tours a souhaité offrir une introduction à ce procédé méconnu et pourtant contemporain à tant d’égards, au travers de la collection AN de Soizic Audouard et Elizabeth Nora, mais aussi celle de la Maison du Patrimoine et de la Photographie. Intitulée 1,2,3 Couleur, l’autochrome exposé, l’exposition brille par sa scénographie remarquable, venant habiller les œuvres de grands noms comme d’anonymes.

© Anonyme© Marjory Hardcastle

© à g. Anonyme, à d. Marjory Hardcastle

De l’art pictural aux nouvelles technologies

« Bientôt le monde entier sera fou de couleurs, et Lumière en sera responsable »

, déclarait le célèbre photographe américain Alfred Stieglitz, donc certaines des œuvres sont présentes sur les murs du Jeu de Paume de Tours. D’autres illustres artistes répondent également présent·es – parmi eux, Leon Grimpel ou Paul Haviland – mais aussi une multitude d’inconnu·es. On y retrouve des portraits posés, des scènes de vie quotidiennes, des décors et paysages égyptiens qui se mélangent aux ports finistériens ou aux barques catalanes de Collioure. À leurs côtés, de petits films expliquant le fonctionnement de l’autochrome et son histoire sont accompagnés de natures mortes et de portraits royaux. Des thèmes évoquant la peinture : de jeunes femmes aux robes blanches convoquent Renoir, les nénuphars nous laissent penser à Monet et le réalisme pictural de Caillebotte nous vient à l’esprit au visionnage de militaires faisant des provisions d’eau. La dernière partie de l’exposition, dédiée quant à elles aux images de la Première Guerre mondiale, surprend tant il est rare de voir ces images colorées. Réalisées par deux militaires du nom de Paul Castelnau et Fernand Cuville, envoyés en mission dans toute la France, les portraits de soldats français, belges ou sénégalais aux uniformes pâles se juxtaposent aux tranchées ou aux cadavres. On y perçoit la vie qui perdure en parallèle du conflit en observant les enfants s’amusant avec de grandes quilles multicolores, mais aussi les rues endommagées et les usines en ruine.

Cependant, si les images et leurs thématiques peinent à faire écho au monde contemporain, l’exposition surprend par la modernité de l’autochrome. Comme exprimé par Quentin Bajac, directeur du Jeu de Paume, un parallèle peut être dressé entre les diapositives exposées et les tablettes et smartphones : « ce sont des clichés en petit format, aux couleurs diaphanes, nécessitant pour la plupart un rétroéclairage. Cela rend cette exposition très moderne, accessible et contemporaine. » Une impression aussi produite par la scénographie ludique mise en place au Château de Tours : des bornes visionneuses stéréoscopiques, manipulables pour certaines, permettent de découvrir des autochromes en relief, venant révéler leur magie à la lumière du jour. Dans les salles de l’étage, certaines diapositives n’apparaissent qu’à la manipulation de petits interrupteurs. Une mise en scène participative et divertissante permettant de remettre au goût du jour un procédé tombé en désuétude.

© Paul Castlenau© Heinrich Kuhn

© à g. Paul Castelnau, à d. Heinrich Kuhn

© Anonyme

© Anonyme

La maison Paquin, 3 rue de la Paix à Paris lors de la visite du roi George V (1914) © Anonyme© Anonyme

© Anonyme

© Paul Castlenau

 

© Anonyme

© Anonyme© Paul Castlenau

© à g. Anonyme, à d. Paul Castlenau

© Anonyme

© Anonyme

Image d’ouverture © Anonyme

Explorez
Dans l’œil de Jana Sojka : nostalgie filante dans la nuit floue
© Jana Sojka
Dans l’œil de Jana Sojka : nostalgie filante dans la nuit floue
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil de Jana Sojka, photographe dont nous vous avions déjà présenté les collages. Pour Fisheye...
17 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les coups de cœur #532 : Sébastien François et Matthieu Baranger
© Sébastien François
Les coups de cœur #532 : Sébastien François et Matthieu Baranger
Sébastien François et Matthieu Baranger, nos coups de cœur de la semaine, ont fait de l’architecture urbaine la muse de leurs projets...
17 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les coups de cœur #530 : Léna Mezlef et Diane Desclaux
© Diane Desclaux
Les coups de cœur #530 : Léna Mezlef et Diane Desclaux
Léna Mezlef et Diane Desclaux, nos coups de cœur de la semaine, nous emmènent en voyage. La première nous fait découvrir l’Amérique...
03 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
La sélection Instagram #491 : calendrier de la lune
© Thomas Cheung / Instagram
La sélection Instagram #491 : calendrier de la lune
C’est sous le signe du Serpent de bois, incarnant la sagesse et la réflexion, que s’ouvre la nouvelle année lunaire. Les artistes de...
28 janvier 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Wes Anderson à la Cinémathèque : quand le cinéma devient photographie
Kara Hayward dans Moonrise Kingdom (2012), image tirée du film © DR
Wes Anderson à la Cinémathèque : quand le cinéma devient photographie
L'univers de Wes Anderson s'apparente à une galerie d'images où chaque plan pourrait figurer dans une exposition. Cela tombe à pic : du...
Il y a 11 heures   •  
Écrit par Cassandre Thomas
A Lost Place : Aletheia Casey évoque le traumatisme des feux australiens
© Aletheia Casey
A Lost Place : Aletheia Casey évoque le traumatisme des feux australiens
À travers A Lost Place, Aletheia Casey matérialise des souvenirs traumatiques avec émotion. Résultant de cinq années de travail...
21 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Javier Ruiz au rythme de Chungking
© Javier Ruiz
Javier Ruiz au rythme de Chungking
Avec sa série Hong Kong, Javier Ruiz dresse le portrait d’une ville faite d’oxymores. Naviguant à travers le Chungking Mansions et les...
21 février 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Karim Kal : paysages nocturnes de la Haute Kabylie
© Karim Kal
Karim Kal : paysages nocturnes de la Haute Kabylie
Le photographe franco-algérien Karim Kal a remporté le prix HCB 2023 pour son projet Haute Kabylie. Son exposition Mons Ferratus sera...
20 février 2025   •  
Écrit par Costanza Spina